La sortie prévue du nucléaire est-elle responsable de la flambée des prix de l’électricité ?
Les prix de l’électricité ont plus que doublé par rapport à l’année dernière.
Publié le 22-07-2021 à 18h26 - Mis à jour le 23-07-2021 à 08h05
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Ces derniers mois, on a assisté à une hausse vertigineuse des prix de l’électricité sur les marchés de gros. Alors que le prix moyen sur le marché belge Day-Ahead (le négoce d’électricité pour le lendemain) était de 29,84 euros par MWh en juillet 2020, on est monté à 74,44 euros par MWh en juin 2021.
Face à cette situation, Damien Ernst, professeur à l’ULiège, a appelé la ministre de l’Énergie "à agir". Marie Christine Marghem (MR), l’ancienne titulaire du poste, a réagi en affirmant qu’il "faut agir en effet ! La politique énergétique actuelle ne peut continuer : il faut de l’électricité produite proprement et d’un prix abordable".
Mais la politique énergétique belge, et singulièrement la sortie prévue du nucléaire, est-elle responsable de cette envolée des prix ? Nous avons posé la question à la Creg, le régulateur fédéral du secteur énergétique.
1. Pourquoi les prix de l’électricité flambent-ils ?
Trois éléments "internationaux" expliquent, en partie, la hausse des prix de l’électricité : l’augmentation des cours du charbon, du gaz et du CO2. Commençons par l’influence du carbone, dont le prix est passé de 30 à 50 euros la tonne en quelques mois. Pour rappel, la production d’électricité est soumise au marché européen du carbone (ETS ou Emission Trading System). Les centrales européennes au gaz et au charbon doivent donc acquérir des quotas de CO2 au prorata de leurs émissions. La hausse du prix du carbone a donc une influence sur les coûts des centrales européennes au gaz et au charbon, tout comme l’augmentation du cours des deux matières premières.
Par ailleurs, la Creg pointe une augmentation de la demande d’électricité en Belgique, ainsi qu’une réduction de l’offre, ce qui a logiquement comme conséquence de pousser les prix vers le haut. Avec le déconfinement opéré ces dernières semaines, la consommation d’électricité a rebondi par rapport au creux de l’année passée. Quant à la diminution de l’offre, elle s’explique notamment par des conditions météo peu favorables aux éoliennes, et par la maintenance de la centrale de pompage-turbinage de Coo.
2. Pourquoi les prix du gaz et du CO2 augmentent-ils ?
Le prix de la tonne de CO2 a eu tendance à augmenter en raison du renforcement des politiques climatiques européennes. En outre, selon la Creg, certains acteurs se sont constitué des réserves de quotas de CO2 car ils anticipent une augmentation supplémentaire du prix de la tonne de carbone dans le futur.
Qu’en est-il des prix du gaz ? Cela peut paraître étonnant, mais la hausse du prix du CO2 a eu tendance à accroître l’utilisation des centrales au gaz. En effet, le coût du carbone étant plus élevé, il est devenu plus rentable de produire de l’électricité avec une centrale au gaz qu’avec une centrale au charbon (plus polluante). Il y a donc eu une hausse de la consommation de gaz, au détriment du charbon, pour produire de l’électricité.
La Creg pointe également plusieurs éléments qui ont perturbé l’offre de gaz. Ainsi, l’Europe attire moins de navires transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) car le gaz est plus cher en Asie. Les producteurs de GNL ont donc intérêt à le vendre en Asie plutôt qu’en Europe. En outre, "une panne sur le gazoduc Nord Stream a ramené à zéro les livraisons via cette route entre le 13 et le 25 juillet", ajoute la Creg. L’annonce de la fin du conflit entre les USA et l’Allemagne autour de Nord Stream 2 devrait cependant soulager les tensions du côté de l’offre de gaz à moyen terme.
3. Prolonger le nucléaire ferait-il baisser les prix ?
La Vivaldi devra décider, au mois de novembre, si elle prolonge ou pas la durée de vie de deux réacteurs nucléaires : Tihange 3 et Doel 4. Rappelons cependant qu’Electrabel ne sera peut-être pas capable de mettre en œuvre cette prolongation, même si elle était décidée par le gouvernement. L’énergéticien a toujours dit qu’une telle décision devait intervenir fin 2020 au plus tard…
Quoi qu’il en soit, la prolongation de deux centrales nucléaires en Belgique n’aurait qu’un effet limité sur les prix de gros de l’électricité. Pour rappel, en temps normal, les prix en vigueur en Belgique dépendent largement du marché européen CWE (Central Western Europe). Or les capacités belges de production ont une influence limitée sur les prix de ce grand marché. Electrabel avait déjà fait savoir que ses sept réacteurs nucléaires ne représentaient que 6 GW de capacités sur un marché européen de… 400 GW. Tihange 3 et Doel 4, s’ils étaient prolongés, ne représenteraient donc que 0,5 % du marché CWE (2 GW sur 400 GW). La Creg estime d’ailleurs qu’il faut être "très prudent" quant à un "possible" effet positif d’une prolongation de deux réacteurs nucléaires sur les prix de l’électricité. Le régulateur estime que les paramètres à prendre en compte sont nombreux, d’autant plus que les capacités d’échange d’électricité entre les pays vont encore augmenter. Et plus les pays seront interconnectés, plus les paramètres à prendre en compte seront nombreux.