Pierre Wunsch (BNB) : "La Belgique n’est pas en mesure d’absorber un choc. Ou difficilement"
Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), est l'Invité Éco.
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Publié le 06-11-2021 à 09h35 - Mis à jour le 08-11-2021 à 18h03
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On ne présente plus Pierre Wunsch. Académique de haut vol, l’économiste a ponctué son parcours d’expériences probantes sur le plan politique et entrepreneurial. Il a ainsi passé quelques années à la tête de cabinets libéraux, notamment aux Finances lorsque Didier Reynders en était le ministre. Mais Pierre Wunsch a aussi distillé son savoir-faire en entreprise, chez Electrabel, avant de rejoindre la Banque nationale de Belgique (BNB) en 2011.
Réputé proche de Sophie Wilmès, avec qui il a été à la manœuvre dans la gestion socio-économique de la crise sanitaire avec d’autres experts lorsqu’elle était Première ministre, Pierre Wunsch, dont les sorties médiatiques se font plus rares, prend bien soin de rester au-dessus de la mêlée. Tout en faisant passer ses messages de “raison” à une classe politique souvent très encline à la dépense ou aux promesses dispendieuses intenables. Gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB) depuis bientôt trois ans, Pierre Wunsch s’érige de plus en plus en gardien des finances publiques. Ce qui ne lui vaut pas que des amis… Son sourire “enjoliveur”, dont il ne se départit jamais, et le calme apparent dont il fait constamment preuve en public (on lui prête cependant une main de fer en coulisses….) sont les manifestations les plus visibles de la carapace qu’il s’est construite ces dernières années. Le yoga qu’il pratique toujours doit aider... Pour le dire autrement, les critiques “trop simplistes” glissent, surtout lorsqu’elles concernent sa vision des finances publiques. Il n’en a pas été de même lorsqu’il s’est agi des remontrances portant sur l’absence de femmes au faîte de la BNB ou de son salaire, jugé plantureux par de nombreux observateurs. Là, Pierre Wunsch a fait courbe rentrante.
Entretien François Mathieu
Dans une revue luxembourgeoise, Philippe Ledent, économiste chez ING, a dit : “il y a eu le rattrapage, maintenant, c’est la reprise”. D’accord avec cette vision ?
De façon stricte, on a retrouvé au troisième trimestre de cette année le niveau de production qui était en vigueur avant la crise sanitaire. En moyenne, en termes d’emploi et de PIB, il y a eu rattrapage. On est certes en retard par rapport à l’économie chinoise ou américaine, mais les performances européennes, belges aussi, ont été bien meilleures qu’attendu depuis plus d’un an. Nous sommes cependant confrontés depuis peu à des nouvelles moins positives. Tout l’enjeu est aujourd’hui de faire face aux contraintes d’offre, comme les problèmes d’approvisionnement, la hausse des prix de l’énergie, la pénurie de semi-conducteurs, la pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs… Il faudra sans doute attendre encore quelques trimestres pour jauger de l’effet de la crise Covid sur le marché de l’emploi, mais il ne faut pas s’y tromper : ces contraintes d’offre pour les entreprises sont relativement sévères.
Avec quelles conséquences pour l’économie belge ?
Ce n’est pas hors de contrôle mais on va probablement être amené pour la première fois depuis longtemps à revoir nos prévisions à la baisse pour le quatrième trimestre. Il n’y a pas péril en la demeure puisque les deuxième et troisième trimestres étaient meilleurs que prévu (NdlR : +1,7 et 1,8 % respectivement) et qu’on s’attend toujours à enregistrer de la croissance au quatrième. On est cependant moins optimistes pour les trimestres qui viennent.
L’embellie conjoncturelle des 12 derniers mois a une incidence positive sur nos finances publiques, déficit public en tête. On sort des eaux tumultueuses ?
Le déficit public reste très élevé, et on ne va probablement pas le revoir à la baisse significativement pour l’année 2022. Le déficit actuel ne permet pas de stabiliser le taux d’endettement public. Autrement dit, vu notre croissance actuelle du PIB, l’ampleur de notre déficit provoque toujours une hausse automatique de notre endettement public, de 1 % par an environ d’après nos dernières prévisions (NdlR : 114 % du PIB actuellement).
L’effort budgétaire annoncé par la Vivaldi (0,5 % de réduction du déficit en 2022) ne serait pas suffisant ?
Je vais rester cohérent avec ce que j’ai dit. Pour le moment, on a un niveau de déficit qui fait que la dette augmente d’année en année. Tant qu’il n’y a pas de choc et que les taux restent faibles – mais ils commencent à remonter -, ce n’est pas un problème. Mais on n’est pas en mesure d’absorber un choc. Ou difficilement. Si un choc majeur se produit, et qu’il touche toute l’Europe, il y aura probablement une réponse monétaire. Mais si on a un choc plus spécifique à la Belgique, ou à certains pays de la zone euro, ou que l’inflation remonte et que la politique monétaire ne peut plus être aussi souple, on aura des difficultés. Il faut donc s’attacher à réduire encore le déficit pour que la dette commence à diminuer et qu’on se recrée des marges d’absorption en cas de choc. Aujourd’hui, on n’a pas cette marge. Je ne sais pas quand la prochaine crise va arriver mais elle arrivera un jour et si l’on ne fait rien, ou pas plus, à un moment donné, on aura un problème car les marchés vont nous dire que notre dette n’est pas sous contrôle. Vous savez, ce serait un vrai souci, si les taux augmentent, de devoir prendre des mesures d’assainissement au moment où le choc arriverait et au moment où on devrait pouvoir soutenir notre économie.
Il faut donc faire plus d’efforts…
Le grand rendez-vous, c’est 2023, année au cours de laquelle la clause d’exception n’aura plus cours (NdlR : elle permettra jusqu’en 2022 aux Etats-membres de ne pas avoir de réelle contrainte budgétaire). Il faudra alors sans doute réaliser des réductions de déficit de 0,6 % par an. La question, c’est de savoir si le gouvernement sera en position en 2023 de réaliser un tel effort. D’autant qu’on sera dans une année préélectorale… Par ailleurs, on l’oublie un peu vite, mais il faut ajouter 1 % de déficit structurel en plus à chaque Etat-membre au niveau européen (avec les plans de relance), qu’on va devoir rembourser un jour…
L’inflation, c’est un vrai risque ? Est-ce que le pic attendu ces prochaines semaines est temporaire ?
Sur le plan de l’inflation, on a changé de monde en quelques mois. L’idée reste que l’inflation baisse en 2022, mais jusqu’à quel point ? C’est difficile à estimer. Si on prend nos prévisions de septembre, et qu’on les actualise mécaniquement, sans refaire tourner nos modèles, l’inflation retombe sous 2 % en 2023. Si on a des effets de second tour avec les contraintes d’offres que j’ai citées (approvisionnement, prix de l’énergie, etc.), je ne sais pas où sera l’inflation en 2023. Il faudra aussi voir quelle sera la réaction au niveau des salaires en Europe à la hausse des prix actuelle. Si on prend juste la hausse des prix de l’énergie, d’une manière ou d’une autre, elle sera absorbée par les marges des entreprises ou par les salaires des travailleurs. Ce que ça va donner dans un marché du travail, qui est tendu, marqué par de nombreuses pénuries d’emploi, je ne sais pas ; on pourrait rester proches des 2 % d’inflation même en 2023.
Le temps s’est fort rétréci, pour reprendre l’une de vos expressions…
Oui, on est dans un scénario de reprise de l’inflation. La grande question, c’est de savoir jusqu’où elle va diminuer en 2022, et je ne peux pas mettre ma main à couper que l’inflation sera retombée sous les 2 % en 2023.
La BCE devrait donc durcir sa politique monétaire ?
La probabilité que les taux remontent est plus élevée qu’auparavant. Mais il y a aussi une réelle volonté d’être patients et de ne pas brusquer les choses. On va probablement vers une remontée durable des taux d’intérêt mais à un rythme et selon un calendrier qui dépendront de l’inflation et de la progression des salaires ces prochains mois.
“On a été trop pessimiste sur le plan des faillites”
On entend beaucoup parler de relance de l’économie, mais plus d’accompagnement des entreprises. Ce n’est plus nécessaire ?
Durant la crise, et ça a été plutôt bien géré par le monde politique, on a surtout pris des mesures pour éviter de nombreuses faillites. On s’est tenu prêt, mais sans doute a-t-on été trop pessimiste : la vague de faillites ne s’est pas produite jusqu’ici. On se rapproche de niveaux de faillites “normaux” mais on n’a pas connu de vague importante.
Il faut dire que l’État (ONSS, TVA) ne citera pas en faillite jusqu’à la fin de l’année…
Le fait qu’on ait eu moins de faillites en 2020 est atypique. Pour les raisons que vous évoquez, on aura probablement un peu plus de faillites l’an prochain, mais on n’est plus dans un scénario de tsunami qui emporte tout sur son passage. Il y a des secteurs qui ont beaucoup souffert, et qui souffrent toujours, comme le monde du spectacle ou une partie de l’horeca, mais ce sont des secteurs où il y a un renouvellement d’activité assez rapide. Et le problème est qu’ils ne trouvent pas de personnel. Alors, aider ces entreprises à relancer leur activité dans un tel contexte…
Vous savez, les mesures prises durant la crise ont été adéquates (moratoire, garanties, interventions financières du secteur public, etc.). Quand la crise est extérieure à l’économie, qu’elle n’est pas liée à des déséquilibres propres au système économique, et qu’en plus il y a eu une bonne intervention des services publics, la capacité de reprise est meilleure que celle à laquelle on s’attendait…
Vous faisiez référence aux métiers en pénurie. On a l’impression que les solutions efficaces tardent à être prises…
Il y a eu des réformes dans les années passées, et je pense qu’en matière d’emploi, on va encore bénéficier des effets favorables de ces réformes. Vous savez, Merkel a bien tenu 10 ans sur les réformes de Schroder (sourire). Je crois cependant qu’on peut faire plus. C’est mieux de le faire de manière consensuelle, avec les partenaires sociaux, mais si ce n’est pas possible, il faudra peut-être que le gouvernement prenne des mesures qui n’ont pas l’assentiment de tous. Par ailleurs, en matière d’emploi, je pense aussi qu’on ne pourra faire l’impasse sur les différences régionales. La Flandre est beaucoup plus proche de l’objectif d’un taux d’emploi de 80 % que les Régions bruxelloise et wallonne. Sans réforme de l’emploi plus importante dans ces deux Régions, ce sera difficile d’atteindre cet objectif. Il faut mettre sur pied un ensemble cohérent de mesures, qui incitent à un retour sur le marché du travail.
Un mot sur l’énergie tout de même, au coeur de toutes les discussions actuellement…
Il faut voir le débat sur l’énergie en même temps que sur l’enjeu climatique. On a pris des décisions, et c’est très bien, en faveur de l’abandon des énergies fossiles à l’horizon 2050. Des décisions se prennent en faveur des énergies renouvelables. Très bien aussi. Mais se passer du gaz ou du pétrole d’ici à 2050 ne signifie pas que durant cette période de transition, il ne faille plus faire aucun investissement… Il faut être prudent, parce qu’il faut gérer l’intermittence de ces énergies renouvelables – quand il n’y a pas de vent ou de soleil, il n’y a pas de production d’énergie – et il faut aussi éviter l’abandon des énergies fossiles ne provoque pas de hausses de prix telles que cela favorise à nouveau des investissements dans ce type d’énergie. On perdrait l’adhésion du public. Il y a donc un juste équilibre à trouver dans cette phase de transition. L’enjeu principal, pour peu qu’on cerne correctement nos besoins futurs en électricité, c’est de savoir ce qu’on veut construire en termes de capacité de production si on veut aller vers la neutralité carbone rapidement, et comment cela s’articule avec la sortie du nucléaire. Il y a une différence entre cette transition énergétique et la sortie de notre pays du nucléaire à proprement parler. A terme, l’enjeu sera surtout le stockage d’énergie et la gestion de l’intermittence du solaire et de l’éolien. Ce qu’il faut en conclure ? Que le débat sur la transition énergétique et sur le nucléaire en particulier est un débat compliqué (rires).