Pascale Delcomminette (Awex): "La crise actuelle nous fait prendre conscience qu'il va falloir réorienter notre modèle de production"
Pascale Delcomminette, administratrice générale de l'Agence Wallonne à l'exportation et de Wallonie Brussels International, est forcément au coeur de la crise. Entretien avec le "visage" du commerce extérieur francophone. Pour elle, on ne pourra pas changer facilement les paradigmes de l'appareil productif européen, mais la crise actuelle amènera des changements...
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Publié le 31-03-2020 à 12h34 - Mis à jour le 18-04-2020 à 22h50
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Pascale Delcomminette, administratrice générale de l'Agence Wallonne à l'exportation et de Wallonie Brussels International, est forcément au coeur de la crise. Entretien avec le "visage" du commerce extérieur francophone. Pour elle, on ne pourra pas changer facilement les paradigmes de l'appareil productif européen, mais la crise actuelle amènera des changements...
"Ce qui me marque sans doute le plus dans cette crise, au-delà de la violence du choc, c'est la solidarité. Très vite, tous les acteurs de terrain, avec les autorités, se sont coordonnés pour tenter de répondre au mieux à l'urgence sanitaire, et à l'urgence économique. Cette coopération traduit une volonté réelle d'aller de l'avant, d'échanger les bonnes pratiques, de se soutenir les uns les autres, c'est à retenir.... Mais il y aura d'autres leçons à tirer de cette crise, d'autres sauts "quantiques" à orchestrer." Pascale Delcominette, administratrice générale de l'Agence Wallonne à l'exportation et de Wallonie Brussels International, est forcément au coeur de cette crise. Entretien avec le "visage" du commerce extérieur francophone.
L'une des réflexions que l'on entend le plus dans cette crise, porte sur notre dépendance à la Chine et à l'Inde quant à la production pharmaceutique...
Oui, c'est vrai, même si cette dépendance, pas seulement dans le secteur pharmaceutique d'ailleurs, est sur la table depuis de nombreuses années. Lors de la crise de 2008, lors de la crise des dettes souveraines de 2011-2012, et même lors des mesures protectionnistes prises par les Etats-Unis, cette question de la localisation de notre appareil de production faisait déjà couler beaucoup d'encre. Cela étant, en Wallonie, il faut signaler que contrairement aux autres Régions qui sont en léger déficit, nous sommes en excédent commercial dans ce secteur large de la pharmacie (biotechnologie compris, NDLR).
En chiffres, ça donne quoi pour la "pharma" ?
Nous sommes plus concrètement à un taux de couverture de 124,4% pour 2019, soit 3,2 milliards d’euros. La Wallonie a largement développé son secteur biotech, mais si on regarde les chiffres globaux, notre Région est toujours en positif, avec un taux de couverture de 128,2% (soit 10,7 milliards d’euros). A titre de comparaison, le taux de couverture de la Flandre est de 95,8% (déficit de 9,6 milliards d’euros). La Wallonie est définitivement une terre d’exportation. J'y vois le résultat du travail réalisé depuis des années dans le développement des pôles de compétences, même si, c'est vrai, quelques grands noms comme GSK et UCB portent une bonne part de ses résultats à eux seuls. Malgré tout, nous avons développé un écosystème performant dans ce créneau.
Mais on parle le plus souvent de produits à haute valeur ajoutée, alors que la crise que l'on vit a fait apparaître des lacunes dans les produits pharmaceutiques vitaux (principes actifs), de première nécessité.
C'est vrai. C'est clair que sur le terrain des principes actifs, nous sommes dépendants de l'Inde et de la Chine. Je pourrais aussi rajouter le Brésil et la Turquie. Notre dépendance à la pharmacie "low cost" est réelle. Pour la "pharma classique", donc hors vaccins et productions bio- pharmaceutiques, nous sommes dépendants à environ 90 % de l’étranger. Plus largement, l’Europe ne produit aussi que très peu de génériques (et la Belgique aucun). L’Inde joue là un rôle prépondérant. Une réflexion va devoir s'engager sur cette dépendance, c'est évident, mais on ne sera jamais auto-suffisant. On ne peut pas céder au football-panique mais on doit mieux maîtriser la question des stocks stratégiques, selon moi. La relocalisation de la production à faible valeur ajoutée, je n'y crois pas trop, pour des raisons logistiques, d'investissement, de coût de la main d'oeuvre, etc. Mais la constitution de stocks stratégiques, ainsi que leur renouvellement, occupe la tête de beaucoup de monde. Tout la comme la diversification du "sourcing", des sources d'approvisionnement. Il sera question, là, de réorientation, de "ne plus mettre ses oeufs dans le même panier". On doit positionner les résultats de cette analyse sur ces points autour de notre écosystème structurant qu'est le pôle "pharma". Il va nous falloir développer une nouvelle politique d'industrialisation à haute valeur ajoutée. Il y aura une réorientation de notre modèle, notamment dans la répartition des actifs, mais on ne pourra pas bouleverser les chaînes de production.
La qualité de l'importation des produits de première nécessité (comme les masques) soulève aussi beaucoup de questions. Les douanes bloquent certains arrivages en provenance de Chine, car on les as prévenus de cas possibles de malfaçons...
Cette question vit, c'est vrai. La KUL vient par exemple de refuser une livraison de masques récemment. A l'Awex, on en est conscient de cette problématique. Avec plaisir, on a d'ailleurs embrassé cette demande de vérification sur le terrain, en Chine, des entreprises avec qui on est en relation, pour vérifier les commandes, les certifications... Les collègues qui s'occupent de ce travail de vérification doivent vraiment être salués...
Un petit mot sur la gestion de cette crise?
Dès le début, on a vu un front commun de toutes les entités publiques, politiques et administratives. La coopération avec le fédéral s'est rapidement mise en place, je trouve, y compris en matière de communication.
Une révolution numérique est en train de se mettre en place dans les organisations du travail... Cela semble moins évident sur le plan administratif, où les procédures gagneraient pourtant à être encore simplifiées pour améliorer la gestion de cette crise...
C'est vrai... On a d'ailleurs fait des propositions à notre ministre de tutelle de simplifications administratives, de modifications réglementaires... Cela doit être au coeur de notre réflexion, et de notre action. Ce n'est pas toujours évident, parce qu'on rentre sur le terrain juridique, mais on va proposer de nouvelles mesures pour nous aider à surmonter cette crise. L'état d'esprit est ouvert à ce niveau, on sent une volonté d'aller plus loin sur ce plan-là aussi. Ce chantier fait partie des remises à plat qu'il faudra mener. La digitalisation, en termes d'organisation, de connaissance, de partage de connaissances, entre autres, va connaître un saut, c'est une évidence.
En quelques chiffres
1. La Wallonie présente, pour les produits pharmaceutiques, un taux de couverture de 124,4% (chiffres 2019), soit 3,2 milliards d’euros.
2. Le secteur de la santé au sens large (big pharma, R&D médicale, bio-industrie, équipements hospitaliers) représente l’un des secteurs phares de l’attraction d’investissements étrangers en Wallonie (environ 2 milliards EUR investis et 5000 emplois créés au cours de la dernière décennie).
3. + de 50% des exportations concernent des secteurs à fort contenu technologique contre environ 35% il y a 20 ans.
4. Le biopharma représente plus de 50.000 emplois en Wallonie (16.500 directs et 35.000 indirects, chiffres 2018). Depuis 2005, l’emploi a progressé d’une moyenne annuelle de 7,7%, et même 13% si on ne prend en compte que les PME.
5. La Wallonie entretient un léger déficit commercial avec la Chine en 2019 (-36,8 millions €) mais qui ne concerne pas les médicaments, en balance positive. Les principaux secteurs responsables de ce déficit sont les "machines et équipements électriques et électroniques" et, sans surprise, "les matières textiles et vêtements".
6. Quant à l’Inde, la Wallonie présente en 2019 un surplus commercial de 67,7 millions d’euros. Par contre, en ce qui touche plus spécifiquement les médicaments, la Wallonie a un déficit d’échanges de 27,9 millions d’euros.