Quand les politiques comprendront-ils que le travail n’est plus une vache à lait ?
La réforme fiscale est un nouveau mélange de "shift", de "cut", et de "pfff". Sans ambition ni vision. Une chronique signée Emmanuel Degrève, conseil fiscal, Partner chez Deg&Partners Professeur à l’Ephec, président du Forum For the Future.
Publié le 21-03-2023 à 08h27
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Le constat : tous les métiers sont en pénurie. Il faut remonter très loin pour retrouver une telle crise de l’emploi. La pénurie de travailleurs en Belgique mais aussi à l’étranger est un constat implacable.
La liste 2022 du Forem n’a jamais dénombré autant de fonctions pour lesquels des tensions sont relevées. Autre enseignement de cette étude : parmi les 141 métiers repris dans la liste, pour 37 d’entre eux, plus d’un tiers des travailleurs sont âgés de plus de 50 ans. Le vieillissement de la population pour ces métiers pourrait accentuer les tensions observées lors des départs progressifs à la pension. Enfin, l’étude constate qu’au-delà d’un contexte économique fluctuant, les tensions pour certains métiers acquièrent un caractère plus structurel.
Côté néerlandophone, c’est pire encore selon le VDAB : en 2023, la liste des métiers en pénurie comporte 234 professions, soit 27 de plus que l’année 2022.
Les nombreuses raisons des pénuries
On dénombre principalement quatre accélérateurs de la pénurie depuis 2019. Il y a d’abord le Covid qui a affecté la santé physique et mentale des travailleurs. Le nombre de travailleurs en maladie de longue durée n’a jamais été aussi important (500 000 fin 2022, soit 1,5 fois plus que le nombre de chômeurs). Un chiffre éclairé par l’évolution du nombre de burn-out et de dépressions qui s’élève à 46 %, mais aussi par la statistique sur les jeunes entre 25 et 44 ans qui sont de plus en plus malades. Cette observation se complète aussi des circuits d’immigration qui ont été "gelés" durant la pandémie alors qu’ils assurent 5 % de la main-d’œuvre mondiale.
Les évolutions des attentes des travailleurs et, en particulier, leurs attentes salariales sont également un nouveau facteur crucial. Selon Randstad, 62 % des employés du monde entier considèrent le salaire comme la principale motivation pour changer d’emploi. Tandis que Monster estime que 95 % des employés sont ouverts à un changement d’emploi.
Troisième critère : le vieillissement de la population. L’OMS estime qu’en 2030, une personne sur six dans le monde sera âgée de 60 ans ou plus. D’ici 2050, la population mondiale des personnes âgées de 60 ans et plus doublera (2,1 milliards).
Enfin, dernier critère : le déficit de compétence technologique. Selon le cabinet Mackinsey, 87 % des entreprises rencontreront prochainement des déficits sur ce point.
Les répercussions
La pénurie de travailleurs n'est pas sans conséquences. Elle influe sur la croissance des entreprises mais également sur leur fonctionnement. La perturbation des circuits logistiques est une donnée qui redistribue progressivement une forme de soft power économique.
La pénurie de travailleurs contribue aussi à une inflation qui amplifie les désirs des jeunes travailleurs et la tension dans certaines industries. Enfin, elle pénalise les entreprises les moins préparées face à une obligation de transformation digitale, cette dernière n’étant ou ni payable, ou ni opérable rapidement faute de talents. La sanction peut être sévère car, dans un monde global, les entreprises les plus compétitives s’imposeront à nous. Le risque pour l’environnement belge est sérieux.
Soyons créatifs !
Pendant ce temps, notre gouvernement réfléchit. Mais réfléchit-il à l’avenir ou au présent ? Illustrations.
La réforme fiscale augmente le pouvoir d’achat de façon non linéaire. Certains travailleurs sont récompensés, d’autres, pénalisés, car ils disposent aujourd’hui d’avantages fiscaux alternatifs ou parce qu’ils sont mariés. Mais dans un monde de compétition, le législateur doit prendre conscience du monde extérieur. Aujourd’hui, tous nos voisins sont plus compétitifs sur la fiscalité du travail. On ne peut donc compenser une baisse fiscale qu’en dehors de ce périmètre, et cette réforme doit tout au moins nous mettre au niveau de nos voisins. Ce résultat ne sera atteint que si nous baissons davantage cette pression.
Mais notre État est exsangue… Comment faire alors ? Nous pourrions, par exemple, autoriser les entreprises à distribuer un dividende social, préalablement à un dividende classique. Cette disposition produirait un résultat net immédiat sur le pouvoir d’achat et la satisfaction du travailleur et ne coûterait pas un euro au budget de l’État…
Autre exemple : le positionnement du ministre sur les piliers de pension. Selon le FMI, avec l’allongement de la vie, la jeune génération devra épargner davantage et différer de quelques années son départ à la retraite. Comment peut-on rendre compatible un durcissement des régimes où les entreprises et les travailleurs se responsabilisent face à leur destin tandis que, parallèlement, tous les indicateurs suggèrent une faillite potentielle du régime national des pensions… Réformer les pensions intelligemment devrait amplifier les capacités contributives personnelles au cours de notre plan de carrière moyennant l’abandon d’une partie de sa pension légale (qui reste faible) : une vision innovante qui responsabiliserait le contribuable et réduirait le déficit structurel de notre État.
Les bouleversements sont nombreux et ils s’amplifient autant en quantité qu’en puissance. La politique de papa est dépassée. Nous devons attendre de nos politiciens audace et solutions contemporaines. Tel est le vœu de nombreux citoyens !