Matthieu Ricard: "Ne détournez pas le regard" de la souffrance animale

Claire SNEGAROFF
<p>Matthieu Ricard, le 16 octobre 2014 à Paris présente son nouvel ouvrage "plaidoyer pour les animaux"</p>

"Je n'ai pas de conseils à donner, juste une humble requête: Ne détournez pas le regard. La réalité est ce qu'elle est, appréhendez-là, et décidez en votre âme et conscience" si l'entrecôte dans votre assiette vaut la souffrance qu'elle a engendrée.

Un an après son "Plaidoyer pour l'altruisme", le plus célèbre des moines bouddhistes français Matthieu Ricard revient avec son "Plaidoyer pour les animaux" (Editions Allary).

"C'est une extension de l'altruisme au-delà du cercle de nos proches et de l'espèce humaine. Les animaux sont des êtres sensibles", explique-t-il à l'AFP.

Alors loin de son monastère népalais de Shéchen, mais toujours vêtu de sa robe grenat et jaune, Matthieu Ricard court de conférence en interview, et égrène ses arguments, posément. "Tout le monde y perd", assure-t-il.

Le climat car l'élevage contribue à 14,5% des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines... La lutte contre la pauvreté car pour produire 1 kg de viande, il faut utiliser 10 kg d'aliments "qui pourraient nourrir les populations des pays pauvres qui les produisent"... et la santé car, insiste-t-il, "de vastes études épidémiologiques montrent qu'une consommation quotidienne de viande augmente de 15% la mortalité due au cancer et aux maladies cardiaques".

Mais s'il ne fallait qu'un argument, ce serait celui-là: "toute souffrance infligée qui n'est pas nécessaire, et encore plus la mort, est plus que discutable moralement".

Il faut accepter, dit-il, de voir la réalité des élevages industriels et les abattoirs.

"On confine les animaux dans des boxes, on sépare à la naissance les mères de leurs petits, on commence à dépecer des animaux conscients qui ont momentanément survécu à ce qui était censé les mettre à mort ou on les broie vivants dans des vis sans fin (c'est le sort réservé à des centaines de millions de poussins mâles chaque année)", écrit-il. Entre autres.

-'Races monstrueuses'-

Sans parler des "races monstrueuses" qu'on a créées, comme ces vaches "complètement artificielles qui donnent 28 litres de lait quand une vache normale donne 5 litres par jour" et ces truies qui "enfantent 28 porcelets à chaque portée".

Le moine, également docteur en génétique cellulaire, connaît bien les arguments qu'on lui opposera, et prend un plaisir certain à les contrer.

La réalité de la souffrance animale? "On a dit que les animaux ne souffraient pas. Ensuite, on a dit: +ok, les mammifères sont comme nous mais les poissons ne souffrent pas+. Et puis, les scientifiques ont montré que les poissons souffraient, et que les homards souffraient, que les crabes souffraient".

La supériorité de l'homme? "C'est difficile de parler de supériorité absolue. Les barges rousses d'Alaska n'ont pas composé l'Art de la fugue de Bach, mais elle n'en ont pas besoin pour survivre! Il leur est plus utile de pouvoir s'orienter sous les étoiles pour voler 10.000 km vers la Nouvelle Zélande".

Et de décrire aussi ces expériences scientifiques qui ont mis en évidence les capacités cognitives impressionnantes, et longtemps ignorées, de nombre d'animaux, du chimpanzé au corbeau.

L?élevage artisanal? "C'est toujours mieux, mais c'est comme si on disait: +Ecoutez, à la fin on va vous torturer, mais jusque-là, on vous traitera très bien+".

Et la souffrance des hommes? "J'ai entendu: +N'est-ce pas un peu indécent d'écrire sur les animaux alors qu'il y a la Syrie?+".

"Comme si on avait à choisir? On ne fait pas ce reproche à ceux qui font autre chose que de s'occuper des souffrances de leur prochain, comme de faire du jardinage ou jouer au tennis!".

"Je m'occupe de 140 projets humanitaires, nous soignons 100.000 patients en Inde, au Tibet, au Népal. Ce n'est pas au détriment de ces projets que je m?intéresse aux animaux. C'est souvent une échappatoire facile pour ceux qui ne s'occupent ni des uns, ni des autres..."

Non, pour Matthieu Ricard, l'affaire est bien plus simple. Les gens "aiment" manger de la viande, et "parce qu'ils aiment ça, ils ne veulent pas trop savoir".

Lui aussi a mangé de la viande, jusqu'à l'âge de 20 ans. "La côtelette d'agneau, je trouvais ça plutôt bon. Mais ne peut-on pas sacrifier nos papilles gustatives à la vie d'autrui?", demande-t-il.

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