Tinne Van der Straeten: "Le nucléaire est une énergie du passé"
La ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten défend le choix de la Vivaldi de sortir du nucléaire en 2025. Selon la ministre Groen, tourner le dos à l'atome est le meilleur moyen de réaliser la transition énergétique. Elle est l' invité éco.
Publié le 03-11-2020 à 15h59 - Mis à jour le 16-12-2020 à 13h43
Pour beaucoup d’observateurs, Tinne Van der Straeten a le profil idéal pour réussir sa principale mission : faire en sorte que la Belgique ne se retrouve pas dans le noir après la sortie du nucléaire.
Ancienne avocate dans le secteur énergétique, elle connaît aussi le dossier en tant que parlementaire. Élue députée fédérale en mai 2019, elle est parvenue à trouver un accord avec la N-VA, un an plus tard, pour débloquer la question du financement du CRM, le plan de sortie du nucléaire.
Une de ses premières actions en tant que ministre a été de rencontrer la Commissaire européenne Margrethe Vestager, qui devra valider (ou pas) le plan belge de sortie du nucléaire. "Je ferai tout ce qui est possible pour arriver à une décision positive dans les délais", indique-t-elle.
Originaire de Malle, en Campine anversoise, Tinne Van der Straeten est une des figures montantes de Groen. Ses prestations remarquées à la Chambre lui ont valu un poste de ministre. Un petit exploit, quand on sait qu’une personnalité comme Kristof Calvo n’a pas été désignée.
Celle qui fut considérée un jour par Paul Magnette comme une "néolibérale verte" reconnaît être "difficile à classer dans la famille verte". Quand on lui parle de décroissance, elle ne s’enflamme pas. Tinne Van der Straten s’enthousiasme plutôt pour la relance verte. "Notre richesse provient des investissements publics réalisés après la seconde guerre mondiale, explique-t-elle. Il faut faire la même chose aujourd’hui, sauf que la croissance doit être verte". Elle estime même que l’énergie peut servir "de catalyseur de grands changements".
L’ancienne sénatrice écologiste Freya Piryns a déclaré que vous serez "abattue" chez Groen si la sortie du nucléaire devait être reportée. Votre principale mission est-elle de permettre cette sortie en 2025 ?
Je connais bien Freya, et je n’ai pas compris ce qu’elle a voulu dire. La sortie du nucléaire n’est pas un but en soi, mais un moyen de réussir la transition énergétique. Je me battrai pour que l’électricité soit 100 % renouvelable d’ici 2040, ou 2050 au plus tard. Pour cela, il faut faire de la place aux énergies renouvelables. Au printemps, des éoliennes en mer du Nord ont dû être arrêtées parce que les centrales nucléaires ne pouvaient pas moduler leur production. Même si des contraintes techniques expliquaient cela, c’est inacceptable. Des centrales à gaz, beaucoup plus flexibles, sont donc nécessaires, en tout cas pour accompagner le développement des énergies renouvelables.
Votre mission la plus importante est donc de faire valider par la Commission européenne le CRM, le mécanisme de subsides aux centrales à gaz ?
Pendant mes neuf années comme avocate dans le secteur énergétique, j’ai pu constater qu’il y avait énormément de projets concrets pour réaliser la transition énergétique. Que ce soit dans les énergies renouvelables, les batteries, la gestion de la demande d’électricité… Il ne manque qu’un cadre sûr pour lancer ces projets. C’est pour cette raison qu’il était si important pour la Vivaldi de dire : ‘c’est notre choix, nous allons sortir du nucléaire’. Nous ferons une dernière évaluation en novembre 2021, mais la route est claire. Le CRM et la sortie du nucléaire sont des moyens pour réaliser la transition énergétique.
Que faire si l’Europe ne valide pas le CRM ? Il n’y aura pas de plan "B" si Engie ne dispose pas de suffisamment de temps pour prolonger Doel 4 et Tihange 3 ?
On verra…
Pourquoi, on verra ?
Tout d’abord, on doit recevoir l’aval de l’Europe. Je suis d’ailleurs très contente qu’elle mène une enquête approfondie sur le CRM. Cela permettra d’avoir un cadre d’investissement sûr et certain. L’une de mes premières actions comme ministre a été d’aller voir la commissaire européenne Margrethe Vestager, en charge du dossier. Je lui ai expliqué notre accord de gouvernement. Elle a répondu que d’autres États membres ont déjà mis en place un CRM, ce n’est pas neuf pour la Commission européenne. Je pense que nous pourrons travailler de façon constructive. Si on tient compte des remarques de la Commission, on peut arriver à une solution dans les délais.
Et que faire si le CRM est validé, mais que les enchères se passent mal ?
Selon Elia, il y a des projets de centrales à gaz pour une capacité estimée de 9,8 GW, soit trois fois plus que ce qui est nécessaire pour sortir du nucléaire.
Pourquoi faire cette évaluation en novembre 2021 ? On connaît l’impact de la non-prolongation de Doel 4 et Tihange 3 sur les émissions de CO2, sur le prix de l’électricité. Le nucléaire ne sera prolongé que si le CRM échoue ?
C’est une bonne conclusion. Tout le monde sait qu’on a besoin du CRM pour susciter des investissements. Ces 10-15 dernières années, il n’y a quasiment pas eu d’investissements, à part dans les capacités renouvelables.
Selon vous, le plan "B" nucléaire existe toujours si le CRM échoue ?
Oui. Je me base sur le communiqué d’Engie disant qu’ils travaillent sur les deux scénarios : fermeture complète et prolongation de Doel 4 et Tihange 3.
Ils travaillent sur les deux scénarios mais disent qu’il ne sera peut-être pas possible de prolonger si la décision n’est prise qu’en novembre 2021…
Je retiens surtout la déclaration selon laquelle ils ont constaté que c’était la volonté de la Vivaldi d’exécuter l’accord du gouvernement. Nous avons décidé quelque chose, et allons tout faire pour réaliser la sortie du nucléaire.
Certains estiment que c’est une décision idéologique de se passer du nucléaire pour décarboner l’électricité. Macron a annoncé que la France allait construire de nouvelles centrales nucléaires.
Il faut avoir une vision globale. La consommation énergétique annuelle totale de la Belgique est de 390 TWh, dont 80 à 90 TWh d’électricité. Doel 4 et Tihange 3 ne représentent que 15 TWh sur ce total de 390 TWh d’énergie consommée. Quand j’ai une vision d’ensemble, je constate que ces deux centrales ne sont pas une bonne façon d’arriver à la neutralité carbone en 2050. Le nucléaire est une énergie du passé. L’énergie nucléaire devient plus chère et l’énergie renouvelable devient moins chère. Il existe aujourd’hui de meilleures technologies pour réussir la transition énergétique. L’âge de pierre n’a pas pris fin parce que les pierres étaient épuisées, mais parce que de meilleures technologies étaient disponibles.
Mais les centrales à gaz émettent plus de CO2…
Je ne peux pas faire de miracles, de nouvelles centrales à gaz seront nécessaires, même en cas de prolongation du nucléaire. En outre, il faut avoir une vision globale. Certains projets de centrales à gaz ont une efficacité jamais vue. Si ces centrales belges très efficaces poussent une centrale au charbon à fermer en Allemagne, les émissions supplémentaires en Belgique seront compensées au niveau européen.
Les associations environnementales alertent souvent sur le problème du verrouillage (lock-in) des investissements. Les centrales à gaz belges risquent d’être là pour 25 ans, jusqu’en 2050 donc. Ce n’est pas un problème ?
Pour éviter ce problème du lock-in, il faut que les ambitions climatiques soient claires. Les porteurs de projets de centrales à gaz savent qu’elles doivent être prêtes pour le futur. Or je constate que les acteurs qui ont des projets de centrales a gaz investissent aussi beaucoup dans les énergies renouvelables.
Mais Eneco, par exemple, ne veut pas mettre de système de capture de CO2 sur sa centrale de Manage...
Les infrastructures de transport de carbone ne sont pas encore présentes. Mais je suis convaincue qu’ils vont venir avec une solution pour, à terme, décarboner leur centrale à gaz.
Quel sera le mix électrique en 2025, après la sortie du nucléaire ?
Je crois beaucoup à l’électricité produite par les éoliennes en mer du Nord. Le précédent gouvernement avait déjà décidé de doubler la capacité offshore. La Vivaldi a annoncé qu’elle allait étudier si c’est possible d’encore augmenter cette capacité dans les eaux belges, mais aussi en collaboration avec le Royaume-Uni. J’ai déjà rencontré trois fois mon homologue britannique. D’ici 2028, nous aimerions que la seconde zone de parcs éoliens dans la mer belge soit connectée à la fois à la Belgique et au Royaume-Uni. Cela pourrait aider à la sécurité d’approvisionnement des deux pays.
L’éolien offshore est donc votre priorité numéro 2 ?
Il y a un grand futur pour l’électricité en mer, mais aussi sur terre. Je crois aussi beaucoup aux batteries. Il y a déjà un projet de stockage à Bastogne. Selon moi, tous ces projets feront que les futures centrales à gaz serviront en soutien du renouvelable.
350 millions d’euros en 2018, 465 millions en 2019. Les subsides aux éoliennes en mer du Nord ne font que croître. Ce coût, répercuté dans la facture d’électricité, peut-il encore augmenter ?
Non, le montant des subsides ne peut continuer à augmenter comme cela. Mais le coût des éoliennes ne fait que baisser. Le précédent gouvernement avait déjà réduit le niveau de soutien pour tenir compte de cette baisse des coûts.
La deuxième zone en mer du Nord pourra-t-elle être construite sans subsides ?
La baisse des coûts des éoliennes en mer devra être traduite dans le montant des subsides lorsque nous construirons la deuxième zone. Aux Pays-Bas, il existe un parc sans subsides. Dans d’autres pays, il y a encore des subsides, mais avec un remboursement en faveur de l’État si le prix de l’électricité dépasse un certain seuil. Le plus important est que la baisse continue des coûts se traduise par une réduction des subsides.
Ce montant de 465 millions d’euros ne couvre même pas les subsides de l’ensemble de la première zone d’éoliennes en mer du Nord. Cela risque de coûter très cher à terme ?
C’est aussi un investissement qui rapporte à notre économie. Deme, Jan de Nul, Colruyt créent des emplois. Grâce à son rôle de pionnier, la Belgique est le quatrième pays du monde au niveau de la capacité éolienne offshore. Cela va permettre de construire la deuxième zone plus rapidement et à un coût moins élevé.
Certains estiment que ça ne crée pas beaucoup d’emplois, notamment en Wallonie ?
L’éolien offshore aura créé 16 000 emplois d’ici 2030 en Belgique. Le parc éolien Seamade représente un investissement total de 1,3 milliard d’euros. Cela représente 1 400 emplois directs et 1 400 emplois indirects pendant la phase de développement et de construction. En outre, on compte 100 emplois à long terme pendant la phase opérationnelle.