Pour Tractebel, il faut construire de nouvelles centrales nucléaires
Tractebel est un bureau d’ingénierie établi en Belgique. Cette filiale d’Engie croit beaucoup aux petits réacteurs nucléaires modulaires. Elle a écrit un “position paper” en leur faveur.
Publié le 18-12-2020 à 06h26
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Tractebel, filiale du groupe français Engie, est un bureau d’ingénierie établi en Belgique et qui emploie environ 5 000 personnes. Actif dans de nombreux domaines (éolien offshore et terrestre, photovoltaïque, centrales à gaz, etc.), Tractebel est aussi très impliqué dans le secteur nucléaire. Dans les années 1970 et 1980, ses collaborateurs ont été les ingénieurs-architectes des sept centrales nucléaires belges. Plus récemment, ils ont été impliqués dans les travaux de prolongation de Doel 1, Doel 2, et Tihange 1.
Si Tractebel ne travaille pas uniquement pour le groupe Engie, la confirmation de la sortie du nucléaire en 2025 serait un coup dur pour l’entreprise. Tractebel emploie en effet 1 000 ingénieurs dans ce domaine.
Il y a quelques jours, Tractebel a publié un “position paper”, une analyse en faveur du nucléaire de quatrième génération : les “small modular reactors” (SMR), ou petits réacteurs modulaires.
Le document indique que prolonger la durée de vie de Doel 4 et Tihange 3 permettrait de faire des économies sur le prix de l’électricité, et de maintenir l’expertise nucléaire dans notre pays. Et ce, en attendant l’arrivée éventuelle de petits réacteurs modulaires sur le marché. En Belgique, espère Tractebel, mais aussi à l’étranger.
Rappelons que le groupe français Engie n’a aucune ambition concernant la construction de nouvelles centrales nucléaires. En revanche, sa filiale belge prend clairement position en faveur du nucléaire de nouvelle génération. Comment expliquer cela ? Étant donné que Tractebel compte d’autres clients qu’Engie, le bureau d’ingénierie pourrait bénéficier d’un regain d’intérêt pour le nucléaire de quatrième génération.
Plus petits et moins chers ?
Selon les ingénieurs de Tractebel, les petits réacteurs modulaires seront nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050. “L’industrie nucléaire, c’est autre chose que les centrales des années 1970 et 1980”, nous explique une source. “Nous avons fait une analyse d’ingénieurs et nous sommes convaincus que les SMR sont compatibles avec les énergies renouvelables. Ils sont même indispensables pour atteindre la neutralité carbone”.
Ces réacteurs, qualifiés de “modulaires”, sont fabriqués en usine et transportés sur leur site pour y être assemblés. “Ça s’emboîte comme des Lego”, précise notre interlocuteur. “On peut arriver à la puissance désirée en assemblant autant de Lego que nécessaire”. Ces SMR sont aussi moins puissants et plus petits que les gigantesques EPR (Evolutionary Power Reactor), qui ont connu plusieurs gros échecs ces dernières années.
Ne pas répéter le fiasco de Flamanville
Une série d’obstacles se dressent néanmoins sur la route des SMR. L’un des défis sera de “regagner la confiance du public dans la sécurité nucléaire”, indique Tractebel. L’accident de Fukushima est logiquement dans toutes les mémoires. “Le grand avantage des SMR est qu’ils affichent une sécurité passive”, indique notre source. “En cas de problème, le réacteur s’arrête sans intervention humaine et sans avoir besoin d’être raccordé au réseau électrique. À Fukushima, les générateurs diesels avaient été noyés, ce qui avait empêché de contrôler la réaction nucléaire”.
L’autre épine dans le pied du nucléaire est évidemment la question des déchets. Rappelons qu’à ce jour, aucune décision politique n’a été prise en Belgique concernant le sort des déchets les plus radioactifs.
Un autre gros enjeu est le coût des futurs SMR. Le fiasco de certains chantiers de réacteurs de troisième génération a porté un grand coup à la crédibilité de l’industrie nucléaire. Citons, par exemple, les EPR de Flamanville (France) et d’Olkiluoto (Finlande).
Alors que le coût initial de l’EPR de Flamanville était estimé à 3,5 milliards d’euros, le groupe français EDF l’a récemment réévalué à 12,4 milliards d’euros, soit 3,5 fois plus. Et la Cour des comptes française, quant à elle, évalue plutôt son coût à… 19 milliards d’euros. Par gigawatt (GW) de puissance installée, on arrive donc à un investissement compris entre 7,5 milliards et 11,5 milliards d’euros. Autre coup dur, l’EPR de Flamanville devrait entrer en exploitation avec onze années de retard minimum.
Tractebel estime cependant que le design des SMR leur permettra d’éviter ces problèmes de coûts et de retards de livraison. Ses ingénieurs évaluent l’investissement par GW de puissance installée à 5,4 milliards d’euros pour les SMR à eau légère et à 3,2 milliards d’euros pour la technologie suivante à sel fondu. Selon Tractebel, cela reste un peu plus cher que le coût actuel des éoliennes en mer et nettement plus cher que le coût actuel du photovoltaïque. Néanmoins, le bureau d’ingénierie insiste sur le fait que les SMR étant pilotables, ils permettront de réduire les coûts de stockage de l’électricité.
“Les premiers SMR devront bien respecter les coûts annoncés et les délais”, avance cependant notre interlocuteur. “Mais je suis optimiste. Leur design diminue considérablement les risques de dépassement de coûts et de retards de livraison. Il suffit d’assembler sur place des modules qui arrivent par camions”.
La filière nucléaire fonde ses espoirs sur les prochains SMR censés être mis en service aux États-Unis et au Canada. S’il en existe déjà un en Russie et bientôt un autre en Chine, la crédibilité de la quatrième génération du nucléaire doit venir d’un chantier réussi du côté occidental. Le projet de SMR le plus avancé est celui de Nuscale, aux États-Unis. Il vient de recevoir une licence de la part des autorités américaines. On n’attend cependant pas une mise en service avant… 2027.
Selon un expert du secteur, les SMR diminuent effectivement le risque d’accident nucléaire grâce à leur sécurité dite passive. "Mais le risque zéro n’existe pas, notamment en cas d’attentat terroriste ou de chute d’avion, explique-t-il. Il faut faire la balance entre ce risque minime et la préservation du climat. Selon moi, on devrait demander aux riverains ce qu’ils en pensent."