Damien Ernst dans un “trip” nucléaire: il propose de construire 8.532 centrales
Il a écrit ce scénario à la demande de Jean-Pol Poncelet, l’ancien ministre belge de l’Énergie, et ancien conseiller de la société française Areva, active dans le nucléaire. “Je suis parti dans un scénario 100 % nucléaire, explique Damien Ernst. Il faudrait 8532 EPR, les gros réacteurs de troisième génération, pour couvrir la consommation finale d’énergie du monde entier”. Ce nombre est à comparer aux 449 réacteurs en activité dans le monde, fin 2018.
Publié le 05-11-2019 à 19h28 - Mis à jour le 06-11-2019 à 09h48
Le professeur a imaginé un monde où 8532 réacteurs nucléaires couvriraient les besoins énergétiques de la Planète.
Décidément, Damien Ernst ne jure plus que par le nucléaire. Après s’être positionné en faveur de la prolongation des centrales belges, le médiatique professeur de l’ULiège a imaginé un monde où la totalité des besoins énergétiques seraient couverts par l’atome.
Il a écrit ce scénario à la demande de Jean-Pol Poncelet, l’ancien ministre belge de l’Énergie, et ancien conseiller de la société française Areva, active dans le nucléaire. " Je suis parti dans un scénario 100 % nucléaire, explique Damien Ernst . Il faudrait 8532 EPR, les gros réacteurs de troisième génération, pour couvrir la consommation finale d’énergie du monde entier”. Ce nombre est à comparer aux 449 réacteurs en activité dans le monde, fin 2018.
Avec cette prise de position, Damien Ernst risque de choquer. “ C’est un trip, je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise idée, je dis que c’est possible”, répond le professeur.
Comment va-t-il alimenter ces 8532 réacteurs en uranium ? Selon lui, la terre pourrait fournir de l’uranium en suffisance pendant 56 ans. Et si cela ne suffit pas ? Il préconise d’aller puiser dans l’océan. “ En absorbant 10 % des ressources de la mer en uranium, il est possible d’alimenter 8532 réacteurs durant 350 ans”, ajoute Damien Ernst. Comment faire pour puiser ces ressources dans l’océan ? “ Avec une barge de 853 km² qu’on laisse flotter sur la mer, il est possible de récolter les besoins annuels en uranium”, précise le professeur.
Cette prise de position est assez surprenante alors que le coût des EPR explose un peu partout dans le monde. À Flamanville, le budget initial de 3,5 milliards d’euros va finalement exploser à 12,4 milliards d’euros .
Mais selon le professeur Ernst, ce coût, ramené sur une durée de vie de 60 ans, doit être nuancé. Selon lui, la centrale de Flamanville produira de l’électricité pour un coût raisonnable de 39,9 euros/MWh tout compris, alors que la centrale russe de Beloïarsk descendra, elle, à 28,5 euros/MWh.

Le photovoltaïque moins cher
Ce prix ne permet cependant pas de lutter avec le photovoltaïque, dont le coût descend, selon le professeur, jusqu’à 15 euros/MWh dans certaines régions très ensoleillées comme l’Arabie saoudite. “Le vrai danger pour le nucléaire, c’est le photovoltaïque, explique Damien Ernst . Associé à un réseau mondial d’électricité, il peut rendre l’énergie nucléaire non compétitive”.
Le global grid, ou le réseau mondial d’électricité, est l’autre grand dada du professeur Ernst. Il s’agit d’acheminer l’électricité renouvelable, produite dans les régions du monde où les conditions sont les plus favorables, vers les pays de consommation. “Dans un contexte de réseau mondial, l’énergie renouvelable sera probablement beaucoup moins chère que l’énergie nucléaire”, explique Damien Ernst.
A contrario, associer le renouvelable aux batteries de stockage risque de coûter trop cher, selon le professeur de l’ULiège.
Une autre technologie qui pourrait mettre à mal la compétitivité du nucléaire est le power-to-gas, estime Damien Ernst. Et cela même sans le développement d’un réseau mondial d’électricité. Il s’agit, notamment, de produire de l’hydrogène vert à partir de l’excédent de production d’électricité renouvelable. Cet hydrogène peut ensuite être utilisé pour produire de l’électricité quand le besoin s’en fait sentir.
Selon Damien Ernst, l’industrie nucléaire va donc devoir innover pour rester compétitive face au power-to-gas, et en cas d’émergence d’un réseau mondial d’électricité. “Il va falloir produire des réacteurs en série avec un design amélioré, explique-t-il. Un élément important serait aussi de récupérer la chaleur produite par les centrales nucléaires pour décarboner le chauffage. Ce serait plus facile de le faire à partir de petits réacteurs, car la chaleur est difficile à transporter sur de longues distances”.
“Déconnecté de la réalité”
En ce qui concerne la gestion des déchets nucléaires, Damien Ernst a une solution étonnante : les envoyer sur la Lune… “ Les fusées vont devenir de plus en plus sûres, développe-t-il. Aller sur la Lune pourrait bientôt devenir aussi banal que traverser l’Atlantique”. Quid en cas d’accident ? “ Ce n’est pas si grave, il est possible de bunkeriser les déchets, assure Damien Ernst. On peut aussi lancer la fusée au-dessus de l’océan, ce qui permet d’éparpiller les déchets en cas d’accident. Envoyer de la matière radioactive dans l’espace, c’est quelque chose qui existe déjà. Les Russes alimentent déjà leurs satellites avec des réacteurs nucléaires”.
Nous avons contacté l’expert français Yves Marignac, afin de lui soumettre le scénario, très théorique, de Damien Ernst. “Penser qu’on va couvrir la totalité des besoins de la Planète avec du nucléaire est totalement déconnecté de la réalité, estime-t-il. De nombreuses régions du monde ne disposent pas d’un réseau suffisamment robuste pour connecter des EPR. En outre, il serait impossible de construire des centrales à une telle vitesse...”.
L’expert français remet également en question le coût de 39,9 euros/MWh avancé par Damien Ernst pour Flamanville. “L’EPR de Flamanville a dépassé les 100 euros/MWh et n’est compétitif avec quasiment aucune technologie”, assure Yves Marignac.
"Déjà, à l'origine du projet, un coût de 32 euros/MWh avait été annoncé pour Flamanville, ajoute Yves Marignac. Entre-temps, le coût du chantier est passé de 3,5 à 12,4 milliards d'euros, presque quatre fois plus. Or les coûts d'investissement sont primordiaux dans le prix de revient de l'électricité nucléaire. On est maintenant passé au dessus de 100 euros/MWh".
Selon lui, ce prix serait d'ailleurs encore plus élevé si la consommation mondiale d'électricité devait être couverte à 100% par du nucléaire. "A moins que la consommation mondiale d’électricité reste stable à tous moments, il faudra couper des centrales à certains moments, déclare Yves Marignac. Ces arrêts vont encore augmenter les coûts de production"