Comment l’Allemagne est parvenue à réduire ses émissions de CO₂ deux fois plus vite que la moyenne européenne
La première partie de la transition énergétique allemande est un succès, selon l’Institut Jacques Delors. Mais en Allemagne, sortir définitivement du charbon va être très compliqué.
Publié le 24-09-2021 à 15h40 - Mis à jour le 24-09-2021 à 15h51
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À l'approche des élections fédérales allemandes, Marie Delair et Thomas Pellerin-Carlin, de l'Institut Jacques Delors, ont publié une note sur la transition énergétique allemande, qui a débuté il y a vingt ans. Selon leur analyse, l'Energiewende, dont l'objectif premier était la sortie du nucléaire, a réussi à atteindre ses objectifs.
En 2000, le nucléaire (30 %) et le charbon (49 %) représentaient, à eux deux, 79 % du mix électrique allemand. Vingt ans plus tard, en 2020 donc, le nucléaire est tombé à 11 %, et le charbon à 23 %. Durant ce laps de temps, les énergies renouvelables sont passées de 7 à 45 % dans le mix électrique allemand, un bond exceptionnel. En 2022, la dernière centrale nucléaire allemande devrait être déconnectée du réseau.
"Au regard du premier objectif de l'Energiewende, qui était de sortir du nucléaire, on peut parler de succès, commente Thomas Pellerin-Carlin. En outre, le deuxième objectif, qui était de remplacer le nucléaire par du renouvelable, a aussi été atteint. L'expansion énorme des énergies renouvelables a permis de remplacer le nucléaire mis à l'arrêt, mais aussi de diviser par deux la place du charbon dans le mix électrique allemand".
Selon Thomas Pellerin-Carlin, cette transition a été possible grâce à une alliance rassemblant les partis pro-renouvelable, pro-climat et anti-nucléaire. L'Allemagne a néanmoins failli manquer de peu son objectif climatique 2020, qui consistait à diminuer ses émissions de CO₂ de 40 %. "Sans la crise sanitaire, l'Allemagne aurait été à -37 ou -38 %", précise Thomas Pellerin-Carlin.
Neutralité en 2045
Mais selon cet expert, la deuxième partie de la transition énergétique allemande sera plus compliquée à réaliser. "La sortie du charbon en 2038 sera plus compliquée que la sortie du nucléaire", prévient-il. Dans le détail, l'Allemagne veut baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 65 % à l'horizon 2030, et atteindre la neutralité carbone dès 2045 (au lieu de 2050 dans l'Union européenne). Autre objectif : faire passer la part du renouvelable dans le mix électrique à 65 %. "Les objectifs allemands sont très ambitieux mais faisables", déclare Thomas Pellerin-Carlin.
Selon lui, le prochain gouvernement allemand fait face à trois obstacles majeurs. "Il faudra augmenter le rythme d'installation des éoliennes et des panneaux photovoltaïques dans le futur, indique cet expert. Or, alors que le rythme aurait déjà dû accélérer, il a décéléré en 2019 et 2020. Si ce ralentissement devait être structurel, on irait vers de grands problèmes en Allemagne, et plus largement en Europe".
Le deuxième défi allemand est d’installer des lignes haute tension pour faire transiter l’énergie renouvelable produite dans le nord vers les points de consommation situés dans le sud.
Enfin, la part du gaz dans le mix électrique ne devra pas augmenter durant trop d'années. "Beaucoup de gens, dans les cercles européens, estiment que le gaz est une énergie de transition, précise Thomas Pellerin-Carlin. C'est techniquement vrai, mais la durée de cette transition devra être très très courte". En outre, d'un point de vue environnemental, le gaz devrait provenir de préférence de Russie plutôt que des États-Unis, où les conditions d'extraction sont nettement plus polluantes.
“Beaucoup d’atouts”
Thomas Pellerin-Carlin estime néanmoins que l'Allemagne recèle de nombreux atouts pour réussir son pari. "Il y a une vraie conscience climatique en Allemagne. Certaines manifestations ont rassemblé 1,4 million de jeunes, déclare-t-il. Ces jeunes feront partie de l'élite dans les 5 à 10 années à venir et pourront impulser des changements majeurs. En outre, l'Allemagne possède des ressources économiques et d'intelligence humaine assez rares dans le monde".
Notons que l’Allemagne n’est actuellement pas le meilleur élève de la classe européenne, si on se penche sur ses émissions de gaz à effet de serre.
"Les émissions par habitant de l'Allemagne font partie des plus élevées d'Europe. Un Allemand émet environ 50 % de plus qu'un Français, déclare Thomas Pellerin-Carlin. D'un point de vue statique, l'Allemagne n'est donc pas un bon élève. En revanche, quand on regarde la dynamique, l'Allemagne est un des meilleurs élèves d'Europe. Elle a réussi à diminuer ses émissions de CO₂deux fois plus vite que la moyenne européenne. En outre, elle a réussi cette performance en atteignant une croissance économique considérable, notamment grâce à son secteur industriel. Or il est très important de réduire ses émissions de CO₂ tout en conservant une production industrielle".
Et si le nucléaire avait été maintenu…
Mais n’aurait-il pas été plus judicieux, d’un point de vue climatique, de développer les énergies renouvelables, tout en maintenant le nucléaire ouvert ?
"C'est le genre de raisonnements qu'on entend tout le temps dans le milieu nucléaire français, répond Thomas Pellerin-Carlin. Il faudrait pour cela créer un monde imaginaire, où il n'existe pas de consensus allemand autour de la sortie du nucléaire. En outre, les énergies renouvelables ne se seraient pas développées aussi vite avec le maintien en activité du nucléaire, car la sortie du nucléaire était la condition nécessaire pour que les Allemands soutiennent à ce point, politiquement et financièrement, le développement massif des énergies renouvelables durant ces vingt dernières années".
