Liban : les raisons de la colère, les chiffres du chaos
Le pays, déjà exsangue, traverse une crise sans précédent. Les autorités sont complètement dépassées.
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Publié le 23-08-2021 à 18h52 - Mis à jour le 30-08-2021 à 21h46
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L'une des "trois crises mondiales les plus sévères depuis le milieu du 19e siècle". Le constat dressé en juin par la Banque mondiale sur la situation économique du Liban est sans appel. Si le monde traverse une crise, le pays du Cèdre, lui, suffoque. 78 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté.
Fin août, rien ne s’arrange. Les files dans les stations essences s’allongent autant que les tensions montent au sein de la population. Le pays est au bord du gouffre et les autorités, déjà dépassées, viennent d’acter une hausse de 70 % des prix du carburant.
Pourquoi ? Car le mécanisme de subventions à l’importation de pétrole mis en place par la Banque centrale libanaise pour limiter la hausse des prix est à bout de souffle.
Quel mécanisme ?
À la base, le subventionnement des importateurs locaux de pétrole (acheté en dollars) reposait sur le taux de change officiel. Une belle sécurité pour eux quand on sait que la valeur de la monnaie s’est effondrée de 90 % en deux ans. Officiellement, le taux restait de 1 507 livres libanaises pour un dollar mais sur le marché noir – soit le système économique en vigueur – le taux variait autour des 20 000 livres pour un dollar.
Mais revenons aux importateurs de pétrole. Devant l’assèchement de liquidités, de dollars en particulier, la Banque centrale a changé son fusil d’épaule. En juin, le taux de change a donc augmenté, se rapprochant des valeurs du marché noir.
Après une éphémère période à 3 900 livres pour un dollar, la Banque centrale chomalibanaise a annoncé un nouveau taux de 8 000 livres pour un dollar. Difficile de suivre pour les importateurs. Le pétrole a donc commencé à se raréfier, plombant un peu plus l’économie libanaise.
En clair, les autorités reconnaissent leur impuissance face à l’effondrement de la valeur de la monnaie et l’explosion des prix des carburants.
Le réseau électrique est également à genoux et les coupures sont devenues la norme. L’absence de courant dure jusqu’à 23 heures par jour.
L’hôpital américain de Beyrouth a même dû faire appel à la solidarité internationale le 15 août dernier pour continuer à faire tourner ses générateurs afin d’alimenter, entre autres, ses appareils respiratoires. Et maintenir des patients, adultes comme enfants, en vie.
Plus de 40% de chômage
Enfin, avec plus de 40 % de chômage, un PIB en chute libre passant de 55 milliards en 2018 à 33 milliards de dollars en 2020 et un salaire minimum tournant autour des 35 dollars par mois sur le marché noir, le pays est en proie à la hausse de la criminalité. L’inflation, quant à elle, est montée en flèche, à plus de 84,86 % en 2020, contre 2,9 % en 2019.
Corruption et opacité
Le Liban est sans chef du gouvernement depuis la démission du Président du conseil des ministres, Hassan Diab, à la suite de l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth, l'été dernier. Un an plus tard, un successeur a été désigné, Najib Mikati, dont l'investiture se fait attendre. Mais le milliardaire qui a fait sa fortune dans les télécoms ne récolte pas la sympathie de tous. "Mikati n'a aucun programme, aucune vision, aucun plan […]. N'attendez aucun changement", a pour sa part tweeté Henri J. Chaoul, un financier qui faisait partie des membres représentant le ministère des Finances auprès du FMI, avant sa démission.
Un autre nom revient souvent, celui de Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale. Le président français Emmanuel Macron l’a même indirectement accusé d’être au cœur d’une “pyramide de Ponzi”. C’est lui qui avait fixé en 1997 le taux officiel fixe – arbitraire et désormais illusoire – de 1 507 livres libanaises pour un dollar, garant d’une forme de stabilité financière.
Élu “Meilleur gouverneur de banque centrale” et “Banquier central de l’année” en 2006 et 2009 par des magazines spécialisés – ce qui reste symbolique -, ce dernier est désormais au centre de l’attention. Le parquet financier français a même ouvert une enquête le concernant à propos de biens acquis dans l’Hexagone.
Cristallisant les critiques sur le manque de transparence et la corruption au Liban, la Banque centrale devait laisser le cabinet Alvarez&Marsal faire un audit, une condition sine qua non mise en avant par le FMI et la France pour débloquer les aides internationales. Mais le cabinet a jeté l’éponge en novembre 2020, estimant avoir récolté à peine 42 % des informations exigées. La Banque centrale ayant alors mis en avant l’argument du secret bancaire.
"Le Liban fait face à un épuisement dangereux de ses ressources, notamment son capital humain. La main-d'œuvre hautement qualifiée est de plus en plus susceptible de saisir les opportunités qui se présentent à l'étranger, ce qui représente une perte sociale et économique irrémédiable pour le pays", alerte pour sa part Saror Jumar Jha, directeur de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient, pour qui l'avenir du Liban risque d'être encore plus sombre à long terme si le pays n'engage pas un assainissement réel de son système économique.