Taxer les hauts revenus ? "Le FMI n’est pas une boutique de gauchistes, ils ont raison. La durabilité de l’économie en dépend"
Faut-il, comme le suggère le FMI (Fonds Monétaire International) augmenter la fiscalité sur les plus hauts revenus pour sortir de la crise ? Pour Etienne de Callataÿ, il ne faut pas tomber dans le poujadisme et le slogan mais il faut une plus grande éthique fiscale.
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- Publié le 15-04-2021 à 17h35
- Mis à jour le 15-04-2021 à 18h34
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Faut-il taxer davantage les riches ? Il serait simpliste de résumer la proposition du FMI à cette question mais elle se pose. Etienne de Callataÿ, chief economist chez Orcadia, a travaillé pour cette le Fonds monétaire international et nous livre son point de vue.
Trouvez-vous étonnant que le FMI appelle à augmenter la taxation des hauts revenus ?
Que ce soit étonnant, certainement. J’ai travaillé au FMI il y a trente ans et cette idée n’aurait pas émergé à cette époque-là. Mais avec le Covid et plus encore avec le creusement des inégalités et du développement des hyper riches, c’est compréhensible. Et il n’y a pas que le FMI, le Forum de Davos le dit également. Un monde dans lequel il y a trop d’inégalités est un monde où on ne saura pas faire de bonnes affaires. Il faut de la cohésion et les commerçants ont intérêt à ce que leurs clients soient suffisamment riches également.
Que faire alors ?
La priorité, comme l’a dit Biden, c’est d’améliorer la fiscalité internationale. Ce n’est pas une question que l’on peut aborder de manière isolée. On sait que l’argent est mobile. L’idée n’est pas de demander à ceux qui paient pas mal d’impôts d’en payer plus mais de demander à ceux qui ont les moyens d’y échapper de participer à une juste part. Il faut de l’éthique fiscale. Il y a, en retour, une paix sociale, des étudiants formés, des maladies contrecarrées. On bénéficie de la collectivité. À quoi ça sert d’être extrêmement riche si l’État n’a pas d’argent pour vacciner la population par exemple ? Commençons à faire payer ce qui est dû. On peut trouver que les sociétés paient trop peu, mais ce qu’il y a, c’est surtout que quelques sociétés paient beaucoup trop peu. Et c’est la même chose pour les individus. Il faut de la coordination pour empêcher des optimisations fiscales agressives.
Faudrait-il établir un seuil de revenus ?
On peut avoir ce genre de débat mais il y a des difficultés. Est-ce qu’il faut taxer les revenus ou les patrimoines ? Est-ce qu’il faut taxer les plus-values ? Répondre d’une manière précise est complexe mais on peut constater que dans nos économies, on a eu tendance à réduire la progressivité de l’impôt. De telle sorte que les barèmes sont parfois des falaises. Il faudrait une progressivité plus "progressive". Cela ne veut pas dire qu’il faut surtaxer mais on se rend compte que l’on a été trop loin dans l’abaissement des barèmes d’impôts.
La question de l’optimisation et de l’évasion fiscale se pose. La crise a changé la donne ?
Tout à fait. Il y a le Covid mais aussi des changements politiques. Biden n’est pas Trump, inutile de le préciser. Même au Royaume-Uni, le discours est nettement plus modéré sur le libéralisme que ce qu’on entendait il y a dix, vingt ou même trente ans. Theresa May était déjà très différente de David Cameron, lui aussi différent de John Major ou Margaret Thatcher… Il y a une inflexion. L’État intervient davantage. On peut penser que le balancier de la dérégulation et du libéralisme a été trop loin et qu’aujourd’hui il y a une correction.
La crise actuelle aide en ce sens où elle réhabilite l’État. Même au niveau du monde de l’entreprise. Regardez comment la FEB montre peu de cohérence intellectuelle en se tournant vers l’État. C’est étonnant. On le voit avec la norme salariale. Les patrons demandent à l’État de réglementer la formation des salaires. Ce n’est pas très libéral ça. Ce serait honnête qu’il y ait un juste retour et que le monde de l’entreprise contribue davantage. Je pense que c’est de la saine économie libérale. Je m’inscris pleinement dans ce raisonnement. Je ne veux pas d’un "pile je gagne, face je ne perds pas". On ne peut pas avoir une privatisation des gains et une nationalisation des pertes. C’est dangereux de jouer à ce jeu-là. À force de trop tirer sur la corde, le système pourrait vaciller. Le FMI n’est pas une boutique de gauchistes. Ils pensent que c’est bon pour l’économie et ils ont raison. La durabilité de l’économie en dépend. Un actionnaire veut tirer des bénéfices d’une entreprise en 2022 mais doit voir aussi à long terme. D’un point de vue purement “marchés” d’ailleurs, si les finances publiques se dégradent trop, il pourrait y avoir une augmentation des taux d’intérêt, une perte de confiance et les marchés financiers dégusteraient. On n’a pas du tout intérêt à un tel scénario.
Certains redoutent les discours opposant “riches et pauvres”, comme Pierre Wunsch, de la BNB… La polarisation est dangereuse ?
Je le rejoins complètement. On est toujours le riche ou le pauvre de quelqu’un d’autre. Il ne faut pas que ce soit un slogan. On peut vite tomber dans le poujadisme. Il faudrait que les hyper riches contribuent davantage, certes, mais ce n’est pas cela qui va régler tous les problèmes. Il faut voir l’ensemble.