Le guide Evras menace-t-il l’éducation donnée par les parents ?
Près de soixante parents s'inquiètent de ce que leurs enfants ont entendu à l'école dans le cadre d'animations à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Lola Clavreul, Directrice de la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial, donne son point de vue sur cette interpellation.
- Publié le 18-09-2023 à 09h44
- Mis à jour le 18-09-2023 à 09h57
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Le contexte
Depuis ce 7 septembre et le vote du décret Evras (pour Éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle), la rédaction a reçu énormément de courriers relatifs à ce dossier. Pour rappel, le décret “Evras” rend obligatoire deux animations au cours de la scolarité de chaque élève (une animation de deux périodes en 6e primaire et une autre en 4e secondaire). De plus, le décret vise à professionnaliser le secteur. Seuls les animateurs labellisés sont désormais autorisés à intervenir dans les classes sur ces questions de vie affective, relationnelle et sexuelle. Les plannings familiaux et les centres PMS et PSE le sont automatiquement. Toute association désireuse de s’engager sur cette voie pourra également prétendre au label. Dans ce cadre, un Guide Evras destiné aux adultes formés pour intervenir dans les écoles a été publié. Il est un support pour outiller ces animateurs que ce soit dans le cadre des animations obligatoires en 6e primaire et 4e secondaire, ou s’ils sont appelés dans une école pour répondre à des demandes d’enfants de maternelle, de primaire ou de secondaire.
Parmi les très nombreux courriers reçus, La Libre a décidé de publier le texte présent dans ces pages et signé par une soixantaine de parents. Il exprime des inquiétudes représentatives de la teneur de plusieurs courriers reçus. Ces inquiétudes concernent le contenu des animations évoquées et l’absence du dialogue entre les équipes pédagogiques et les parents. Toutes les animations évoquées par ces parents ont été données en 2022 et 2023, avant le vote du décret Evras de ce mois de septembre. Pour autant, regrettent ces signataires, elles ont été tenues par des équipes qui seront homologuées par ce décret. Les écoles dans lesquelles ces formations ont été données sont connues de la rédaction, mais non mentionnées, en accord avec les parents et parce que ces établissements n’ont pas l’occasion de réagir dans ces pages. Comme ces parents pointent explicitement des animations menées par des centres de planning familial, La Libre a transmis ces témoignages à Lola Clavreul, Directrice de la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial, qui répond ci-dessous.
”Nous demandons une Evras respectueuse de la sensibilité des enfants, neutre, transparente et incluant les parents”
Un texte signé par une soixantaine de parents (voir ci-dessous)
Ce jeudi 7 septembre, la ministre Désir entendait, par voie de presse, rassurer les parents quant à la question de l’Evras dans les écoles. Elle entendait les “ (mettre) en garde contre une campagne de désinformation”, rappelant aux éventuels sceptiques la noblesse de la cause : “Nos intentions sont nobles. On ne va évidemment pas encourager une hypersexualisation chez les jeunes, on ne va pas susciter une orientation sexuelle ou une identité de genre, on ne va pas donner de cours de pratiques sexuelles. C’est inadmissible de faire peur aux parents sur ce sujet”, poursuit-elle.
Nous, parents, avons des intentions aussi nobles que celles de notre ministre pour l’éducation de nos enfants, et c’est donc tout à fait légitimement que nous nous sommes interrogés quant au contenu des animations Evras. Plusieurs d’entre nous affirmons avoir été témoins, dans les classes de nos enfants, de contenus inappropriés, et refusons la caricature faite de ceux qui manifestent leur désaccord ou interpellent les décideurs. Madame la Ministre, pouvez-vous “écouter” ces quelques exemples vécus ? Trouvez-vous qu’ils soient bénéfiques pour les enfants ?
- Dans une classe de 6e primaire du Brabant wallon est programmée une animation sur le cyberharcèlement, problématique brûlante d’actualité. Était-il utile d’y intégrer un volet sur l’envoi de “nudes” et de “sexto” (“ c’est quand tu envoies une photo de toi toute nue à ton amoureux pour lui montrer que tu l’aimes”, selon les mots rapportés par une jeune fille à sa maman), en expliquant aux enfants présents (11-12 ans) que, devant le phénomène apparemment grandissant du “revenge-porn”, un nude “safe” se prend des pieds au cou (pour préserver l’anonymat) et sur fond blanc ou beige (pour qu’on ne puisse pas reconnaître la chambre de l’intéressé en cas de diffusion du cliché…) ?
- Dans une classe de 5e primaire de Bruxelles, lors d’une session Evras organisée sans informer les parents, les animateurs ont parlé érection et masturbation à “ceux qui se sentent garçons”. De retour à la maison, un garçon de 9 ans interpelle son papa : “Dis, Papa, j’en suis à quel grade de l’érection, moi ? ” ; “est-ce que j’ai déjà cartonné mon slip ? ”. Difficile de faire le suivi à la maison sans savoir ce qui s’est dit à l’école. De plus, trop jeune pour comprendre ce contenu, il n’en a retenu que ce qui était vulgaire et associe maintenant la sexualité à quelque chose de sale. Est-ce vraiment le but recherché ?
- En classe de 4e primaire du BW, les enfants assistent à la pièce de théâtre Et toi tu même qui entend, selon le guide pédagogique qui s’y rapporte, “sensibiliser le public dès son jeune âge et conscientiser les mentalités sur les préjugés des genres”. Le guide précise également que “l’idée ici n’est pas de défendre le féminin à tout prix mais de déstabiliser les idées préconçues sur les hommes et les femmes, de décloisonner les genres, et d’évoquer également, sans la nommer, l’homosexualité”. Était-il utile d’y adjoindre une animation portant notamment sur les droits des adolescents à changer de genre, que ce soit par voie hormonale ou chirurgicale ? Les parents n’étaient pas informés et n’en ont sans doute rien su : l’animateur ne les a-t-il pas discrédités en expliquant que cette animation était nécessaire parce que “certains enfants vivent encore de nos jours dans des familles intolérantes” ? Comment dès lors poursuivre le dialogue si l’enfant se pose des questions suite à l’animation, s’il a entendu que, peut-être, ses parents faisaient partie de ceux qui ont des réactions et des discours “inappropriés” ?
- Dans une classe de première humanité namuroise, une école fait intervenir le planning familial pour un atelier consacré à la puberté et aux relations affectives et sexuelles. Si le but était vraiment de partir des interrogations des jeunes, comme l’affirme notamment l’enquête de la RTBF, pourquoi les animateurs ont-ils distribué trois questions toutes faites à chaque élève, en leur laissant juste le choix de choisir parmi celles-ci (portant notamment sur “les stéréotypes dans la pornographie”, la masturbation, la différence entre le “sexe assigné à la naissance” et l’ “identité de genre”, etc.) ?
- Dans une classe de 5e humanité, en province de Liège, les élèves ont été tenus, au cours d’une séance prise en charge par le planning familial, de se positionner “pour” ou “contre” toute une série de sujets (transgenrisme des adolescents, etc.) en argumentant et en se plaçant physiquement d’un côté ou de l’autre de la classe en fonction de leur réponse. Selon les mots de l’élève concernée, l’animatrice, pas du tout neutre, a fait pression pour que les élèves adhèrent à sa pensée. Lors du même atelier, le porno et la masturbation ont été présentés comme “positifs” car diminuant le risque de viols.
- Dans une classe de 3e maternelle bruxelloise, en vertu d’un projet pilote pris en charge par le planning familial, les enfants sont tenus de regarder un court-métrage dans lequel différents protagonistes de différents âges et sexes s’embrassent. Des parents, devant l’incompréhension de leur enfant face aux images projetées et étonnés de ne pas avoir été mis au courant, se voient répliquer que “si on prévenait les parents, ils ne mettraient pas leurs enfants à l’école le jour de l’animation”.
- Dans une autre classe de 6e primaire, à l’issue d’un atelier tenu par le planning familial dont les parents n’étaient guère plus informés, une jeune fille interpelle sa maman par ces mots : “t’as de la chance que je t’en parle ! Les animateurs nous ont bien dit qu’on n’était pas obligés, parce que notre corps et notre vie sexuelle ne regardent que nous et ne vous concernent pas”. Or, si comme l’affirme Lionel Rubin, chargé d’études au Centre d’action laïque (Cal), “les animations dispensées à l’école n’ont pas vocation à se substituer à l’éducation familiale, mais bien à la compléter pour permettre une uniformisation de l’information et lutter contre les inégalités entre élèves”, pourquoi ne pas communiquer clairement avec les parents ?
Tous ces témoignages, et nous en avons d’autres, sont des exemples vécus par nos enfants, venus nous en parler. Dans la majorité des cas, nous n’étions pas au courant de l’organisation de l’animation/de la pièce de théâtre/de l’intervention. La ministre Désir nous répondra peut-être que ces expériences n’ont rien à voir avec l’Evras… Il s’agit pourtant souvent d’équipes de centres de planning, agréés pour ce genre d’animation. Nous, parents, soutenons l’Evras, mais demandons que soit mise en place une Evras neutre, transparente vis-à-vis des parents et respectueuse de la sensibilité des enfants. Une Evras qui réponde de manière adéquate aux questions des enfants en respectant leur âge, sans parti pris idéologique, et sans méfiance a priori vis-à-vis des parents, tout aussi soucieux que la ministre du bien-être de leurs enfants.
Dans cette optique, nous exigeons qu’un membre extérieur aux équipes Evras, issu du corps éducatif ou PMS/PSE de l’école puisse assister aux animations afin d’en garantir la neutralité, et que les directions travaillent en toute clarté avec les parents. Cela, pourquoi pas, via la création de “comités Evras” qui rassembleraient les différents acteurs de cette problématique (incluant les parents), comme l’a d’ailleurs suggéré Mr Kerckhofs (PTB), lors du débat parlementaire du 7 septembre dernier. C’est seulement ainsi que nous pourrons construire, ensemble, une Evras neutre, scientifique, transparente, et respectueuse des enfants.
Parents signataires :
Quentin de Bodman, Albane Bizard, Aline Mazher, Alix d’Abadie, Antoine Nuger, Bénédicte de Clercq, Bénédicte de Langlois, Camille Bressand, Camille Le Grelle, Carmen Greindl, Charles d’Alançon, Charlotte Lapalus, Charlotte Texier, Christopher Afsar, Clement Lauras, David Weynants, Elisabeth Saunier, Elisabeth Terlinden, Emanuela Moro, Emilie Moniquet, Emily Nardella, Emmanuelle Diot, Fleur Janssens, Geoffroy de la Bretesche, Geraldine Nuger, Gregory Montigny, Jean Christophe Piette, Johan Decock, Katarina de Demandolx, Laurent Convent, Madeleine Peillon, Mahaut Housieaux, Marguerite Weist, Maria-Theresa Silvestri, Marie-Alexis Buchet, Marie Huppert, Marie Wart, Marie-Emilie Forest, Mario Tomassi, Martin schneider, Mattei Stefano, Maylis Qennec, Monka Kuseke Bilol, Nancy Chamoun, Nathalie Salmon, Nawal Yassine, Nicolas Dumont, Olivier Caillet, Pascale Cauwe, Pauline Mathy, Raphaelle Benquet, Salome Simao, Sébastien Hendrickx, Véronique Joos, Victoire Roquebert, Vincent Hoellinger, William Penninck
"Comment pouvons-nous croire que deux heures d’animation puissent réduire à néant l’éducation familiale ?"
Un texte de Lola Clavreul, Directrice de la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial
Ce n’est pas une nouveauté : depuis 2012, afin de réaliser ses missions prioritaires, chaque école fondamentale et secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles est tenue d’éduquer au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique, à la vie relationnelle, affective et sexuelle et de mettre en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l’école. Les animations Evras ont dès lors été mises en place plus formellement, afin d’accompagner progressivement chaque jeune vers l’âge adulte selon une approche globale dans laquelle la sexualité est entendue au sens large et inclut notamment les dimensions relationnelle, affective, sociale, culturelle, philosophique et éthique. Leur rôle ne consiste pas à prôner une quelconque doctrine, mais à ouvrir des débats, à explorer des questions avec un regard curieux et critique.
Les écoles décrivent dans leurs projets pédagogiques leur façon de mettre en œuvre cette mission, et la présentent habituellement lors des réunions de parents au moment de la rentrée scolaire. C’est également le moment de présenter les acteurs en charge des animations, c’est-à-dire généralement le centre PMS rattaché à l’établissement ou un centre de planning familial.
Neutralité n’est pas censure
Le principe de neutralité ne doit pas interdire d’aborder certains sujets à l’école. Au contraire, il garantit l’exercice de l’esprit critique et permet d’éduquer au respect des libertés et droits fondamentaux. Et pourtant, en 2023, au nom de la neutralité, certaines personnes souhaiteraient que l’on interdise d’aborder l’homosexualité ou l’avortement en animation Evras. D’autres refusent qu’on parle de pornographie ou de transidentité, confondant ainsi prévention et propagande, sensibilisation et incitation. Il est interpellant de constater qu’une animation puisse être taxée de “propager la doxa”, quand elle ne fait que rappeler la législation belge en matière de discriminations.
La neutralité fonde la possibilité d’une société pluraliste, permettant le dialogue entre des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses diverses. Or, ce dialogue est aujourd’hui rompu, réduit au silence par les fake news et les incendies d’école là où le processus de réflexion sur l’Evras avait réuni sur plusieurs années et en toute transparence des enfants, jeunes, représentants des parents, des écoles, médecins, psychologues, assistants sociaux, éducateurs, enseignants, Centres de Planning Familial, PMS, PSE, organisations de jeunesse, etc.
Imperméables au monde dans lequel nous vivons ?
Nous avons la responsabilité, en tant qu’adultes, de nous interroger : pourquoi sommes-nous gênés que nos enfants reçoivent des informations sur le fonctionnement de leur propre corps ? Comment pouvons-nous croire que deux heures d’animation puissent réduire à néant l’éducation familiale ? Pourquoi sommes-nous effrayés que nos enfants puissent développer leurs opinions propres, parfois différentes des nôtres, sur certains sujets ?
Les enfants et adolescents ont beaucoup à nous apprendre. Ils et elles vivent dans un monde aux enjeux différents de celui que nous avons connu quand nous avions leur âge. Ils sont saturés d’écrans, ont un premier contact (subi ou choisi) précoce avec la pornographie, reçoivent des informations en continu, évoluent dans un monde qui questionne les identités, le vivre-ensemble, l’autorité, l’avenir, avec davantage d’acuité que les précédentes générations.
N’est-ce pas le rôle fondamental de l’éducation que de permettre aux enfants, et encore plus aux adolescents et adolescentes de développer une pensée complexe, de construire leurs propres points de vue nuancés sur le monde qu’ils et elles habitent, et de voler peu à peu de leurs propres ailes ?
Qui protège les enfants ?
On pouvait lire dernièrement sur un post anti-Evras : “Nous sommes les seuls maîtres de nos enfants”. Il semble pourtant parfois utile de faire appel à d’autres adultes pour nous accompagner et nous compléter dans l’éducation que nous souhaitons transmettre. Les jeunes n’ont pas nécessairement envie de parler de tout ce qui se passe dans leur corps et dans leur cœur avec leurs parents ou avec leur famille. D’ailleurs, pour deux enfants par classe, la famille est le lieu de violences sexuelles. Et ce ne sont pas toujours les enfants des autres qui sont concernés par le harcèlement, les violences sexuelles ou les discriminations, tant comme victimes que comme auteurs.
Nous, acteurs et actrices de l’Evras, refusons de laisser les enfants dans le silence, de ne pas leur apporter notre aide dans les situations difficiles qu’ils et elles peuvent rencontrer. Nous refusons que, sous couvert de “protéger leur innocence”, ils et elles n’aient pas le droit d’avoir des réponses claires, correctes et adaptées à leur âge et à leur maturité. Nous refusons en somme les tabous qui entourent les questions de sexualité et qui font la part belle aux prédateurs et agresseurs de tous bords.
Les animations Evras sont données par des professionnels (psychologues, assistants sociaux, médecins, juristes, sexologues, conseillers conjugaux et familiaux, médiateurs, etc.) ayant suivi une formation spécifique à l’animation. Un objectif clair : travailler main dans la main avec l’école et les parents pour assurer l’épanouissement des enfants et des jeunes et contribuer à une société plus égalitaire et moins violente. Pour cela, des espaces de dialogue restent encore à construire.