Les pêcheurs belges naviguent en eaux troubles : le Brexit va-t-il influencer le prix des soles ?
Jamais les poissons présents dans les eaux britanniques n'auront eu une telle valeur. Véritable pomme de discorde des négociations du Brexit, le Royaume-Uni aura défendu ses droits en matière de pêche jusqu'au bout. Quelles conséquences aura cet accord pour les pêcheurs et les consommateurs belges ?
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Publié le 15-12-2020 à 18h37
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C’était l’une des pierres d’achoppement des négociations "post-Brexit" entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. "L’un des rares dossiers où les Britanniques sont en position de force", comme l’expliquait Pierre Karleskind, président de la commission de la pêche du Parlement européen, en visite en février dernier à Ostende.
En plus d’être une question de gros sous, l’enjeu était également très emblématique. En sortant de l’Union, les dirigeants britanniques entendaient bien "récupérer" leur souveraineté sur leurs eaux territoriales. À la suite d’accords de longue date, des pêcheurs venus de différents pays européens, dont la Belgique, naviguent ainsi quotidiennement dans les eaux du Royaume-Uni et en ramènent toutes sortes de poissons. En Flandre, on estime d’ailleurs que la "Privilege Charter" - une charte datant de 1666 et par laquelle le roi d’Angleterre de l’époque, Charles II, donnait un accès éternel à 50 pêcheurs brugeois - reste un document "juridiquement pertinent".
"On espérait que rien ne change"
La Belgique est l’un des pays qui profite le plus des accords européens, puisque plus de 50 % des poissons pêchés par des navires belges proviennent des eaux britanniques. Cela risque de changer dans les prochains mois : l’accord commercial conclu le 24 décembre prévoit une période de transition jusqu’à l’été 2026 pour renoncer à 25 % des captures européennes. Une renégociation annuelle devra être réalisée au terme de cette période.
"Secrètement, on espérait que rien ne change", soupire Emiel Brouckaert, le patron de la centrale des armateurs (rederscentrale) à Ostende. "Nous ne sommes pas heureux car l’Union européenne s’est inclinée. On avait pourtant réussi à développer une pêche durable grâce à ces accords européens. Le point positif est que nous pouvons continuer à pêcher dans les eaux britanniques ce 1er janvier : cela aurait pu être pire. Mais cet accord reste très flou. Comment cette réduction de 25 % va-t-elle être répartie entre les différents pays de l’Union ?"
Sans compter que les 400 pêcheurs professionnels belges (pour 2 500 emplois indirects) plongeront dans l’inconnu une fois l’été 2026. "Pourrons-nous encore pêcher en eaux britanniques ? s’inquiète M. Brouckaert. Rien n’est moins sûr. Cinq ans, cela passe très vite. Surtout quand on doit prévoir des investissements à long terme."
Quelles solutions pour pallier les pertes dans les eaux britanniques ?
Même si elle se dit "soulagée par cet accord", la ministre flamande de la Pêche, Hilde Crevits (CD&V), estime qu’il aura des conséquences "importantes" sur le secteur en raison de la réduction prévue des quotas de prises dans les eaux britanniques. "Les pêcheurs méritent désormais une attention particulière pour qu’une pêche viable reste possible en Flandre", a-t-elle affirmé à l’agence Belga. Selon la ministre, une période de transition plus longue aurait été "préférable". "Notre objectif était à l’origine une période de dix ans", révèle-t-elle.

Du côté des ports belges, on se prépare déjà à trouver des solutions. "Nos 65 navires pêchent du sud de la Norvège au nord de l’Espagne, rappelle M. Brouckaert. Les eaux britanniques restent les plus intéressantes, notamment pour les soles qui sont très rentables pour nous. Mais on s’adaptera. Peut-être qu’on devra davantage pêcher de baudroies (lottes)."
Avec moins de soles dans les filets belges, faut-il s’attendre dès lors à une envolée des prix de ce poisson fort populaire dans les assiettes ? "C’est très difficile à prévoir, avoue M. Brouckaert. Cela dépendra aussi de la demande. Pour l’instant, les prix sont très bas car avec la fermeture des restaurants, cette demande est très faible." La crise du coronavirus est passée par là. Les pêcheurs de notre pays ont vu leurs revenus chuter de près de 20 %. "Ce ne fut pas une grande année", soupire le patron des armateurs.
Une période de transition et puis l’inconnue
L’accord entre le Royaume-Uni et l’Union prévoit de laisser aux pêcheurs européens un accès aux eaux britanniques pendant une période transitoire de 5 ans et demi, jusqu’en juin 2026. Pendant cette transition, les pays de l’Union devront progressivement renoncer à 25 % de leurs prises, qui s’élèvent à environ 650 millions d’euros par an. En ce qui concerne les quotas, chaque État membre de l’UE souhaitant pêcher dans les eaux britanniques après la période de transition devra négocier annuellement avec Londres. Selon la ministre flamande de la Pêche, Hilde Crevits (CD&V), les quotas de prises accordés aux pêcheurs flamands dans les eaux britanniques pour les cinq prochaines années et demie concernent quatre espèces de poissons - la sole, la lotte, la raie et la plie. "Ils iront en se réduisant considérablement", a souligné Mme Crevits.