Plan de sortie du nucléaire : le Conseil d’État pointe un risque de conflits d’intérêts
Le Conseil d’État estime qu’il faut limiter les pouvoirs attribués à Elia dans l’organisation du CRM.
- Publié le 17-02-2021 à 06h32
- Mis à jour le 17-02-2021 à 06h33
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La ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a rédigé son projet de loi instaurant un mécanisme de rémunération de la capacité (CRM). Ce mécanisme doit permettre à la Belgique de sortir du nucléaire en 2025, en attribuant des subsides à de nouvelles capacités de production d’électricité : centrales au gaz, batteries, gestion de la demande…
Les enchères au cours desquelles ces subsides doivent être attribués sont prévues pour le mois d’octobre 2021. Entre-temps, le CRM devra avoir été intégré dans une loi et avoir reçu l’aval de la Commission européenne.
Le Conseil d’État a d’ores et déjà rendu son avis sur le projet de loi, qui sera prochainement débattu à la Chambre. L’institution y épingle le rôle important attribué à Elia, le gestionnaire du réseau électrique. En effet, l’organisation du CRM est "en grande partie" confiée à Elia, souligne le Conseil d’État, ce qui entraîne un risque de potentiels conflits d’intérêts.
1. Que dit le Conseil d’État ?
Elia est chargé d’écrire les règles très complexes et très techniques de fonctionnement du CRM. Or, selon le Conseil d’État, "l’attribution d’un pouvoir réglementaire à une entreprise privée telle que le gestionnaire du réseau" n’est "en principe pas conforme aux principes généraux de droit public". En effet, le "contrôle parlementaire direct fait défaut". Toujours selon le Conseil d’État, le fait qu’Elia soit contrôlé par la Creg, le régulateur du secteur, "ne change rien à cette constatation". L’instance qui contrôle les lois demande donc que les règles de fonctionnement du CRM soient contenues dans un arrêté royal afin de leur donner une base juridique solide. Mais, selon le Conseil d’État, cette base juridique ne suffit pas. L’institution recommande également de prendre des dispositions permettant "de lutter de manière structurelle contre pareille situation de conflits d’intérêts". Par exemple en confiant à la Creg l’organisation, le suivi et le contrôle du CRM, si un conflit d’intérêts devait survenir dans le chef d’Elia.
2. Quels conflits d’intérêts ?
Le Conseil d’État n’évoque pas précisément les risques de conflits d’intérêts qui pourraient survenir. Nous avons donc tenté d’y voir plus clair via un coup de sonde dans le secteur. "Le Conseil d’État a raison, Elia dispose de pouvoirs étendus dans le cadre du CRM, nous explique une source proche du dossier. C’est lui qui a écrit les règles de fonctionnement du CRM, qui va préqualifier les projets éligibles, qui va proposer le volume total de capacités à subsidier… C’est également Elia qui pourra réclamer le paiement d’une garantie financière à un porteur de projet en retard. Et cela sur la base d’un dossier qu’il a instruit lui-même. Dans ce cas, Elia serait juge et partie." Or les garanties financières que pourra réclamer Elia à un candidat au CRM peuvent s’élever à plusieurs millions d’euros. En outre, Elia pourrait être amené à réaliser la connexion électrique de certains porteurs de projets. "Imaginons que ce porteur de projet soit en retard en raison de la connexion électrique réalisée par Elia, ajoute cette source. C’est ce même Elia qui va demander une garantie financière au porteur de projet en raison de son retard ?"
3. Quelles conséquences sur le CRM ?
Selon nos sources, ces remarques du Conseil d’État ne sont pas insurmontables. Il sera néanmoins nécessaire d’y répondre pour bétonner la sécurité juridique du CRM. "Imaginons qu’une entreprise reçoive une amende de la part d’Elia, explique une source. Cette entreprise pourra d’autant plus facilement contester l’amende devant la justice si cette faiblesse juridique soulevée par le Conseil d’État n’est pas corrigée." Précisons que Tinne Van der Straeten s’est prudemment octroyé une marge de manœuvre. En temps normal, l’instruction du ministre de l’Énergie concernant l’activation du CRM devra être donnée pour le 31 mars au plus tard. Pour l’année 2021, le projet de loi prévoit cependant que l’instruction puisse être donnée jusqu’au 30 avril.
4. Que répond le cabinet Van der Straeten ?
Du côté du cabinet de la ministre, on indique qu’il "n’y aura aucun impact sur le calendrier législatif prévu". Le projet de loi final contient, selon le cabinet Van der Straeten, "les ajustements demandés" par le Conseil d’État. On précise également que c’est le Conseil des ministres, et non Elia, qui fixera le volume de capacités à subsidier. À la lecture du projet de loi final, on peut tout de même constater que le rôle d’Elia reste très important.