Vif débat sur la facture de sortie du nucléaire : "Il y a un risque que le coût réel dépasse l’estimation actuelle", indique la Creg
Une étude commandée par la ministre Tinne Van der Straeten (Groen) avait revu à la baisse le coût du CRM. Mais la Creg, le régulateur du secteur, conteste certaines hypothèses prises par le consultant choisi.
Publié le 10-02-2021 à 08h09 - Mis à jour le 12-02-2021 à 18h11
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Le coût du mécanisme de rémunération de la capacité (CRM ou capacity remuneration mechanism) fait toujours l’objet d’un vif débat. Pour rappel, ce mécanisme d’octroi de subsides doit permettre à la Belgique de sortir du nucléaire en 2025. Et même en cas de prolongation de Doel 4 et Tihange 3 au-delà de 2025, le CRM serait nécessaire pour faire face à la fermeture des cinq autres réacteurs nucléaires qu’Electrabel souhaite de toute façon arrêter.
Via ce CRM, des subsides seront accordés à des producteurs d’électricité afin qu’ils mettent de la capacité à disposition du réseau électrique : centrales au gaz, batteries, gestion de la demande… Fin janvier, la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a dévoilé les résultats d’une nouvelle estimation du coût du CRM. Initialement, le montant des subsides avait été estimé à plus de 600 millions d’euros par an sur une période de quinze ans.
Ce coût nominal provenait d’une étude réalisée par Luc Vercruyssen, à l’époque consultant chez PwC. Entre-temps, ce même Luc Vercruyssen est passé chez Haulogy. Et selon sa dernière étude sur le coût du CRM, on serait plutôt à 238 millions d’euros par an sur la base de son hypothèse la plus probable. Que s’est-il passé ? Comment ce coût a-t-il fondu de plus de 600 à 238 millions d’euros par an ? Ce mardi, des auditions ont été réalisées à la Chambre avec l’auteur de ces deux études aux résultats diamétralement opposés.
Luc Vercruyssen a expliqué que les règles de fonctionnement du CRM ont changé entre la réalisation des deux études, ce qui a fait pression sur le coût du CRM. Ainsi, le coût maximal que peut réclamer une nouvelle capacité de production d’électricité a été revu à la baisse. En outre, le volume des nouvelles capacités nécessaires pour sortir du nucléaire a été réduit. Cette réduction des capacités à subsidier diminue logiquement le montant des subsides qui seront demandés.
Des hypothèses non crédibles ?
La Creg, le régulateur du secteur de l’énergie, a cependant émis certains doutes sur les hypothèses prises dans cette dernière étude sur le coût du CRM. Ces hypothèses conduisent à "un risque que le coût réel dépasse l’estimation actuelle". Andreas Tirez, l’un des trois directeurs à la Creg, a soulevé plusieurs points qu’il juge problématiques dans l’étude de Haulogy.
Il faut préciser que des subsides ne seront pas uniquement accordés à de nouvelles capacités de production (centrales à gaz, batteries…). Des centrales à gaz existantes, par exemple, pourront aussi recevoir des subsides pour continuer à produire. La seule différence est que les nouvelles capacités seront soutenues sur une plus longue période que les capacités déjà construites.
Or selon la Creg, il y aura peu de concurrence entre les capacités existantes lors des enchères du CRM. Ce manque de concurrence pourrait inciter les propriétaires des centrales à gaz existantes à demander des subsides plus importants que ce qui est nécessaire à leur rentabilité. De même, la Creg ne croit pas en l’hypothèse prise par Haulogy selon laquelle les capacités déjà rentables ne demanderont pas de subsides du tout.
En outre, la Creg a soulevé un autre problème pouvant faire grimper le coût du CRM. Alors que le montant des subsides est plafonné, il est possible de demander des dérogations. Or selon le régulateur, il est probable que de "nombreuses dérogations" soient demandées.
Face à ces critiques sur son étude, Luc Vercruyssen a répondu qu’il existait des incertitudes sur le comportement des participants aux enchères. Selon lui, la meilleure option est donc de considérer que les producteurs vont calibrer leurs demandes de subsides sur leurs besoins réels, sous peine d’être écartés.
Rappelons que ces débats autour du CRM ne sont pas neufs. Cela fait plusieurs années que la Creg s’oppose à Elia, le gestionnaire du réseau, sur le besoin en nouvelles centrales à gaz nécessaires pour sortir du nucléaire. Selon la Creg, on pourrait sortir du nucléaire moyennant la mise sur pied d’une réserve stratégique a priori moins coûteuse que le CRM. Mais Elia et Tinne Van der Straeten préfèrent garantir une meilleure sécurité d’approvisionnement en mettant sur pied ce CRM.
Il reste assez de projets de centrales au gaz
L’entreprise chimique BASF se retire du projet de construction d’une centrale au gaz à Anvers, ont rapporté nos confrères du Tijd. L’entreprise chimique s’était alliée à Engie pour ériger sur le site chimique une centrale électrique au gaz de 850 mégawatts (MW), soit environ autant que les centrales nucléaires Doel 1 et Doel 2. BASF et Engie entendaient bénéficier des subsides publics via le mécanisme de rémunération de capacité (CRM) visant à permettre à la Belgique de disposer d’une capacité énergétique suffisante lorsque les centrales nucléaires fermeront en 2025.
"En concertation avec le siège à Ludwigshafen, nous avons décidé que ce projet n’était plus prioritaire", a déclaré la porte-parole de l’entreprise, Fanny Heyndrickx. "Bien que notre site se prête bien à la construction d’une centrale au gaz, le business case s’est révélé en définitive trop négatif. L’environnement économique est incertain. Le mécanisme de soutien ne fait pas apparaître clairement les compensations que l’on peut espérer des pouvoirs publics."
Rappelons qu’Engie a encore trois projets de nouvelles centrales au gaz dans ses cartons (Vilvorde, Les Awirs, Amercoeur). De son côté, Tinne Van der Straeten (Groen), la ministre de l’Énergie, a déclaré qu’il y avait 2 à 3 fois plus de projets que ce qui est nécessaire pour sortir du nucléaire, en dépit du retrait de BASF. Selon elle, des concurrents pourraient encore arriver et d’autres se retirer.