Pourquoi le Green Deal européen est source de tensions commerciales
Bruegel recommande d’améliorer la sécurité d’approvisionnement de l’Europe en matières premières critiques. Il faut limiter la dépendance vis-à-vis de la Chine en diversifiant géographiquement l’approvisionnement, augmenter le recyclage et remplacer des matières premières critiques par d’autres.
- Publié le 09-03-2021 à 08h05
- Mis à jour le 09-03-2021 à 08h06
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L’Europe doit prendre conscience des implications géopolitiques importantes du Green Deal, avertit le think tank européen Bruegel. Les relations commerciales avec des pays comme l’Algérie, la Russie, les États-Unis, la Chine ou l’Arabie saoudite, vont être considérablement modifiées par cette politique de décarbonation progressive de l’économie européenne.
En 2019, l’Europe a importé pour 320 milliards d’euros de produits énergétiques, pétrole et gaz en tête. Or la réduction massive de ces importations va progressivement restructurer les relations économiques de l’UE avec des fournisseurs clefs comme la Russie, l’Algérie ou la Norvège. En outre, des partenaires régionaux pourraient être déstabilisés économiquement et politiquement par le Green Deal, avertit Bruegel.
1. Une nouvelle dépendance à l’égard de la Chine ?
Actuellement, l’Europe ne produit qu’environ 3 % des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries lithium-ion et des piles à combustible. Selon Bruegel, le Green Deal pourrait créer de nouveaux risques pour la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE, en raison de l’importation des minéraux et des métaux nécessaires à la fabrication des panneaux solaires, éoliennes, batteries, piles à combustible, et véhicules électriques.
Si certaines de ces matières premières sont largement présentes dans le monde, d’autres ne sont disponibles ou traitées que dans un nombre limité de pays. Selon Bruegel, l’importation de terres rares en provenance de Chine est probablement la question la plus critique. En effet, l’Europe n’a aucune activité d’extraction ou de transformation de ces minéraux importants.
La capacité de la Chine à utiliser cette dépendance européenne comme une arme stratégique serait cependant limitée. En effet, les terres rares ne sont pas si rares que cela. Si la Chine a dominé ce marché, c’est grâce aux subventions accordées à ses producteurs. Or cette politique coûteuse a causé des dommages environnementaux dans les régions chinoises qui exploitent les terres rares. Selon Bruegel, Pékin devrait mettre fin à ces subventions, ce qui favorisera l’émergence de producteurs à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Malaisie.
Bruegel recommande néanmoins d’améliorer la sécurité d’approvisionnement de l’Europe en matières premières critiques. Il faut limiter la dépendance vis-à-vis de la Chine en diversifiant géographiquement l’approvisionnement, augmenter le recyclage et remplacer des matières premières critiques par d’autres.

2. Une Russie en difficulté, l’Arabie saoudite favorisée ?
En 2016, les revenus du pétrole et du gaz ont alimenté le budget russe à hauteur de 36 %. L’UE a absorbé 75 % des exportations russes de gaz, et 60 % de ses exportations de pétrole. Or l’Europe consommera nettement moins d’hydrocarbures après 2030. En outre, l’UE pourrait se tourner vers des pays comme l’Arabie saoudite, dont l’industrie pétrolière est nettement moins émettrice de CO2. Selon Bruegel, la réponse géopolitique la plus probable de la Russie sera de chercher à diversifier sa clientèle. Depuis la crise financière de 2008, la Russie tente déjà de vendre davantage de pétrole à la Chine, le plus gros importateur d’or noir du monde. En 2016, la Russie a d’ailleurs supplanté l’Arabie saoudite comme premier fournisseur de brut de la Chine. L’inauguration du gazoduc "Power of Siberia", en décembre 2019, permet également d’exporter du gaz russe vers la Chine. Mais selon Bruegel, c’est la Russie qui va devenir de plus en plus dépendante de la Chine. En effet, Pékin profite du manque d’options de la Russie pour lui imposer des prix toujours plus bas.
En revanche, l’Arabie saoudite pourrait profiter à court terme de son industrie pétrolière à l’empreinte carbone moins élevée que celle des USA et de la Russie. Alors que Riyad exporte moins de 10 % de son pétrole vers l’UE, cette part pourrait augmenter au détriment de ses concurrents.

3. Une Algérie ultra-dépendante de l’Europe
Les hydrocarbures représentent 95 % des exportations algériennes et alimentent le budget national algérien à hauteur de 60 %. Or la plupart des infrastructures énergétiques du pays sont orientées vers le marché européen. L’Algérie est donc très dépendante de l’UE pour ses revenus tirés des hydrocarbures. Selon Bruegel, l’Europe devrait donc soutenir la transition énergétique de l’Algérie et d’autres pays d’Afrique du nord pour remplacer leurs revenus issus des hydrocarbures. Vu leur proximité géographique, ces pays pourraient exporter de l’hydrogène vert vers le Vieux Continent. Par ailleurs, le Green Deal pourrait servir de levier afin de soutenir la libéralisation politique et économique de l’Algérie. "Le pays reste dirigé par une gérontocratie" qui "donne la priorité à la survie précaire du régime bien au-delà de toute considération économique", estime le think tank.
4. Une taxe d’ajustement source de tensions
L’Europe représente moins de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’UE a donc tout intérêt à favoriser la réduction des émissions de CO2 de ses partenaires commerciaux. Tant pour préserver sa compétitivité que pour inciter les autres pays à mettre en place des politiques climatiques ambitieuses, l’Europe envisage de taxer le carbone contenu dans les produits importés au sein de l’UE. Donald Trump avait considéré ce projet de taxe comme du pur protectionnisme. La gestion de ces possibles tensions avec de nombreux pays, dont la Chine et les USA, pourrait s’avérer cruciale, estime Bruegel.
L’Europe importe 87 % de son pétrole et 74 % de son gaz
Avec une part de 34,8 %, le pétrole domine le mix énergétique de l’UE, suivi du gaz naturel (23,8 %) et du charbon (13,6 %). Si la part des énergies renouvelables augmente, leur rôle reste limité (13,9 %), tout comme celui du nucléaire (12,6 %). Peu dotée en ressources intérieures, l’UE doit importer 87 % du pétrole et 74 % du gaz naturel qu’elle consomme.
Selon les projections de la Commission européenne, les combustibles fossiles fourniront encore la moitié du mix énergétique en 2030, contre 72,2 % actuellement. D’ici cette échéance, c’est surtout la consommation du charbon, nettement plus polluant, qui va drastiquement se réduire. En ce qui concerne le pétrole et le gaz, le gros de la réduction de la consommation doit avoir lieu après 2030. D’ici 2050, l’usage du pétrole devrait quasiment avoir disparu, tandis que le gaz naturel ne représentera qu’un dixième de l’énergie consommée en Europe.