Sortie du nucléaire : la lumière risque-t-elle de s’éteindre ?
Notre sécurité d’approvisionnement sera-t-elle garantie en cas de sortie complète du nucléaire en 2025 ? C’est désormais ce point du dossier nucléaire qui est le plus vivement débattu.
- Publié le 29-11-2021 à 06h42
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Vendredi, la Confédération nationale des cadres (NCK-CNC), qui défend la prolongation du nucléaire, a affirmé qu'il faudrait "préparer les bougies et les groupes électrogènes" en cas de sortie de l'atome. Leur analyse des premières enchères du mécanisme de rémunération de la capacité (CRM) ont abouti à la conclusion que "le trou dans la vision de la ministre de l'Énergie est d'au moins 4 000 MW" et qu'il faut prolonger "quatre réacteurs nucléaires".
Qu’en est-il réellement ? Voici notre analyse de la première enchère du CRM organisée par Elia, le gestionnaire du réseau haute tension.
1. Les importations ?
Elia table sur 1 935 MW d'importations pour assurer notre sécurité d'approvisionnement. En provenance d'Allemagne, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne et de France. Est-ce réaliste ? "C'est tout à fait réaliste, commente un expert. En fait, ces capacités existent déjà puisque la Belgique importe déjà de l'électricité. La seule différence est que l'État belge devra donner des subsides à ces capacités étrangères qui aujourd'hui n'en reçoivent pas. À l'exception, bien sûr, des capacités situées en Grande-Bretagne. En raison du Brexit, celles-ci ne pourront pas participer aux enchères du CRM, mais elles seront prises en compte par Elia pour évaluer notre sécurité d'approvisionnement."
On touche ici à une particularité du CRM. L’Europe a accepté que la Belgique subsidie la construction de nouvelles centrales au gaz. Mais, au nom de la sacro-sainte concurrence équitable, il fallait aussi octroyer des subsides aux vieilles capacités existantes. Et comme la Commission européenne défend l’émergence d’un marché européen de l’électricité, elle a aussi exigé que des capacités étrangères puissent participer au CRM belge. Il faudra donc rémunérer des capacités (chez nous et à l’étranger) qui sont aujourd’hui disponibles sans subsides. Une capacité étrangère de 1 935 MW (y compris les 871 MW venus de Grande-Bretagne) est prise en compte dans les calculs d’Elia sur la sécurité d’approvisionnement. Cela ne semble pas excessif au regard des 6 500 MW maximum que la Belgique peut importer.
2. Assez de batteries et de gestion de la demande ?
C'est l'une des particularités du CRM belge : un gros volume de capacités doit être trouvé lors de l'enchère de 2024, un an avant la sortie du nucléaire. Selon Elia, il faudra trouver 1 578 MW à cette occasion. En 2024, il sera trop tard pour construire une nouvelle centrale au gaz. A priori, ce seront donc des technologies comme la gestion de la demande ou des batteries qui devront émerger lors de cette enchère. Le volume à trouver est-il réaliste ? "C'est un des points compliqués du CRM, estime une source. On oublie souvent qu'un important facteur de correction est appliqué aux différentes technologies en fonction de leur contribution réelle à la sécurité d'approvisionnement. Si une batterie est disponible 4 heures, on lui applique un facteur de correction de 36 %. Pour obtenir 1 000 MW corrigés, une batterie disponible quatre heures doit avoir une capacité de 2 778 MW. Il sera donc très compliqué d'aller chercher de tels volumes en batteries et en gestion de la demande."
Elia répond qu'il y a effectivement des obstacles à franchir. Mais le gestionnaire du réseau se dit confiant. "On disait aussi que l'aval européen au CRM arriverait trop tard, mais ça n'a pas été le cas."
Précisons également qu’on savait depuis le début qu’un gros volume devrait être trouvé en 2024. Ce n’est donc pas dû à un échec de l’enchère de 2021. Ce gros volume réservé pour l’enchère de 2024 a servi à minimiser la construction de nouvelles centrales au gaz. En effet, on savait qu’il serait trop tard pour participer à l’enchère de 2024 avec une nouvelle unité au gaz.
3. Les veilles centrales au gaz vont-elles partir ?
C'est une surprise des enchères de 2021 : de nombreuses vieilles centrales au gaz n'ont pas soumis de demande de subsides. Ces capacités existantes étaient pourtant assurées d'obtenir un soutien public. Pourquoi ont-elles préféré ne pas participer ? "Il y a une foule de raisons possibles, commente un expert. Rien qu'avec l'inflation, il sera possible de demander davantage de subsides lors des enchères de 2024 qu'en 2021. En outre, certaines vieilles centrales au gaz ont probablement préféré attendre de voir si le nucléaire serait prolongé ou pas. Même en recevant des subsides, de vieilles unités au gaz pourraient devenir non compétitives si on prolonge deux réacteurs nucléaires. Enfin, certaines capacités ont probablement préféré attendre pour analyser la complexité du CRM avant de se lancer. N'oublions pas que de grosses pénalités sont possibles".
Selon Elia et Tinne Van der Straeten, ces 3806 MW de capacités existantes seront toujours sur le marché en 2025, année de la sortie du nucléaire. On peut en effet supposer que ces capacités ne vont pas fermer si elles sont nécessaires pour garantir la sécurité d'approvisionnement. "J'aurais néanmoins préféré que ces vieilles centrales signent un contrat de capacité en 2021 pour être certain qu'on puisse compter sur elles en 2025, ajoute une source. Rien ne garantit leur présence en 2025."
4. Vilvorde aura-t-elle son permis ?
C’est une autre inconnue du dossier. La nouvelle centrale au gaz de Vilvorde, sélectionnée par Elia, aura-t-elle son permis régional ? Pour le moment aucune solution claire ne s’est dégagée dans ce dossier, piloté côté flamand par la ministre Zuhal Demir (lire son portrait en pages 6-7).
5. Une prolongation nucléaire compliquée aussi
Précisons que la prolongation du nucléaire comporte aussi beaucoup d’incertitudes. Si la Vivaldi décide de prolonger Doel 4 et Tihange3, cela ne va pas éclaircir la situation.
