Le télétravail n’est pas la solution miracle aux bouchons
Le Bureau du Plan a jaugé les effets d’une hausse du télétravail à 40 % d’ici à 2040. L’effet global est marginal, mais ce n’est pas sans effets… qui se contrecarrent.
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- Publié le 12-11-2020 à 19h48
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Voilà une enquête du Bureau du Plan qui ne ravira pas tout le monde dans les rangs politiques. Le télétravail est-il la solution miracle tant espérée aux problèmes de congestion en Belgique ? Non, loin de là…
Combien ça coûte, l’immobilisme ?
Notre pays, inutile de le rappeler, est un des champions d’Europe de l’embouteillage. Bruxelles, Anvers et même Mons trustent le haut du classement des villes particulièrement embouteillées en Belgique, la capitale intégrant même régulièrement le top 10 européen. Quelques estimations relatives au coût de cette immobilité ont bien été tentées par le passé. Les dizaines de milliers d’automobilistes vitupérant derrière leur volant, aux côtés de transporteurs en file indienne à l’approche de Bruxelles ou Anvers, tout le monde connaît. C’est stressant, cela fait perdre du temps… et de l’argent.
Selon la Fédération des entreprises de Belgique (Feb), le coût d’une heure passée dans les embouteillages s’élève à 10 euros pour une voiture et à 78 euros pour un camion. Quant à savoir ce que cela représente au bout d’un an, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que cela équivaut à 1 à 2 % de notre PIB (produit intérieur brut). La marge est certes large, mais le coût n’est donc pas marginal. Il oscillerait donc entre 4 milliards et 8 milliards d’euros. "Difficile de valider la méthodologie et les résultats de cette étude", lance Benoît Laine, coauteur avec Coraline Daubresse d’une enquête fouillée sur le télétravail au Bureau du Plan, à l’aide du modèle prospectif Planet. "Mais ce qui est certain, c’est que cela nuit à la productivité de la Belgique, laquelle stagne depuis quelques années…"
Un effet global marginal de -1,2 %
L’enquête, maintenant. "Il s’est agi, sur la base d’une enquête ‘Télétravail’ réalisée avec le SPF Mobilité en 2017, qui postulait que 17 % des employés pratiquaient le télétravail (1,4 jour par semaine), de voir dans quelle mesure le télétravail peut volontairement s’intensifier et, surtout, quel impact il a sur la mobilité, dans ses dimensions temporelles, géographiques, modales, etc.", explique Benoît Laine. La première étape de cette enquête a donc été d’estimer le plein potentiel du télétravail d’ici à 2040. Il s’élève à 39 %, les employés travaillant alors deux jours par semaine - la pratique montre que les jours privilégiés sont le lundi, mercredi et vendredi. L’analyse du scénario de hausse volontariste du télétravail montre qu’une intensification de la pratique a un effet très modeste sur la demande totale de transport. "Ce scénario entraîne seulement une baisse de 1,2 % des passagers-kilomètres parcourus en Belgique en 2040" , explique le spécialiste du Bureau du Plan. C’est peu ! Mais cet effet marginal cache deux effets plus marqués qui se contrecarrent. Le premier, c’est qu’il y a tout de même une baisse plus marquée de la demande de transport pour les trajets domicile-lieu de travail.
Dans le détail, les grandes agglomérations captives d’une grande capacité productive (avec des secteurs propices au télétravail, de surcroît) profitent tout de même de l’effet du télétravail puisque la demande de transport diminue substantiellement, de 17 % pour Bruxelles. Pour les navettes entrantes (par des non-résidents bruxellois), la baisse est même de 23 %. Ce n’est pas rien. Dans ce scénario d’un télétravail à 40 %, c’est le train qui aurait le plus à perdre puisque la baisse de la demande varie de 15 à 16 % suivant que ce mode de transport est pris en heure creuse ou en heure de pointe.
Déplacements autres que vers le lieu de travail
L’enquête approfondie du Bureau du Plan met en avant un autre phénomène qui explique in fine pourquoi le nombre de passagers-kilomètres parcourus ne reflue que de 1,2 % d’ici à 2040 : l’appel d’air créé par la baisse du trafic vers les grandes agglomérations. "On constate que la place laissée vacante par les uns est en gros prise par d’autres. De même, on constate aussi que les déplacements pour autres motifs augmentent. Les déplacements d’opportunité - comme aller à la banque, à l’école, faire ses courses, etc. - sont plus nombreux", expliquent Benoît Laine et Coraline Daubresse. Ils augmentent de 1,4 % d’ici à 2040. En résumé, ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre.
"Cela montre en tout cas que le télétravail n’est pas la solution miracle attendue pour résoudre les gros problèmes de mobilité de la Belgique", selon Philippe Donnay, commissaire au Plan. Même si les effets "en cascade" - comme une possible adaptation des comportements d’achat sur le marché immobilier suite au télétravail - ne sont pas tous pris en compte par le modèle du Bureau du Plan, "on constate que la pression naturelle sur les modes de transport - effets démographiques en tête - est juste contenue avec la hausse du télétravail à 40 % chez les employés d’ici à 2040. Cela doit inciter le monde politique à réfléchir à une politique de mobilité beaucoup plus globale", conclut le commissaire.

Baisse sensible de la vitesse moyenne compensée
Avec un scénario de télétravail à 40 % d’ici à 2040, quel serait l’effet global sur la vitesse moyenne sur nos routes ? Nul, en somme. La vitesse en zone RER, sur les grands axes, donc, passerait de 62,4 km/h en moyenne à 57,2 s’il n’y avait pas de hausse du télétravail. En passant à deux jours par semaine pour 40 % des employés, la vitesse serait alors de 61,7 km/h en heure de pointe. Quasi stable, donc. Le télétravail permet juste d’absorber la pression sur la demande de transport, en hausse. Il faut y voir un effet de la démographie, et un regain d’attrait des modes routiers pour le transport de marchandises, explique le Bureau du Plan.
À Bruxelles, la vitesse moyenne passerait en heure de pointe de 12,1 km/h à 12,9 km/h (+3,9 %) - au lieu de 12,5 km/h sans hausse du télétravail. En heure creuse, il y aurait très peu de changements dans les vitesses, quels que soient les réseaux concernés. "Si on analyse les résultats de manière plus fine, on note un report du trafic en heures creuses vers les heures de pointe, d’une part, et des autres routes vers les routes à péage, d’autre part", explique le Bureau du Plan. "Ce report est surtout observé dans les zones où les vitesses enregistrent les plus fortes différences positives (tableau 16) : Bruxelles et les routes à péage de la zone RER. Il s’agit là d’un effet ‘d’appel d’air’ logique : du fait de la moins forte concentration de navettes sur ces voies aux heures de pointe, le coût en temps de leur usage pour le transport de marchandises diminue, compensant le paiement de la redevance kilométrique, et attirant ainsi plus de trafic de transport de marchandises."