Fukushima : quelle influence sur l’avenir du nucléaire ?
En France, Emmanuel Macron envisagerait de débloquer 45 milliards d’euros pour construire six EPR sur le sol français. Mais, selon Le Monde, la décision finale ne devrait pas intervenir avant 2023, après l’élection présidentielle donc.
Publié le 10-03-2021 à 16h49 - Mis à jour le 11-03-2021 à 11h48
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La catastrophe de Fukushima a logiquement eu une influence considérable sur l’avenir de l’industrie nucléaire. Son impact a cependant été très variable d’un pays à l’autre.
Le cas allemand est emblématique de l’impact décisif qu’a pu avoir cette catastrophe sur la filière nucléaire. En 2010, la coalition dirigée par Angela Merkel décidait de prolonger la durée de vie des 17 centrales du pays jusqu’en 2036. Quelques mois plus tard, virage à 180 degrés. Fukushima incite le gouvernement allemand à tourner le dos au nucléaire. Dans la foulée, le parc allemand est progressivement mis à l’arrêt. Les derniers réacteurs du pays doivent être stoppés pour fin 2022. Le gouvernement allemand a récemment accepté de payer 2,8 milliards d’euros de dédommagement aux propriétaires de ces centrales.
Au Japon, l’impact de Fukushima a aussi été important sur la filière nucléaire. "Une cinquantaine de réacteurs ont été mis à l’arrêt pour des vérifications de sécurité", explique Marc Deffrennes, expert du nucléaire et ancien fonctionnaire de l’OCDE. À ce jour, seuls 9 réacteurs ont été autorisés à redémarrer. Alors que l’énergie nucléaire représentait 30 % du mix électrique japonais avant la catastrophe, l’atome est retombé à 6 % en 2018, derrière le gaz (36 %) et le charbon (32 %). Les récents problèmes de pénurie d’électricité ont cependant relancé le débat sur l’avenir du nucléaire. Selon le ministre japonais de l’énergie, la filière sera indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Qu’en est-il des autres pays ? "En France, la catastrophe de Fukushima n’a eu aucune conséquence, commente Marc Deffrennes. En revanche, elle a eu un impact aux États-Unis et au Royaume-Uni. Avant Fukushima, il y avait une renaissance de l’industrie nucléaire dans ces pays, avec la perspective de construire de nouvelles centrales".

Gros impact dans le monde occidental
Selon des statistiques fournies par la World Nuclear Association, le monde occidental (États-Unis, Europe, Australie, Canada…) n’a mis en service qu’une seule nouvelle centrale nucléaire depuis la catastrophe de Fukushima. Il s’agit de la centrale américaine de Watts Bar 2, en 2016. Les EPR français d’Olkiluoto (Finlande), Flamanville (France) et d’Hinkley Point (Royaume-Uni) ne sont toujours pas en service. Ces statistiques tendent à prouver que l’impact de Fukushima a été considérable dans le monde occidental. Mais est-ce le véritable déclencheur de cette défiance vis-à-vis de l’atome ? "Le déclin du nucléaire en Europe et aux États-Unis n’est pas lié à Fukushima, nuance Damien Ernst, professeur à l’ULiège. Aux États-Unis, la révolution du gaz de schiste a rendu les centrales au gaz plus compétitives. En Europe, c’est le fiasco de l’EPR français qui a mis à mal la filière nucléaire".
"Avant Fukushima, le nucléaire était déjà en perte de vitesse dans le monde occidental, ajoute Louis Boujard, analyste chez Oddo BHF. Mais cet accident a accéléré la perte de compétitivité du nucléaire par rapport au renouvelable". En effet, les nouvelles normes de sécurité post-Fukushima ont augmenté les coûts de la filière, diminuant sa compétitivité.
La Chine, nouvelle puissance nucléaire
Si le monde occidental semble s’être détourné de cette technologie, ce n’est pas le cas d’autres pays du monde. Au total, 62 réacteurs nucléaires ont été mis en service depuis mars 2021. La majeure partie de ces nouvelles centrales ont été construites en Chine. Suivent ensuite la Russie, l’Inde, la Corée du Sud, la Biélorussie, le Pakistan, l’Iran et l’Argentine. En outre, la première centrale nucléaire du monde arabe a été mise en service en 2020, aux Émirats arabes unis.
Néanmoins, la lutte contre le réchauffement climatique a donné un nouvel élan à la filière nucléaire dans le monde occidental. Joe Biden s’est fixé un objectif ambitieux de neutralité carbone dès 2035 dans le secteur de la production d’électricité. Pour cela, il compte sur le nucléaire de nouvelle génération, en complément des énergies renouvelables.
En France, Emmanuel Macron envisagerait de débloquer 45 milliards d’euros pour construire six EPR sur le sol français. Mais, selon Le Monde, la décision finale ne devrait pas intervenir avant 2023, après l’élection présidentielle donc.
La Pologne, et d’autres pays d’Europe de l’est, envisagent également de construire des nouvelles centrales. "Les Polonais hésitent entre les Américains et les Français pour leur fournir six réacteurs nucléaires, note Damien Ernst. Si EDF arrive à décrocher le contrat, ils pourront peut-être se relancer. C’est amusant de voir que le futur de la filière nucléaire française se joue en Pologne". La concrétisation, ou non, du programme français de six nouveaux réacteurs aura logiquement une grande influence sur le choix de la Pologne.
En Belgique, la catastrophe de Fukushima a eu comme conséquence la réalisation de stress tests. L’objectif était de renforcer la résistance de nos réacteurs aux catastrophes naturelles, ainsi qu’aux attentats terroristes. Engie Electrabel mentionne un investissement de l’ordre de 200 millions d’euros. L’idée était de pouvoir maintenir le refroidissement du cœur de réacteur en cas de catastrophe. Des unités mobiles, équipées de groupes électrogènes et de véhicules incendie, ont été mises en place. À Tihange, un mur de 2,3 mètres de haut a été construit sur 1,8 kilomètre de long afin de protéger le site contre les inondations. Les débats sur la sécurité ne sont néanmoins pas clos. Notamment en ce qui concerne la résistance des centrales de première génération (Doel 1, Doel 2 et Tihange 1) à la chute d’un avion.