Plan de relance belge : pourquoi l’Europe s’inquiète
Les critiques pleuvent en coulisses sur le Plan de relance. Timing, manque de cohésion, absence de réformes... Le Secrétaire d’Etat à la relance Thomas Dermine (PS) répond, point par point.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/16e12df7-ddb4-42fc-bfe1-285390232bf8.png)
Publié le 27-01-2021 à 06h25 - Mis à jour le 27-01-2021 à 17h10
:focal(1275x691.5:1285x681.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LAIZKSIEFVEM7OCG24G2LUHWO4.jpg)
Il en était peut-être presque le premier étonné. En Commission de l’économie la semaine dernière, le secrétaire d’État à la relance Thomas Dermine (PS) faisait le point sur l’état d’avancement de ce fameux plan de relance européen, baptisé “Plan pour la Reprise et la Résilience (PRR)”. Son exposé, très clair, ne suscitait aucune réelle opposition, si ce n’est celle, constructive, de Maxime Prévot (CDH), lequel s’étonnait que les discussions portent davantage sur la répartition des fonds (6 milliards au total) entre les différents niveaux de pouvoir que sur le contenu et la cohérence des projets qui seront in fine sélectionnés et soumis à l’évaluation de la Commission européenne.
1. Pourquoi le timing est primordial ?
Félicité de toutes parts pour ses explications et sa manière de travailler – ce que tout le monde lui reconnaît en coulisses -, Thomas Dermine a lui–même mis sur la table la critique émise par la Commission sur le premier draft remis par la Belgique sur les orientations stratégiques, quelques heures après avoir rencontré les autorités européennes. “L’Europe nous a mis la pression sur le timing”, disait-il en substance. “Nous n’avons jamais fait mystère du fait que la Belgique était en retard par rapport à d’autres pays européens. Depuis bientôt 4 mois, nous travaillons de manière soutenue pour résorber notre retard, en animant le processus décisionnel inter-fédéral”, nous confirme le cabinet de Thomas Dermine.
Le malaise est cependant plus profond. “La question du timing est primordiale, lance l’une de nos sources proches du dossier. Il ne faut absolument pas sous-estimer le temps qu’il faudra pour échanger sur les projets avec la Commission européenne, qui est très procédurière, et on peut le comprendre. On ne lâche pas 6 milliards d’euros (3,646 sur la période 2021-2022 et 2,278 en 2023 si tout se passe bien, NDLR) à un pays sans être sûr qu’ils seront bien utilisés. Il faut vraiment accélérer, c’est clair puisque le projet doit être finalisé pour fin avril”.
2. Où en est la liste des projets ?
D’ici là, il reste beaucoup de chemin à parcourir avant de déposer un deuxième draft – d’ici 3 semaines, promet Thomas Dermine. Dans cette phase, les projets concrets seront incorporés. À ce jour, tous les niveaux de pouvoir n’ont cependant pas encore affiné leur liste, qui porte sur un total de 24 milliards d’euros. La Flandre et la Région de Bruxelles-Capitale, notamment, se sont mis d’accord sur les projets à présenter, mais pas le fédéral et la Région wallonne. Ce serait chose faite la semaine prochaine. Ensuite, les projets sélectionnés seront soumis à concertation, et surtout passés à la moulinette d’un groupe d’experts issus du Bureau fédéral du Plan et de la Banque nationale (BNB). “La guidance de la Commission européenne a été adaptée la semaine dernière, et chaque État-membre a l’obligation de faire évaluer les projets”. Avant qu’il ne passe sous les fourches caudines de la Commission. En clair, l’impact sur les émissions de CO2, l’emploi et la croissance, notamment, sera évalué par ces experts, ainsi que éligibilité des projets.
3. Des arrangements entre amis ?
Et c’est ici qu’intervient une autre critique émise : les critères de relance via de grands projets d’avenir (environnement et digital) manquent. Il y aurait en substance “trop de petits projets qui satisfont des ministres individuellement, mais qui n’entrent pas dans la philosophie de la Commission”.
“On n’a pas remis à la Commission les projets, donc la Commission n’a pas pu émettre la moindre critique sur les projets puisqu’elle ne les connaît pas ! Par contre, la Commission a émis un feed-back positif sur les orientations”, rétorque-t-on au cabinet de Thomas Dermine. Où on estime également que “l’impact budgétaire d’un projet ne définit pas son impact global. Un “petit” projet peut avoir un impact significatif, pour autant qu’il s’intègre dans une cohérence globale qui tiendra compte des contributions de chacune des entités dans des matières qui sont souvent en lien”.
4. Un plan utile à l’économie?
“Après des mois de palabres, être d’accord sur les orientations, c’est maigre. Sur les centaines projets déposés par les uns et les autres, on peut douter que certains répondent aux critères européens. Mais surtout, que restera-t-il de la cohérence d’ensemble exigée quand la liste aura été réduite de 75 % (de 24 milliards à 6 milliards), NDLR)? Jusqu’ici, le processus a été conduit par la question du financement (répartition des fonds, NDLR), pas par la qualité et la cohérence des projets”, estime l’une de nos sources.
Cette “philosophie”, en quoi consiste-t-elle ? Les contraintes à prendre en considération sont d’ordre thématique : minimum 20% des coûts estimés du plan doivent contribuer à l’objectif de transition digitale et au minimum 37% des coûts à l’objectif de transition écologique. “Mais il faut aussi que les projets soient utiles à l’économie. Il ne s’agirait pas, comme cela avait été le cas dans le cadre du Plan Juncker d’il y a quelques années, de voir la Belgique proposer un plan de rénovation des piscines sous prétexte qu’on va économiser de l’énergie”, ironise une autre de nos sources. D’autant plus que les recommandations de la Commission concernant les plans de relance nationaux seront soumises à l'approbation unanime des États membres au sein du Conseil de l'UE. “Et je peux vous dire que les Pays-Bas, notamment, ne feront pas de cadeaux. L’orthodoxie budgétaire, ça les connaît”.
5. Où sont les réformes structurelles?
Ce n’est pas tout. “La Belgique n’a pas présenté de réformes dans le cadre du plan, mais juste des réformes prévues dans les accords gouvernementaux”, poursuit l’une de nos sources. Une des exigences de la Commission est effectivement que le projet d’un Etat membre réponde aussi aux recommandations faites dans le cadre du “Semestre européen”, qui coordonne les politiques économiques et budgétaires des États membres de l’Union européenne (UE). La soutenabilité de nos finances publiques, la réduction des charges administratives et réglementaires, la suppression des obstacles à la concurrence dans le secteur des services et la réforme de notre marché du travail sont quelques-unes de ces recommandations. “Il est prévu - conformément à l’accord de majorité - qu’un état des lieux soit dressé mi-février concernant le calendrier d’exécution et les orientations de celles-ci. Nous avons donc respecté ce timing mais transmis les lignes de force de l’accord de majorité d’initiative afin que la Commission en prenne connaissance - il s’agit de la première occasion de le faire depuis l’installation du nouveau Gouvernement”, se défend le cabinet de Thomas Dermine. “Il est évident que le plan final apportera plus de précisions quant aux réformes et que cela ne retardera pas le travail d’analyse entamé avec la Commission”.
“Il faut l’espérer, mais en coulisses, l’adéquation aux rescrits européens ne saute pas directement aux yeux. Il ne faudrait pas que la Belgique joue trop avec le feu”, estime l’une de sources. “Une chose est sûre : « il est ‘moins une’”, ajoute une autre. “Nous sommes confiants de pouvoir y répondre dans les délais impartis et en bonne intelligence avec la Commission”, conclut le Cabinet Dermine.