Le coût derrière le démantèlement des centrales nucléaires
Le démantèlement des centrales et la gestion des déchets nucléaires représentent un chantier pharaonique, qui devrait s’étaler jusqu’en 2 135. Son coût total est évalué à 40 milliards d’euros, en tenant compte de l’inflation sur toute la durée des opérations.
Publié le 26-09-2021 à 10h04 - Mis à jour le 27-09-2021 à 13h21
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Ce chantier recèle encore quelques inconnues. Pour rappel, aucune décision politique n’a été prise concernant le sort qui sera réservé aux déchets nucléaires les plus radioactifs, dits de catégories "B" et "C". Dans l’attente de cette décision, Electrabel se base sur un scénario de référence hypothétique, à savoir l’enfouissement géologique des déchets nucléaires à 400 mètres de profondeur.
Fin 2020, Electrabel avait provisionné 13,8 milliards d’euros pour financer la gestion du passif nucléaire : 6 milliards pour le démantèlement des centrales et 7,8 milliards pour la gestion du combustible irradié.
Ces 13,8 milliards doivent être suffisants pour financer la gestion du passif nucléaire, évalué à 40 milliards d’euros. Comment expliquer cette différence colossale entre les deux montants ? Le capital provisionné pour gérer le combustible irradié doit générer un rendement annuel de 3,25 %. Le capital dédié au démantèlement des centrales doit, quant à lui, produire un rendement annuel de 2,5 %. En appliquant ces rendements, les provisions nucléaires doivent générer les 40 milliards nécessaires.
Vu l’échelle de temps particulièrement longue des opérations, les taux d’actualisation pris en compte ont une importance considérable. En effet, plus le taux retenu est élevé, moins Electrabel doit provisionner aujourd’hui. Mais en cas de révision à la baisse des taux, Electrabel doit remettre de l’argent au pot.

Début des opérations en 2022, fin en 2135
La première phase des opérations de démantèlement des centrales devrait commencer en 2022, avec la mise à l’arrêt définitif de Doel 3. Les provisions destinées au démantèlement commenceront donc bientôt à être utilisées. La démolition des sept réacteurs devrait être terminée bien plus tard, à l’horizon 2045.
En ce qui concerne la gestion des déchets nucléaires, l’horizon de temps est encore plus long. Selon les dernières estimations, la fermeture du dépôt géologique contenant le combustible usé devrait intervenir en… 2 135.
L’argent provisionné par l’exploitant des centrales est versé à Synatom (une filiale à 100 % d’Electrabel, moins une action détenue par l’État belge). Synatom sera chargé de financer le démantèlement des centrales et la gestion des déchets nucléaires.
La loi actuelle autorise Synatom à reprêter 75 % du montant des provisions nucléaires à Electrabel. Cette possibilité a semé le doute quant à la disponibilité réelle des provisions nucléaires au moment voulu. Electrabel sera-t-il capable de rembourser les prêts accordés par Synatom ? La Commission des provisions nucléaires (CPN) a tiré la sonnette d’alarme, à de nombreuses reprises, à propos de ce risque.
Face à cette incertitude, le groupe Engie a accepté qu’Electrabel rembourse progressivement à Synatom l’argent destiné à gérer le combustible irradié. D’ici 2025, la totalité des provisions nucléaires liées à la gestion du combustible usé devrait être de retour chez Synatom. Mais Synatom pourra continuer à prêter à Electrabel l’argent destiné au démantèlement des centrales.
L'année dernière, une Sicav de droit belge, le belgian nuclear liabilities fund, a été créée pour faire fructifier l'argent des provisions nucléaires. Début 2022, un montant d'environ 6 milliards aura intégré cette Sicav.

"Il faut mieux contrôler où va l’argent des provisions nucléaires"
Eric De Keuleneer, professeur à l’ULB, est très attentif à la question du financement du passif nucléaire. Selon lui, la loi actuelle, datant de 2003, ne permet pas de s’assurer que la facture sera prise en charge par Electrabel, l’exploitant des centrales. Il y a donc un risque que l’ardoise retombe sur le dos du contribuable belge.
C’est Electrabel qui est chargé d’assumer financièrement le coût du passif nucléaire. Pour ce faire, l’exploitant des centrales a constitué des provisions nucléaires, versées à sa filiale Synatom.
Mais Eric De Keuleneer déplore le fait que 75 % du montant des provisions nucléaires puisse être reprêté par Synatom à Electrabel. Il y a donc un risque que l'argent ne soit pas disponible en temps voulu. Par exemple, si Electrabel ne parvenait pas à rembourser son emprunt à Synatom. "Ce risque de défaut de paiement sera encore plus grand lorsque les centrales nucléaires seront fermées et ne rapporteront plus d'argent à Electrabel", ajoute Eric De Keuleneer.
Si Electrabel s'est engagé à rembourser à Synatom l'argent provisionné pour gérer les déchets nucléaires, ce ne sera pas le cas des provisions constituées pour le démantèlement des centrales. "Cela reste très dangereux, déplore Eric De Keulener. Si Electrabel devait être défaillant, il ne sera pas capable de rembourser l'argent à Synatom. Or des milliards d'euros sont en jeu."
D'une façon plus générale, le professeur regrette que l'argent des provisions nucléaires ne soit pas encadré de la même manière que celui géré par les fonds de pension. "Des règles très strictes encadrent les fonds de pension, précise Eric De Keuleneer. Ces règles permettent de s'assurer que les pensionnés recevront bien leur argent, même en cas de faillite de leur ancien employeur. L'argent des fonds de pension est sorti du bilan des entreprises. Le fonds de pension d'Electrabel, par exemple, ne peut pas prêter de l'argent à Electrabel. Je trouve incroyable que l'argent provisionné par Electrabel pour financer le passif nucléaire puisse lui être prêté."

Un taux d’actualisation réaliste ?
Par ailleurs, la Commission des provisions nucléaires (CPN) table sur un rendement annuel de 3,25 % permettant de produire les 40 milliards nécessaires pour financer la gestion du passif nucléaire. Le taux de 3,25 % est-il réaliste ? "Ce n'est pas le taux qui me dérange. Les fonds de pension arrivent à obtenir un rendement de 3 à 4 % par an en investissant dans un portefeuille diversifié d'actions, répond Eric De Keuleneer. Mais, en cas de chute des marchés boursiers, l'entreprise détenant le fonds de pension a l'obligation de le recapitaliser. Or cette obligation de recapitalisation n'existe pas dans le chef d'Electrabel vis-à-vis de Synatom. Il faudrait donc revoir à la baisse le taux de 3,25 %, pour tenir compte de ce risque. Ou alors, il faudrait faire passer une loi pour obliger Electrabel à recapitaliser Synatom si le rendement espéré de 3,25 % n'est pas atteint."
Rappelons que la Commission des provisions nucléaires révise tous les trois ans le taux d’actualisation pris en compte. Et lors de la dernière révision triennale, les taux avaient été revus à la baisse, ce qui avait obligé Electrabel à remettre de l’argent dans les provisions nucléaires. En outre, la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), planche sur une modification de la loi de 2003 en vue de contrôler plus strictement Synatom.
