"Il faudra mobiliser des montants astronomiques pour atteindre les objectifs de Paris"
Publié le 10-12-2019 à 08h37 - Mis à jour le 12-12-2019 à 09h19
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L’Agence internationale des énergies renouvelables propose des solutions pour sécuriser les investissements.
Combinées à l’efficacité énergétique et à une électrification substantielle des secteurs du transport et du chauffage, les énergies renouvelables pourraient permettre d’atteindre 90 % des objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par l’accord de Paris, selon Irena, l’Agence internationale des énergies renouvelables. Mais les investissements dans le secteur, s’ils ont progressé de manière spectaculaire ces dernières années, restent insuffisants. Jef Vincent, un compatriote qui travaille sur la question du financement des renouvelables pour Irena, nous offre son éclairage.
En quoi la question de l’investissement est-elle cruciale ?
Il faudra mobiliser des montants astronomiques pour atteindre les objectifs de Paris. Ils sont à investir dans des mesures d’efficacité énergétique, dans une augmentation substantielle de l’électrification - la part de l’électricité dans la consommation devrait passer de 20 %, aujourd’hui, à 50 % en 2050 -, ainsi que dans de nouvelles capacités de production d’énergies renouvelables. Combinées à l’augmentation de l’efficacité énergétique et à l’électrification du secteur des transports et du chauffage, les énergies renouvelables pourraient permettre d’atteindre 90 % des objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par l’accord de Paris. C’est possible. Mais pour y parvenir, il faudrait notamment augmenter de 6 fois les capacités renouvelables à installer par rapport à ce que les gouvernements ont prévu d’ici 2050. Or, cela reste coûteux, de l’ordre d’un million et demi d’euros par mégawatt en nouvelle capacité installée. C’est plus cher pour du géothermique, un peu moins pour le solaire, mais cela vous donne une idée.
Pourtant, on entend beaucoup, aujourd’hui, que les renouvelables n’ont jamais été aussi bon marché…
C’est vrai de manière générale. Pour produire davantage d’énergie aujourd’hui, où que ce soit et sur tous les marchés, ce sont les sources d’énergie renouvelables qui sont les moins chères. Les coûts de production continuent de chuter pour toutes les technologies disponibles sur le marché. Mais cela dépend aussi du pays. S’il a une bonne réputation, comme la Belgique, l’investisseur peut emprunter de l’argent à un taux très faible, et le renouvelable peut alors être tout à fait concurrentiel. Mais il en faut beaucoup. Et cela veut dire qu’il faut se séparer des installations plus polluantes, pour lesquelles les pouvoirs publics ont souvent signé des contrats de longue durée. Une rupture de contrat peut être très coûteuse. Il faut aussi penser à l’infrastructure de distribution. En Guinée, par exemple, la moitié de l’électricité produite se perd, car le réseau est extrêmement vétuste.
Quels sont les principaux freins à l’investissement ?
De nouveau, ils sont très différents d’un pays à l’autre. En Belgique, ce sont par exemple les objections des riverains qui ne veulent pas de turbines près de chez eux, mais aussi le coût du terrain, qui est très significatif en Europe de l’Ouest. Dans les pays en voie de développement, c’est surtout le coût du financement. Une entreprise qui veut y financer une nouvelle installation peut payer des taux d’intérêt de 13 à 14 % aux banques, parfois davantage, là où, en Europe, ils sont est en général de moins de 2 %. Si le producteur indépendant d’électricité emprunte de l’argent à ce taux, il doit adapter son prix de vente. C’est là que ça coince. Il est très impopulaire d’augmenter les prix de l’électricité au prétexte qu’elle devient verte. On l’a vu en Côte d’Ivoire. Le gouvernement a décidé de hausser les prix avant de faire marche arrière suite à des émeutes. Désormais, il investit à fond dans des centrales au gaz.
Le problème est aussi celui de la mitigation des risques.
Oui. Quand on investit dans une unité de production d’énergie renouvelable, on signe des accords d’achat d’énergie d’une validité de 20 ans. Lorsque le pays a un environnement légal et réglementaire bien structuré, les contrats d’achat d’énergie sont souvent bien équilibrés en termes de responsabilité. Mais il y a des pays où les risques sont nombreux. En vingt ans, il peut y avoir beaucoup de changements et les accords signés peuvent ne pas être honorés. Par exemple, des élections et un nouveau gouvernement qui dit : mais pourquoi avons-nous signé un truc aussi cher ? Dans la plupart des pays en voie de développement, les institutions publiques qui achètent l’électricité produite sont virtuellement en faillite. C’est pourquoi les investisseurs demandent une garantie souveraine, et se tournent vers le ministère des Finances pour contresigner le contrat, de manière à ce que ce dernier s’engage à payer si l’acheteur d’électricité ne suit pas. Mais le taux d’endettement de certains pays est tel qu’ils ne peuvent plus se permettre de faire ce genre de promesse. Beaucoup de projets meurent parce qu’il n’y a pas ce genre d’assurance.
C’est là que vous intervenez…
Il existe des solutions de mitigation des risques, mais beaucoup d’entreprises actives dans le secteur de l’énergie renouvelable ne les connaissent pas. Je crée pour l’instant une base de données qui recense toutes les solutions existantes. De cette façon, une entreprise qui veut investir dans un pays donné pourra simplement, en quelques clics, évaluer ses options pour faire face aux risques, qu’il s’agisse de non-paiement, d’instabilité politique, d’embargo, de terrorisme, de l’impossibilité de transférer l’argent gagné en dehors du pays ou de le convertir en devises lourdes comme l’euro et le dollar… En principe, des institutions multilatérales comme la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, la Banque africaine de développement et d’autres institutions financières peuvent émettre des garanties, mais c’est au cas par cas, pays par pays.
Et là où il n’existe pas de solutions ?
Nous intervenons pour en créer. Je vous donne un exemple. Dans les Caraïbes et les îles du Pacifique, où les besoins sont urgents, des PME veulent installer des panneaux solaires sur leur toit. Or, les banques n’aiment pas leur prêter de l’argent, car il y a souvent peu de documents financiers fiables, pas d’historique, un risque que l’entreprise s’effondre si le propriétaire meurt. Nous travaillons donc à la mise en place d’un fonds de garantie qui donnerait aux banques la certitude que si la PME ne paie pas, elles seront au moins en partie remboursées. On peut avoir un effet de levier significatif en offrant cette garantie. Je précise que l’argent du fonds de garantie ne viendra pas d’Irena. Ce que nous apportons, c’est notre expertise sur la manière de structurer ce type de fonds de garantie.
IRENA travaille aussi sur la création d’une plateforme pour l’investissement climatique…
Le but de cette plateforme est de permettre plus de coordination dans l’aide internationale aux pays en développement. Plusieurs institutions, Irena ou le Fonds vert pour le climat par exemple, font de l’assistance technique et envoient des experts qui ne disent pas toujours la même chose. Il y a aussi une duplication de travail, faute de coordination. Il y a moyen de faire mieux. D’autant plus qu’il y a une urgence. Dans la plupart des pays africains, il faut compter entre 5 et 9 ans entre le moment où quelqu’un prend l’initiative d’investir dans l’énergie renouvelable et celui où l’installation fonctionne. Cette plateforme, qui rassemble plusieurs institutions multilatérales, est pour l’instant en développement et les avancées seront présentées à la Cop25.
Le réchauffement climatique est surtout le fait des pays industrialisés. Dans certains pays africains, il semble qu’il y ait un sentiment de rejet par rapport au déploiement des renouvelables, une technologie coûteuse dans laquelle il leur faut investir pour répondre un problème qu’ils n’ont pas créé. L’avez-vous observé ?
Absolument. L’Afrique ne contribue que pour 4 % aux émissions de CO2 alors que c’est le continent qui subit le plus les conséquences du changement climatique. Je me trouvais dans un forum sur l’investissement à Johannesburg il y a peu, et c’est effectivement un problème qui a été soulevé à plusieurs reprises. Il y a le sentiment que les pays qui polluent le plus devraient porter plus de responsabilités.