Charbon, pétrole, gaz... Pourquoi la demande et les prix explosent malgré les objectifs climats ?
Malgré les objectifs climatiques, la demande en énergies fossiles explose et les prix suivent une tendance similaire.
Publié le 31-08-2021 à 08h05 - Mis à jour le 31-08-2021 à 15h08
:focal(2495x1671.5:2505x1661.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5TQSOOEXQ5B5TM365DKB6IOLXM.jpg)
La tempête Ida, qui s’est abattue sur le sud des États-Unis, a poussé le pays à mettre sur pause sa production de pétrole et de gaz dans la région du golfe du Mexique. Malgré une hausse des prix redoutée, celle-ci est restée limitée. Néanmoins, les craintes liées à l’approvisionnement en certaines matières premières font redouter une hausse des prix à moyen terme.
Le 1er septembre, une réunion de l’Opep et de ses partenaires devrait permettre d’y voir plus clair pour le pétrole. Cependant, les doutes sur la vigueur de la reprise économique pourraient pousser certains pays exportateurs à ne pas augmenter leur production, comme le Koweit l’a laissé entendre récemment. Dans quel but ? Coller à la demande de pétrole qui pourrait finalement ralentir… et limiter la baisse potentielle du prix du baril. Petit point sur l’évolution attendue des prix du pétrole, du gaz et du charbon.
1. Le pétrole pourrait encore monter
Les prix du pétrole font du yoyo depuis plusieurs semaines. Alors que le baril de Brent avait démarré l’année 2021 aux alentours de 50 dollars, il est ensuite monté en flèche, atteignant 77,84 dollars le 6 juillet dernier (+55 %). Mais les craintes concernant une reprise de la pandémie ont ensuite fait pression sur les prix pétroliers. Ainsi, lundi passé, le Brent est redescendu sous la barre des 65 dollars. Mais, depuis lors, il a repris environ 13 %, pour dépasser les 73 dollars.
Où pourrait nous conduire cette volatilité extrême des prix pétroliers ? En juin dernier, la banque américaine Goldman Sachs avait estimé que le seuil symbolique de 100 dollars (plus atteint depuis 2014 !) pourrait à nouveau être franchi.
Rappelons que de nombreux éléments géopolitiques influencent les prix de l’or noir. Il est donc très compliqué de faire des prévisions. D’après certains experts, l’Arabie saoudite a pour objectif un baril aux alentours de 80 dollars. Pourquoi ce prix ? Un niveau inférieur ne permettrait pas d’équilibrer le budget saoudien. En revanche, un prix plus élevé aurait tendance à accélérer le développement des énergies renouvelables, et donc la fin de l’âge du pétrole (ce que ne souhaitent pas les dirigeants saoudiens). L’Opep +, l’association dominée par l’Arabie saoudite et la Russie, tente donc de moduler sa production de pétrole pour atteindre un prix ni trop bas ni trop haut.
À côté de ces éléments géopolitiques, d’autres éléments plus classiques d’offre et de demande jouent aussi un rôle. Le coronavirus va-t-il encore longtemps entraver l’économie mondiale et donc la demande de pétrole ? L’industrie américaine du pétrole de schiste va-t-elle profiter du pétrole cher pour augmenter sa production ? Autre élément plus géopolitique : Joe Biden va-t-il lever les sanctions contre Téhéran, permettant une hausse de la production iranienne de brut ?
Compte tenu de tous ces éléments, Frank Vranken, chef stratégie à la banque Edmond de Rothschild Europe Luxembourg, estime que le prix du baril pourrait encore augmenter à court terme. "Dans les 12 à 24 mois à venir, le prix du baril devrait rester élevé, déclare-t-il. Les prix pourraient même encore augmenter et dépasser les 80 dollars. Mais je ne vois pas l'or noir franchir la barre des 100 dollars."
Pourquoi cet expert anticipe-t-il une hausse supplémentaire des prix pétroliers ? "L'Arabie saoudite verrait d'un bon œil une nouvelle hausse des prix, déclare-t-il. Selon Riyad, le prix idéal se situe aux alentours de 80 dollars. L'Opep + pourrait donc moduler sa production pour atteindre cet objectif." C'est probablement la perspective d'une nouvelle hausse des prix qui a récemment incité Joe Biden à faire pression sur l'Arabie saoudite en faveur d'une augmentation de la production de pétrole de l'Opep +, qui se réunit ce mercredi.
Mais à côté de l'influence géopolitique de l'Opep +, d'autres facteurs, comme la lutte contre le réchauffement climatique, entrent en ligne de compte. "Les sociétés pétrolières cotées en Bourse sont mises sous pression par leurs actionnaires afin de réduire leur empreinte carbone, précise Frank Vranken. Elles doivent donc diversifier leurs activités, notamment dans les énergies renouvelables. Auparavant, quand une compagnie découvrait des réserves de pétrole, son action montait, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Tout cela fait que les compagnies pétrolières cotées ont très peu investi dans de nouveaux champs pétroliers. En cas de forte reprise économique, on pourrait donc assister à une pénurie de pétrole et à une hausse des prix." À plus long terme, Frank Vranken estime cependant que la demande de pétrole devrait baisser grâce aux politiques de lutte contre le réchauffement climatique. "Comme la production ne s'adaptera pas rapidement à la baisse de la demande, les prix pétroliers devraient diminuer", estime-t-il.
Rappelons cependant que la majorité de la production de pétrole provient de compagnies publiques nationales (Aramco…) qui ne sont pas soumises à la contrainte des actionnaires privés.

2. Le gaz, un moindre mal ? En tout cas, la demande explose…
La décision de la Belgique de passer par des centrales au gaz pour sortir du nucléaire poussera la demande à la hausse chez nous, à court et moyen terme. Et dans le reste du monde ? "Pour le gaz, on atteint effectivement des niveaux de prix record (4,39 $/BTU à New York, ou plus de 45 €/MWH à Rotterdam, soit une hausse de 136 % depuis le début de l'année, NdlR). La demande est très soutenue. En Asie, la chaleur a poussé la consommation de gaz à la hausse. Pour alimenter les climatiseurs électriques, il faut faire tourner les centrales au gaz", pointe Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre Énergie et Climat de l'IFRI (Institut français des relations internationales), sans oublier la demande liée à la reprise économique et la relance industrielle.
"En Europe, les épisodes de froid ont provoqué des tensions dans les systèmes productifs et dans des pays comme le Brésil, les États-Unis ou la Turquie, les systèmes hydroélectriques, trop peu alimentés en eau, ont vu leur production baisser, favorisant le gaz", détaille-t-il également. Selon l'expert, la demande en GNL (gaz naturel liquéfié) a également explosé mais la production était insuffisante. Les prix, élevés, ont également poussé les États-Unis à favoriser la consommation interne et freiner largement leurs exportations.
"Les stratégies commerciales russes, via Gazprom, jouent également. La Russie préfère réduire son offre, retenir des volumes pour maintenir les prix à la hausse", alors que les autres pays producteurs ne peuvent pas les concurrencer et répondre à la demande internationale.
Même la Norvège, gros producteur dont la principale usine de liquéfaction du gaz a connu un incendie important en septembre 2020, a dû procéder à des réparations longues, coûteuses et pas encore terminées. La Russie a donc les mains relativement libres et doit privilégier sa demande intérieure. "De plus cela lui permet aussi de renforcer sa domination en Europe et de pousser l'avancement de son gazoduc Nord Stream 2", qui contourne l'Ukraine et représente une arme géopolitique importante pour le pays.
"La forte variabilité de la production des énergies renouvelables et le rythme de leur déploiement inférieur aux objectifs ont favorisé la demande en gaz", affirme encore le spécialiste. "En Belgique, compenser la sortie du nucléaire par le gaz est une chose, mais il faut bien comprendre qu'on ne pourra pas toujours compter sur les importations des pays voisins car tous les pays sont en demande", commente-t-il. "On vivait dans l'abondance, c'est en train de disparaître", alerte-t-il, estimant que les prix de l'électricité devraient augmenter à long terme et que la sécurité d'approvisionnement, via un mix diversifié, est essentielle.
3. Le charbon, toujours indétrônable ?
Dénigré, particulièrement en Europe, le charbon reste cependant très demandé à l'international et les prix explosent. Le charbon australien est par exemple passé de 50,14 dollars la tonne à plus de 160 dollars en août 2021 (+219 % en un an). "C'est la malédiction de cette période de relance actuelle", lance Marc-Antoine Eyl-Mazzega.
"Les prix sont au plus haut mais il faut répondre à la demande électrique à tout prix. La compétitivité de l'énergie solaire était devenue supérieure, ça allait dans le bon sens… mais il y a un retournement de situation, elle ne peut pas suivre au niveau production. Donc il faut s'attendre à de très fortes hausses des émissions de gaz à effet de serre", prévient-il. "Il y a une réelle volonté de désinvestissement en centrales au charbon", rassure-t-il, "mais le charbon est loin d'être mort", nuance-t-il lorsqu'on aborde la question de certains chantiers, bien que pour certains à l'arrêt, en Inde ou en Chine. "L'effet du prix, s'il est maintenu à un tel niveau, fera que ces centrales seront moins rentables à long terme", conclut-il.