Fin de l’avantage fiscal pour les développeurs : la "tech" belge cherche la parade
Malgré un flou juridique, les entreprises du secteur IT ont perdu l’atout lié à la fiscalité sur les revenus des droits d’auteur. Elles s’interrogent sur la manière d’amortir le choc financier.
- Publié le 01-08-2023 à 08h05
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Si le gouvernement fédéral a dû acter, à la veille du 21 juillet, l’échec de la réforme fiscale longtemps promise par la Vivaldi, le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), se consolera avec la réforme de la fiscalité sur les revenus des droits d’auteur. On s’en souvient : l’annonce, à l’automne, de la suppression de cette “niche” fiscale avait provoqué une levée de boucliers. Le secteur de l’IT et les entreprises technologiques, du sud comme du nord du pays, montèrent aux barricades pour dénoncer un projet ayant pour conséquence d’exclure les développeurs de logiciels du régime droit d’auteur.
Face à la contestation et au désaccord du MR, pourtant partenaire du gouvernement De Croo, le ministre des Finances ne plia pas. Le 22 décembre, après une ultime passe d’armes, une loi-programme – dans laquelle figurait la réforme du régime fiscal sur les droits d’auteur – était votée au Parlement, et ce, moyennant une petite réécriture du texte (qui, comme on le lira par ailleurs, a plongé le secteur de l’IT, l’écosystème tech, les avocats et les conseillers fiscaux en eaux troubles).
Ainsi, depuis le 1er janvier, un nouveau régime fiscal sur les revenus des droits d’auteur est d’application (avec une période transitoire d’un an). Pour faire bref, on en est revenu à un régime davantage en ligne avec l’esprit de la loi originelle de 2008 (protéger les revenus, perçus de manière “irrégulière et aléatoire”, provenant de la création d’œuvres littéraires ou artistiques), avec un champ d’application réduit et des conditions renforcées.
La fin des illusions ?
Sept mois après l’entrée en vigueur de ce régime, les voix critiques ont fait place à une forme de résignation et d’inquiétude chez les entreprises qui, pendant plusieurs années, ont bénéficié d’un avantage fiscal leur permettant de proposer des salaires plus attrayants aux informaticiens et aux développeurs. Si certains ont décidé de ne pas lâcher le morceau (sept sociétés informatiques et 70 développeurs de logiciels ont récemment saisi la Cour constitutionnelle), la très grosse majorité des entreprises concernées ne se fait plus guère d’illusions. “J’ai essayé de vendre la solution d’un recours à mes clients”, explique David De Backer, cofondateur du cabinet fiscal Egide, qui conseille plusieurs gros employeurs et une centaine d’indépendants du secteur de l’IT (lire aussi ci-contre). “Ils m’ont tous répondu par la négative, considérant que c’était peine perdue”.
"Nos employés, dont environ 70 % touchent une partie de leur rémunération en droits d’auteur, sont forcément inquiets et ils commencent à nous interroger sur ce qui se passera à partir du 1er janvier 2024.”
Du côté des entreprises, beaucoup d’employeurs s’interrogent sur la façon dont ils vont pouvoir contourner l’obstacle de la fin des droits d’auteur pour les informaticiens et développeurs de logiciels. “Jusqu’à la fin de cette année, nous sommes couverts par un ruling fiscal, témoigne Eric Delacroix, cofondateur d’Eura Nova, société spécialisée dans le “Big Data” et l’intelligence artificielle, qui emploie une grosse centaine de personnes à Louvain-la-Neuve. Mais nos employés, dont environ 70 % touchent une partie de leur rémunération en droits d’auteur, sont forcément inquiets et ils commencent à nous interroger sur ce qui se passera à partir du 1er janvier 2024”. Initialement, Eura Nova avait fait un usage parcimonieux des droits d’auteur. Mais, face à des concurrents plus agressifs, la société avait fini par les systématiser. “Lors de recrutements, des candidats nous montraient ce que des concurrents leur proposaient comme salaires nets. On n’avait pas trop le choix”.
Une perte sèche pour certains employés
Dans l’ancien régime fiscal, selon le pourcentage de la rémunération déclarée en droits d’auteur, le gain pouvait être important pour les informaticiens et les développeurs. Avec une taxation des droits d’auteur comprise entre 7,5 % et 15 % (le taux d’imposition varie en fonction du type de précompte et des tranches de revenus), le surplus de salaire pouvait facilement atteindre entre 200 et 600 euros nets par mois.
La question qui se pose, à présent, est de savoir l’attitude que les employeurs du secteur vont adopter quand, dès la fin du mois de janvier 2024, des employés découvriront leur fiche de paie amputée de quelques centaines d’euros. “On cherche, dit Eric Delacroix. Mais, à l’heure où je vous parle, on n’a pas encore la réponse à cette question”. Les patrons, surtout ceux qui dirigent des entreprises IT de plus petite taille (start-up, scale-up, PME), sont d’autant plus soucieux qu’ils ont déjà vu leur masse salariale enfler significativement au cours des derniers mois. “Notre budget RH a explosé, confirme le cofondateur d’Eura Nova. Entre 2022 et 2023, rien que l’indexation de 11 % a représenté une surcharge de 800 000 euros”.
Pour Caroline Vandenplas et Geoffroy Piroux, managing partners de B12 Consulting (société spécialisée en intelligence artificielle, data science et développement de logiciels), c’est également le flou qui préside. “Les employés nous posent des questions. Ils sont inquiets”, disent-ils, ajoutant au passage être déçus de voir l’État belge supprimer son soutien à l’innovation et à la création de produits intellectuels dans le domaine du numérique et des logiciels. B12, qui emploie une quarantaine de personnes, considèrent qu’avec la fin du régime des droits d’auteur pour les développeurs, l’étranger va redevenir très attractif. “Entre 80 et 90 % de nos coûts sont représentés par les salaires. Si on veut rester compétitif, il va falloir qu’on s’adapte”.
Se tourner vers l’étranger ?
Comment, dans un contexte de “guerre des talents”, rester compétitif et rentable ? La question, pour de nombreuses sociétés IT et tech belges, est désormais celle-là. L’enjeu est d’autant plus critique que le secteur est devenu un important pourvoyeur d’emplois hautement qualifiés. “Si on veut maintenir le salaire net de nos employés (en augmentant le salaire brut, NdlR), on sera contraint d’augmenter nos tarifs, ce qui est difficilement envisageable alors qu’on veut croître”, soulignent Caroline Vandenplas et Geoffroy Piroux.
Avant même l’adoption de la réforme fiscale des droits d’auteur, B12 Consulting s’était d’ailleurs décidé de s’étendre au-delà des frontières belges (tout en maintenant le cœur de la société en Belgique). Cette stratégie d’internationalisation va-t-elle être accélérée par la perte de l’avantage fiscal que B12 proposait à ces développeurs et concepteurs de solutions logicielles ? “Le droit d’auteur n’est pas la raison première. Mais la réforme vient, d’une certaine manière, conforter notre choix. C’est aussi, pour B12, une façon d’assurer la pérennité de la société et de mitiger le risque européen”, répondent Mme Vandenplas et M.Piroux.
Le CEO d’une start-up bruxelloise active dans la tech, qui préfère garder l’anonymat, se montre assez pessimiste sur la pérennité de sa société. Sur la quinzaine d’employés, la moitié est des développeurs. “Soit ils acceptent de revenir à la situation d’avant l’utilisation des droits d’auteur, soit ils me demanderont de compenser. Mais pour compenser 200 euros net en brut, ça me coûtera environ 600 euros ! Je me retrouve dos au mur”.