Livret d'épargne: les banques vont-elles devoir relever leurs taux sous la pression politique?
Les critiques ont fusé ces derniers jours pour que les banques relèvent les taux sur les comptes d’épargne. Le secteur ne voit pas d’un bon oeil d’éventuelles mesures qui pourraient “affaiblir la stabilité du secteur”.
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Publié le 21-05-2023 à 17h53 - Mis à jour le 22-05-2023 à 08h21
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La politique de taux d’intérêt des banques risque bien d’être un des thèmes majeurs des prochaines élections en Belgique. A un an du scrutin, ce sont les socialistes flamands (Vooruit) qui ont fait les premiers une sortie remarquée en critiquant la rémunération jugée trop faible sur le livret d’épargne, compte tenu de la hausse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE), qui sont remontés à 3,5 % ces derniers mois. En février 2023, le taux moyen sur les dépôts d’épargne des banques belges se limitait à 0,35 % d’après les chiffres de la BCE alors que cette dernière avait déjà relevé ses taux à 3 % pour lutter contre l’emballement de l’inflation.
”Sur le dos des clients”
”Il n’est pas normal que les taux d’intérêt appliqués aux emprunts soient beaucoup plus élevés que les taux d’intérêt que les épargnants perçoivent sur leurs comptes”, a expliqué ce vendredi Melissa Depraetere, chef de groupe des socialistes flamands à la Chambre. Vooruit réagissait ainsi à la lettre de mise en demeure envoyée par Vincent Van Peteghem à la fédération bancaire Febelfin. Dans cette lettre, le ministre des Finances CD&V fait état d’une pression sociale accrue en faveur d’une augmentation des taux appliqués aux comptes d’épargne. “Le ministre Van Peteghem peut écrire autant de lettres qu’il veut, nous savons tous que cela n’impressionne pas les banques. Le ministre lui-même devrait intervenir et obliger les banques à accroître leurs taux d’intérêt. Il est inacceptable que les banques fassent des profits sur le dos de leurs clients et qu’en plus, elles réduisent encore leurs services”, ajoutait Melissa Depraeter.
Tout en “appuyant” la demande du ministre des Finances, Alexia Bertrand (Open VLD), la secrétaire d’Etat au Budget et à la protection des consommateurs, voudrait elle aussi aller un pas plus loin. Elle estime qu’il y a moyen “d’augmenter la concurrence” via le compte e-DEPO, qui est géré par la Caisse des dépôts et consignation (CDC) sous la tutelle du Trésor belge. “La lettre ne suffira pas. Je voudrais avoir une discussion avec Vincent Van Peteghem pour rendre ce compte plus attrayant”, nous explique-t-elle.
Rémunération plus élevée
Ce compte e-Depo présente beaucoup de similitudes avec le livret d’épargne mais offre une rémunération nettement plus élevée. Jusqu’il y a quelques semaines, le taux d’application était celui des obligations d’Etat (Olo) à un an à condition que l’argent soit placé pendant un an. On est donc dans la même logique que la prime de fidélité des livrets d’épargne sauf que ces derniers bénéficient d’exemption de précompte mobilier. Le ministre des Finances a toutefois décidé de plafonner le taux de l’e-DEPO à 2,50 % alors qu’actuellement l’obligation linéaire belge (OLO) à un an s'affiche à 3 %. Une décision qu’il a prise “tout seul”, explique Alexia Bertrand, et qui suscite des interrogations. “L’idée d’un plafond peut se comprendre, mais pourquoi ne pas avoir fixé une limite qui est liée à l’évolution des taux, par exemple 0,50 % de moins que l’Olo à un an”, nous explique un expert financier qui se demande si le ministre des Finances n’a pas voulu faire un geste vis-à-vis des banques pour atténuer leur mécontentement d’avoir augmenté leur contribution pour le fonds de garantie.
Résistance des banques
Autre piste envisagée en dernier recours par Alexia Bertrand : augmenter le taux minimum sur les carnets de dépôts actuellement fixé à 0,11 %. “Il faut malheureusement brandir cette menace comme arme ultime”, nous précise-t-elle. D’autant que pour elle, “les banques pourraient être plus transparentes et plus correctes” dans leur offre. Et de juger “pas normal” que plusieurs grandes banques du pays, dont Belfius (détenue à 100 % par l’Etat belge) imposent l’ouverture d’un nouveau compte pour bénéficier des taux les plus élevés. “Dès lors que l’Etat accorde une exonération du précompte mobilier, qui équivaut à un soutien étatique, il n’est pas anormal qu’il ait son mot à dire”, estime-t-elle.
Alors, assiste-t-on à un débat de fond ou à une agitation politique pré-électorale qui ne mènera à aucune mesure concrète ? Le secteur bancaire s’est fendu d’un communiqué un dimanche de long week-end de l’Ascension pour expliquer qu’une intervention du gouvernement “pourrait affecter profondément la stabilité du secteur bancaire”. Ce qui tend à prouver qu’il sent la pression monter mais montre aussi qu’il compte bien y résister dans les limites du possible.
“Il y a des marges pour que les banques puissent augmenter leur taux”
Dans un communiqué publié ce dimanche, Febelfin, la Fédération du secteur bancaire en Belgique, souligne qu’une intervention inconsidérée des pouvoirs publics dans le mécanisme délicat du refinancement des banques pourrait affecter profondément la stabilité du secteur bancaire. Elle rappelle que le taux de l’épargne n’est pas uniquement déterminé par le taux de dépôt de la BCE. Tout comme elle souligne qu’il n’est pas correct de comparer un à un les taux de l’épargne à court terme avec les taux de la production récente de crédits immobiliers et aux entreprises à long terme. “En effet, la hausse des taux d’intérêt s’applique à l’ensemble du portefeuille de l’épargne réglementée, ce qui n’est pas le cas pour le portefeuille de crédits”, explique la fédération. “Les taux d’intérêt sur le compte d’épargne s’appliquent à des volumes importants. Concrètement, il y a environ 300 milliards de dépôts réglementés. Une augmentation de 100 points de base des taux, soit 1%, sur l’épargne coûte trois milliards d’euros au secteur”, calcule-t-elle.
Dans une récente étude, Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management (Paris, Lille), démonte cet argument des banques. “A part pour les prêts immobiliers, ces hausses du taux moyen sur les encours de prêts restent supérieures à l’augmentation du taux moyen sur les dépôts d’épargne. Et surtout, les banques belges ont 262 milliards d’euros de liquidités excédentaires sur les facilités de dépôt à la BNB, sur lesquelles elles reçoivent le taux à 3%. En Belgique il y a donc des marges pour que les banques puissent augmenter les taux sur les dépôts d’épargne”, estime le professeur.