Le bouddhisme est-il une religion ou une philosophie?
Le bouddhisme est-il une philosophie ou une religion? C'est la grande question à laquelle s'intéresse de très près la laïcité organisée en Belgique.
- Publié le 08-06-2023 à 10h02
- Mis à jour le 08-06-2023 à 10h07
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Dix-sept ans après le dépôt de la demande, le gouvernement belge a adopté le 17 mars 2023 un avant-projet de loi qui accorde au bouddhisme une reconnaissance officielle comme philosophie non confessionnelle.
Mais ce long parcours n’est pas terminé. Pour que cette reconnaissance devienne réalité, il y a encore une série d’étapes telles que l’avis du Conseil d’État (qui pourrait suggérer une série de changements), la concertation avec les entités fédérées (d’abord en intercabinets et ensuite en Comité de concertation), la 2e lecture du Conseil des ministres et ensuite la commission de la Justice de la Chambre pour que le texte puisse être voté en séance plénière puis promulgué.
L’Union bouddhique belge (UBB) espérait que cette reconnaissance puisse être votée à la Chambre en juillet, mais vu les retards - et le lobby de certains - ce sera plutôt au retour des vacances parlementaires. Or, on se rapproche dangereusement de l’échéance électorale…
Le bouddhisme a demandé à être reconnu, non pas en tant que culte ou religion, comme le sont par exemple le catholicisme, l’islam ou le judaïsme, mais en tant que "philosophie non confessionnelle", un terme qui figure dans le paragraphe 2 de l’article 181 de la Constitution. Problème, ce terme concerne jusqu’à présent la seule laïcité organisée qui va perdre ce monopole. On soulignera deux éléments dans ce dossier. Un : selon le Conseil d’État (avis de 1998 sous Dehaene II), il n’y a aucune raison pour que la laïcité organisée ait le monopole des organisations philosophiques non confessionnelles. Deux : le choix du régime sous lequel une organisation sollicite sa reconnaissance est sa prérogative ; les pouvoirs publics sont sans autorité en cette matière.
Pourquoi la laïcité veut-elle faire reconnaître le bouddhisme comme une religion?
Toutes les convictions , religieuses ou philosophiques, mentionnées dans la Constitution (art. 191) devraient être mises sur le même pied, avec des modes de financement semblables, explique Jean-François Husson, spécialiste du financement des cultes et fondateur du Craig (Centre de recherche en action publique, intégration et gouvernance). Or ce n’est pas le cas. Si le système a longtemps favorisé le culte catholique, depuis la loi de juin 2002 organisant les "communautés philosophiques non confessionnelles", la laïcité organisée bénéficie d’un régime financier favorable. Les dépenses du secrétariat fédéral (sans équivalent côté cultes) et des établissements sont quasi intégralement couvertes par les pouvoirs publics contrairement aux cultes qui autofinancent une partie des dépenses (60 % hors dettes en Région bruxelloise). Côté traitements, les niveaux et progression barémique s’avèrent plus favorables du côté de la laïcité. Jean-François Husson pose la question qui fâche, déjà évoquée par plusieurs groupes d’experts : une harmonisation ne serait-elle pas souhaitable ?
Pourquoi la laïcité se crispe-t-elle face à la reconnaissance du bouddhisme en tant que philosophie ? Parce qu’elle craint de perdre son monopole à plusieurs niveaux. Symbolique d’abord : dans de nombreux dossiers (éthiques notamment), la laïcité s’oppose "seule" au "monde des religions". Son unicité fait la force de sa représentativité, de son poids médiatique et de la puissance de son lobby. Matériel : ainsi, dans plusieurs domaines, la laïcité organisée a demandé le pendant de ce qui était octroyé aux religions, si possible sur une base 50/50. Dans l’enseignement avec l’avenir du cours de morale. La Constitution parle de "morale non confessionnelle" mais de facto il s’agit d’un cours de morale laïque. Qui pourrait se trouver concurrencé par un cours de "morale bouddhiste" si le bouddhisme est reconnu comme "philosophie/morale non confessionnelle".
Le bouddhisme est-il une religion ou une philosophie?
Selon la laïcité organisée, le bouddhisme est une religion qui obéit à des dogmes
Depuis quelques mois, l'Association belge des athées (ABA) et le Centre d'action laïque (CAL) sont en campagne.
"Autant la reconnaissance du bouddhisme va de soi à nos yeux, autant sa qualification comme philosophie non confessionnelle est un contresens", exprime un communiqué (21/04/23) de l'ABA. L'Association des athées y souligne que "le bouddhisme est certes aussi une philosophie, une sagesse qui aide à vivre, mais cette dimension philosophique et éthique est tout aussi incontestablement présente dans le judaïsme, le christianisme et l'islam. L'inexistence dans les traditions bouddhiques d'un Dieu créateur ou d'un Être suprême n'autorise pas à exclure le bouddhisme de la sphère religieuse". L'ABA organise d'ailleurs une conférence-débat sur ce thème au CAL, au campus de la Plaine (ULB) ce 14 juin.
"Le bouddhisme devrait être considéré comme une religion", affirme de son côté Anaïs Pire de la cellule Étude & Stratégie du CAL dans un article publié (20/2/23) sur Espace de libertés, le magazine du Centre d'action laïque. Pourquoi ? Parce qu'"il suppose la croyance dans le surnaturel, tels l'immortalité de l'âme, la réincarnation, le statut ultime obtenu par Bouddha en accédant au nirvana, la nomination magique du leader religieux, etc., qui sont autant de dogmes. Ensuite, il suppose le respect de préceptes et de règles de vie ayant un statut sacral, notamment fondés sur les paroles, faits et gestes de Bouddha, dont l'image est adorée. Enfin, il établit des temples et des communautés religieuses et monastiques. Autant de considérations qui témoignent bien de son caractère confessionnel", argumente Anaïs Pire.
La chercheuse du CAL (qui a décliné notre demande d'interview) écrit s'être penchée sur les statuts des associations bouddhistes afin d'appréhender le sens de leurs actions, "et d'établir leur caractère confessionnel". Elle le soutient in fine en pointant que les "enseignements, traditions et pratiques sont envisagés dans la 'direction', le 'lignage', 'le patronage', mais aussi en reconnaissant des disciples, des successeurs… Cela démontre une forme d'autorité et l'existence de dogmes, puisque ces éléments doivent être transmis pour être étudiés, enseignés et pratiqués de façon authentique, incontestable."
Pour l'Union bouddhique belge, il s'agit bien d'une philosophie: entretien avec Carlo Luyckx
Carlo Luyckx, président de l'Union bouddhique belge (UBB) se désole de la controverse lancée contre le choix du bouddhisme à se définir comme une philosophie. D'autant que - et le Centre d'action laïque (CAL) le reconnaît lui-même - le choix du régime sous lequel une organisation sollicite sa reconnaissance est sa prérogative ; les pouvoirs publics sont sans autorité en cette matière. Face à l'offensive de la laïcité organisée (voir ci-contre), il a toutefois produit un long argumentaire (disponible sur le site de l'UBB) répondant aux articles parus dans le magazine du CAL qui affirment que le bouddhisme est une religion.
Pourquoi le bouddhisme est-il une philosophie ?
La sagesse représentant l’objectif principal de tout pratiquant du bouddhisme et la négation de l’existence d’un être suprême étant commune à toutes les écoles du bouddhisme, la qualification de "philosophie non confessionnelle" reprise par l’article 181 § 2 de la Constitution nous convient parfaitement.
En quoi n’est-il pas une religion ou un culte ?
La qualification de "culte" est incompatible avec le caractère athée du bouddhisme qui ne reconnaît l’existence d’aucune force divine qui serait à l’origine ou aux commandes de l’univers. Le bouddhiste adopte donc la position de l’athée pour qui l’idée d’un être suprême n’a aucun sens, ni celle de l’existence d’une âme. Les signes extérieurs, l’existence de temples, de monastères, de statues de Bouddha et de divinités diverses laissent penser qu’il s’agit d’une religion. On pourrait être tenté de qualifier le bouddhisme de religion sans dieu. Il est plus approprié de parler d’une spiritualité sans Dieu qui s’approche de l’athéisme promu par André Comte-Sponville.
Le bouddhiste n’est-il pas cadré par des dogmes ?
Il n’y a aucun dogme, aucun point considéré comme une vérité incontestable. Le Bouddha lui-même a dit qu’il ne fallait pas croire en ses enseignements, ne pas les prendre pour des vérités divines, mais qu’il fallait les examiner par l’étude, la réflexion et la méditation afin d’en comprendre le sens. Il s’agit donc d’une démarche qu’on peut qualifier de libre-exaministe. Il n’existe dans le bouddhisme aucun mystère dont la compréhension serait impossible pour le commun des mortels, même si la réalisation de la sagesse nécessite de dépasser la démarche intellectuelle dualiste et de faire appel à la méditation introspective.