Qui sont les gagnants et les perdants du retour de l'inflation ?
L’inflation jugée “temporaire” par les banques centrales va-t-elle devenir “persistante ? Cette question taraude de nombreux économistes. Qui estiment qu’il y aura beaucoup de perdants, à commencer par les épargnants.
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Publié le 22-09-2021 à 08h26 - Mis à jour le 22-09-2021 à 09h06
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L’inflation est devenue un sujet de préoccupation dans le monde des économistes. Ce qui pourrait laisser penser qu’elle n’a que des mauvais côtés ? Elle semble en tout cas avoir plus de perdants que de gagnants. Voyons pourquoi.
1. Y a-t-il des risques inflationnistes ?
Avant de s’interroger sur les gagnants et les perdants de l’inflation, il faudrait se demander si la hausse des prix, perceptible depuis quelques mois, est vraiment inquiétante.
Jusqu’à maintenant, les banques centrales temporisent, parlant de hausse “temporaire” des prix. L’OCDE a employé ces mêmes termes à l’occasion de la présentation ce mardi ses prévisions mondiales (lire ci-contre). Histoire de rassurer ?
En chiffres, cela signifie une inflation attendue qui se rapproche des 3 % dans la zone euro pour la fin de l’année, en raison notamment de la hausse des prix de l’énergie (poussée notamment par la forte demande de la Chine) et des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Avec en toile de fond un rebond économique post-Covid. On est donc au-dessus des quelque 2 % d’inflation considérés comme le plafond maximum par la Banque centrale européenne (BCE). Mais les banquiers centraux prédisent “un retour à la normale” en 2023, ce qui leur permet de reporter sine die une remontée des taux.
Dans son dernier éditorial, William De Vijlder, chief économiste du service d'étude de BNP Paribas, estime néanmoins que la BCE semble de plus en plus "partager le point de vue" des analystes que l'on va vers "une inflation durablement plus élevée que par le passé". Pas de quoi toutefois revoir sa politique monétaire puisqu'elle a démenti des informations du Financial Times suggérant qu'elle pourrait remonter ses taux dès 2023, soit un an plus tôt que les estimations d'économistes.
Ivan Van de Cloot, chef économiste auprès de l'Institut de recherche Itinera, estime quant à lui, "qu'il y a un risque que les banques centrales sous-estiment l'inflation. Pour la première fois depuis 2008, il y a un réel risque que l'inflation ne soit pas temporaire mais persistante". Et de faire valoir que "tous les jours, il y a des petits chocs" qui laissent penser que les jugements des banques centrales pourraient s'avérer "erronés". Raison pour laquelle il pense que les banques centrales devraient donner un tour de vis à leur politique monétaire très accommodante plus tôt que prévu si l'inflation persiste. Il ne faudrait pas qu'elles reproduisent les erreurs du passé, qui finissent toujours par une crise.
2. Y a-t-il des gagnants ?
Comme le souligne d'emblée Bruno Colmant, professeur à l'UCL et à l'ULB, "l'inflation est souvent corrélée à la croissance" et "n'est donc pas toujours mauvaise" dans la mesure où elle traduit une activité économique plus soutenue.
Pour lui, les gagnants sont "tous les emprunteurs à taux fixes" puisque la valeur réelle de leurs dettes diminue à mesure que l'inflation augmente. Et les plus gros emprunteurs sont les États dont les dettes ont fortement augmenté pour financer les plans de relance après la crise sanitaire.
C'est d'ailleurs ce qui explique, aux yeux de nombreux économistes, l'actuelle politique monétaire de taux négatifs en dépit des risques inflationnistes. "Les Banques centrales sont devenues les succursales des États. Leur indépendance est factice. Elles ont pris le contrôle de la courbe des taux d'intérêt. Elles vont tout faire pour maintenir les taux d'intérêt au plus bas au détriment des déposants bancaires", souligne Bruno Colmant.
Ivan Van de Cloot apporte la même analyse. "Les banques centrales sont prisonnières de l'endettement des États. Elles perdent leur indépendance en servant les gouvernements qui s'endettent trop. Si la politique monétaire se fait uniquement en faveur des États endettés, cela se termine dans le chaos."
3. Qui sont les perdants ?
Pour Bruno Colmant, il y a "beaucoup de perdants", avec l'inflation. On l'a dit, les détenteurs de carnets de dépôts sont les premiers sur la liste. Surtout en cette période de taux proches de zéro.
Mais il y a aussi les travailleurs qui, malgré l'indexation des salaires, vont perdre du pouvoir d'achat. Car l'indexation "ne reflète pas correctement"les principaux facteurs de la hausse des prix. "Dans l'indice des prix, le loyer, l'eau, le gaz et l'électricité ne représentent que 17 % du total. Les salaires vont être indexés très partiellement" par rapport à la hausse réelle, note-t-il. "L'inflation est payée par la classe moyenne, c'est-à-dire les travailleurs ou l'épargnant. Ce qui n'est pas bon", poursuit Bruno Colmant. Qui précise que l'inflation des actifs, à commencer par l'immobilier, est perceptible depuis longtemps. "Ce qui pose problème pour devenir propriétaire. La baisse des taux en plus des prévisions de reprise de l'inflation font monter le prix des actifs", ajoute Bruno Colmant.
"Les gens pensent qu'ils sont protégés via l'indexation. C'est vrai quand l'inflation est temporaire. Mais cela ne l'est plus quand l'inflation est persistante. Car l'indexation rend le travail plus cher pour l'employeur. Ce qui à terme peut conduire à davantage de chômage", souligne Ivan Van de Cloot.
Il y a donc pour lui, comme pour Bruno Colmant beaucoup d’aspects négatifs à l’inflation, surtout si elle n’est pas temporaire….