"Si la crise continue, je lâche ma toge et j’entame une nouvelle carrière"
Après la crise du Covid, de plus en plus de jeunes avocats songent à quitter la profession pour des raisons économiques. La crise sanitaire n’est pas encore totalement derrière nous, mais les conséquences économiques se font sentir dans tous les secteurs. C’est notamment le cas au sein du monde de la justice, où, selon un sondage réalisé par le barreau francophone de Bruxelles, une part significative des avocats songent à quitter la profession s’il n’y a pas d’accalmie. C’est ce que nous a confié Maurice Krings, futur bâtonnier à l’Ordre français du barreau de Bruxelles. Aucun chiffre concret n’est actuellement disponible, confie l’avocat, mais le barreau n’en est pas moins inquiet, d’autant que la crise sanitaire actuelle ne fait que grossir le trait sur une triste réalité déjà bien connue au sein de la profession : le mal-être économique des avocats, surtout de ceux qui entament leur carrière. Robert Arys, ancien président de la commission interne du barreau francophone de Bruxelles, s’est penché sur la question il y a quelques années. "L’émoi est réel, d’autant qu’une accalmie semble difficile à imaginer. Les conséquences de la crise sont en cascade : les affaires sont reportées, donc il y a moins de prestations et moins de clients, alors que les charges sont maintenues. Et comme la crise touche tout le monde, le justiciable réfléchira à deux fois avant de consacrer un budget à un avocat. On ne sait pas comment cela va évoluer, mais les craintes sont énormes", indique l’avocat.
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- Publié le 23-06-2020 à 08h27
- Mis à jour le 23-06-2020 à 09h19
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Après la crise du Covid, de plus en plus de jeunes avocats songent à quitter la profession pour des raisons économiques.
La crise sanitaire n’est pas encore totalement derrière nous, mais les conséquences économiques se font sentir dans tous les secteurs. C’est notamment le cas au sein du monde de la justice, où, selon un sondage réalisé par le barreau francophone de Bruxelles, une part significative des avocats songent à quitter la profession s’il n’y a pas d’accalmie. C’est ce que nous a confié Maurice Krings, futur bâtonnier à l’Ordre français du barreau de Bruxelles.
Aucun chiffre concret n’est actuellement disponible, confie l’avocat, mais le barreau n’en est pas moins inquiet, d’autant que la crise sanitaire actuelle ne fait que grossir le trait sur une triste réalité déjà bien connue au sein de la profession : le mal-être économique des avocats, surtout de ceux qui entament leur carrière. Robert Arys, ancien président de la commission interne du barreau francophone de Bruxelles, s’est penché sur la question il y a quelques années. "L’émoi est réel, d’autant qu’une accalmie semble difficile à imaginer. Les conséquences de la crise sont en cascade : les affaires sont reportées, donc il y a moins de prestations et moins de clients, alors que les charges sont maintenues. Et comme la crise touche tout le monde, le justiciable réfléchira à deux fois avant de consacrer un budget à un avocat. On ne sait pas comment cela va évoluer, mais les craintes sont énormes", indique l’avocat.
"Mes parents m’aident pour payer mon loyer"
Ils sont nombreux à vouloir témoigner, mais tous refusent que leurs noms apparaissent. "Tout le monde se connaît dans ce milieu, et je ne veux pas que ma situation financière soit affichée, même si, au fond, ça n’a rien de surprenant, tout le monde sait qu’on bosse pour des clopinettes, mais là c’est trop. Si la crise continue, je lâche ma toge et j’entame une nouvelle carrière dès septembre. J’aime mon métier, mais je ne peux pas en vivre. Ce sont mes parents qui m’aident pour payer mon loyer, et à mon âge c’est frustrant", raconte Michel (prénom d’emprunt), avocat d’une trentaine d’années qui, à l’heure actuelle, pratique dans la région liégeoise.
"Pratiquer est un grand mot. Si mon maître de stage ne m’avait pas gracieusement filé quelques clients, je serais chez moi à me demander quoi faire. Toutes les affaires sont reportées ou presque, depuis quelques semaines je me tourne les pouces. Au moins, ça permet de se remettre en question et de se demander si c’est ce que je veux faire toute ma vie ou s’il n’est pas temps de changer de route dès aujourd’hui", poursuit le jeune homme.
800 euros bruts par mois
Le cas de ce jeune avocat est loin d’être anecdotique. Céline (prénom d’emprunt) a quitté la profession après trois années d’expérience. "Le résultat de ce sondage ne m’étonne absolument pas. J’ai beaucoup d’amis qui songent à quitter la profession, et cette envie existait déjà avant le Covid, qui ne fait qu’accentuer une amertume déjà bien présente. Ce sondage a été réalisé au sein du barreau de Bruxelles, mais ailleurs la crise est bien plus importante. Dans le Brabant wallon, un avocat stagiaire touche 800 euros bruts par mois, autant vous dire que c’est intenable", explique la jeune femme, qui est aujourd’hui juriste dans une association.
Une vie moins palpitante, mais qui permet surtout d’avoir plus de temps pour soi. "J’ai adoré mon expérience en tant qu’avocate, mais c’est très chronophage. On a des journées interminables pour un salaire dérisoire, et ça ne concerne pas que les stagiaires, mais une bonne partie des avocats qui démarrent. Quand on sort des universités, on lutte pour avoir une place et on accepte un statut inacceptable pour trois fois rien", poursuit Céline.
Faire évoluer le modèle économique
Selon la jeune femme, les futurs avocats devraient être davantage informés sur l’avenir de la profession, déjà pendant leurs études. "Un conseil à ceux qui étudient le droit : faites un stage, au moins en observation, ça vous permettra d’appréhender ce qui vous attend." Alexiane Wyns, jeune avocate, estime que cette crise doit permettre d’entamer une véritable réflexion au sein de la profession, notamment sur le modèle économique des avocats.
Cette avocate entrepreneuse a lancé son propre cabinet il y a quatre ans, après quelques réflexions sur la profession. "Je suis restée avocate, je n’ai pas quitté la profession, mais je peux comprendre, vu la conjoncture actuelle, que certains songent à une réorientation. Pour ma part, j’ai développé mes propres activités comme on développe une entreprise : en me basant sur le modèle d’une start-up et pas sur un modèle de cabinet classique. Le modèle économique en vigueur dans la profession ne me satisfaisait pas et, à mon sens, il doit évoluer, tout comme la façon de facturer doit évoluer. Je construis une relation win-win avec ma clientèle et je suis plus indépendante dans ma façon de travailler", explique la jeune femme, qui est maman depuis peu.
Une vie de famille qui n’était pas possible avant ? "Je ne voulais pas choisir entre ma vie de famille et ma carrière, raison pour laquelle j’ai voulu développer mes activités autrement. Les femmes au sein de la profession doivent revendiquer plus de place, ce n’est ni honteux ni déplacé. Le barreau doit également entamer une réflexion en la matière. Il est temps", conclut Alexiane Wyns.