Niko Demeester, le nouveau patron de la Confédération Construction: "Il faudrait tripler le rythme de rénovation des logements résidentiels"
Niko Demeester, nouveau patron de la Confédération Construction qui représente plus de 120 000 entreprises dans notre pays, est l'Invité Éco.
Publié le 04-12-2021 à 13h57 - Mis à jour le 04-12-2021 à 15h40
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Niko Demeester, le nouveau patron de la confédération de la construction depuis mercredi, le dit d’emblée quand il doit se présenter. Il est quelque peu “atypique” dans la mesure où il n’a pas la formation d’ingénieur comme beaucoup de patrons dans le secteur, mais celle d’un économiste qui est passé par la prestigieuse école de management Insead.
Il a débuté sa carrière à la FEB (Fédération des entreprises de Belgique), aux côtés de feu Tony Vandeputte, "son premier chef" , "un grand seigneur" dont il a "beaucoup appris". Après quelques années de consultance, il est devenu chef de cabinet du ministre Open VLD, Vincent Van Quickenborne. Il était à ses côtés au moment de la crise financière. "Des moments intensifs" où il a vu des grands patrons se tournant vers le gouvernement car ils étaient incapables de trouver une solution pour sauver leurs institutions au bord du précipice. Il n'est pas près d'oublier ces moments "d'adrénaline pure" où "on apprend beaucoup".
Niko Demeester, qui dit n'avoir jamais voulu faire de la "politique politicienne", n'a jamais été membre de l'Open VLD. Sans toutefois nier ses convictions politiques "de centre droit". Après ces années de "cabinettard", il a atterri à la fédération patronale flamande Voka qui, sous sa direction, a œuvré pour avoir un "impact fort" sur les mesures du gouvernement Michel. Un Voka qui, à l'entendre, n'est pas le porte-parole de la N-VA, et qui "parle avec tous les partis".
Vous succédez à Robert de Mûelenaere qui a été le patron de la confédération de la construction depuis 25 ans. N’est-ce pas une succession trop compliquée ?
Je suis évidemment honoré de succéder à Robert. La transition a été préparée depuis le printemps 2020. Je suis déjà à la Confédération depuis janvier. Parmi les principaux résultats obtenus par Robert, je citerai le plan pour la concurrence loyale, qui a tiré un trait sur le dumping social. Pour des questions de réputation et de durabilité, il voulait des règles de jeu honnêtes.
Robert a aussi négocié une baisse des cotisations sociales pour le secteur, en plus du tax shift. Ce régime spécifique entraîne une baisse des cotisations patronales de trois euros par heure. Il a rendu la main-d’oeuvre belge plus compétitive vis-à-vis des travailleurs détachés venant de l’Europe de l’Est. Dès que ces mesures ont été appliquées, le nombre d’emplois détachés a chuté et l’emploi intérieur a grimpé. C’est la preuve qu’on peut résoudre le coût du travail.
A cela s’ajoute le régime de 6 % de TVA pour la rénovation qui vaut de manière plus large pour la démolition/reconstruction jusqu’à fin 2022. Les inondations en Wallonie ont prouvé son utilité. On en aura d’ailleurs encore besoin pour le changement climatique.
Et quelle sera votre touche personnelle ?
Je ne suis pas venu pour faire la révolution mais pour faire évoluer la confédération. L’organisation en interne doit être un peu actualisée. Ça, c’est pour le back office. En front office, il y a trois ou quatre tendances. La manière de construire va changer, mais aussi la manière dont les entreprises de construction fonctionnent. Leur place dans la chaîne de la valeur ajoutée, leur métiers vont évoluer. Ce qui se traduira aussi par un changement dans le type de membres. On va évoluer vers un métier de projets temporaires, par chantier vers un modèle où il y aura une relation plus permanente avec le client. On travaillera presque en permanence sur la construction qu’on aura réalisée. On va l’entretenir, l’exploiter, la rénover, la démolir et la recycler. Cela veut dire qu’on gagnera de l’argent à la construction ainsi que tout au long du cycle du bâtiment. On sera là pour le long terme. Cela change aussi le mode de pensée puisqu’il faut entretenir une relation continue avec le client. C’est un peu ce que j’appelle le modèle Netflix ou Spotify.
Cela ne va-t-il pas entraîner des coûts supplémentaires pour le client ?
Justement pas. C’est là que se trouve le "win win". Si un entrepreneur construit votre maison, l’entretient et la rénove, son prix de construction peut baisser. Il y a déjà deux exemples précurseurs. Ainsi, le groupe Besix exploite déjà des hôtels qu’il a bâtis. Autre exemple : l’entreprise de construction de maisons Haex dans le Limbourg qui propose de rester partenaire 25 à 30 ans pour maintenir la qualité de la maison.
Avec cette évolution que vous venez de décrire, le coût initial de la construction dans dix ans sera-t-il moins cher qu'aujourd'hui?
C’est évidemment difficile à prédire. Le coût des matériaux ne cesse d’augmenter, le coût de la vie aussi. Je ne vais pas dire que les prix de la construction vont baisser mais peut-être que l’on pourra éviter une hausse plus forte que ce qui aurait pu arriver et la remplacer par un rendement par abonnement plus tard. C’est un changement de modèle qui va permettre, tout au long du cycle de vie, de mieux gérer et d’améliorer la qualité d’un actif lié à la construction. Cela permettra à un pont, une maison ou tout autre actif immobilier de conserver sa valeur sur un horizon de 30 ans.
Et cela responsabilisera davantage les acteurs du secteur de la construction...
Cela ne sera pas le modèle unique, soyons clairs. Il y aura toujours le particulier qui demandera à un peintre de venir peindre un chambre chez lui ou qui fera remplacer une fenêtre. Cela existera toujours. Mais le modèle général va avoir tendance à évoluer vers ce type de relation à long terme et de partenariat entre les acteurs du secteur et le client final.
Est-ce que ce modèle ne va pas favoriser les grands acteurs du secteur, au détriment des plus petits?
Il y a des conséquences à cette évolution. L’une d’elles sera effectivement qu’il y aura probablement un acroissement d’échelle des entreprises de construction. Aujourd’hui, nous sommes un secteur de PME mais aussi de très petites entreprises (TPE). Dans tout ce qui est rénovation des logements privés, le peintre isolé ou le spécialiste existera encore. Mais au-delà - soit tout le résidentiel neuf et le non-résidentiel - l’échelle moyenne de nos entreprises va augmenter. C’est clair. Cela ne veut pas dire que tout le monde deviendra aussi grand que Thomas & Piron. Mais aujourd’hui un entrepreneur a le choix : il peut travailler comme indépendant, travailler avec deux ou trois collaborateurs ou devenir un Thomas & Piron et travailler avec 2000 collaborateurs. Ce choix-là ne sera plus possible demain : les petits entrepreneurs travailleront, dans le futur, beaucoup plus en sous-traitance qu'un entrepreneur plus grand.
Cette évolution et ce changement de modèle, vous le voyez dans la décennie?
Elle est déjà en cours. C’est encore un peu l’exception à la règle aujourd’hui et cela ne se fera pas en trois ans. Mais cette évolution est bien là et ce sera une réalité d’ici dix ans.
Faut-il s'inquiéter de la hausse des coûts des matières premières et des matériaux de construction ? Est-ce que la construction va devenir à court terme impayable?
La construction a souffert beaucoup de la première vague du Covid. Les chantiers étaient fermés au printemps 2020. On a connu une chute du taux d’activité de presque 5 % en 2020. Nous avons été le premier secteur à négocier un protocole Covid avec les syndicats pour pouvoir rouvrir les chantiers. Cela nous a aidé à reprendre l’activité à partir de mai et surtout à partir de juin 2020. On a donc limité le recul à -5 % mais c’est quand même une récession très nette. L’activité a bien repris à partir de l’été 2020 et on peut dire, sur base des chiffres d’aujourd’hui, qu'à la fin de cette année-ci, nous aurons comblé le trou. Le secteur sera alors revenu à un taux d’activité comparable à celui d’avant-Covid.
Mais cette bonne évolution ne s’est pas produite au niveau de la rentabilité. Nous sommes un secteur à faible marge qui doit avoir beaucoup de volumes pour être rentable. Les marges souffrent de deux évolutions. D’une part, la hausse du prix des matériaux de construction. Depuis novembre 2020, en moyenne, le prix des matériaux de construction a augmenté de 15 % et celui de certains matériaux a même doublé, voire triplé. Cela a énormément touché la rentabilité de nos entreprises puisque l'on n'a pas pu ou voulu répercuter cette hausse dans le prix final pour le consommateur. Seulement la moitié des entrepreneurs veulent ou osent répercuter la totalité cette hausse sur le client. Le secteur a donc dû encaisser une grande partie de ces hausses. On voit maintenant que les prix commencent à se stabiliser et que la pression commence à s’atténuer parce que l’offre et la demande s’équilibrent au niveau mondial.

A cela s’ajoute à court terme un problème totalement inattendu, c’est le dérapage complet de l’indexation des salaires. Il y a une hausse énorme depuis quelques mois qui risque de se prolonger tout au long de 2022. Et sur ce point, les entrepreneurs deviennent très nerveux. On vient de conclure l’accord sectoriel qui a été signé ce vendredi sur base d’une indexation prévue de 2,8 % sur 2021 et 2022. Sur base des chiffres actuels, on arrivera avec une indexation des salaires dans notre secteur de près de 5 %, soit presque le double. Cela dépasse toutes les prévisions. Là aussi, on ne peut pas le répercuter totalement dans le prix de revient pour nos clients. C’est une deuxième piqûre sur la marge de nos entreprises. Au niveau de la rentabilité et des marges, nous sommes sous une pression énorme.
Vous craignez des faillites de certains de vos membres en 2022?
La situation n'est pas facile. Comme les volumes sont sous contrôle et vont encore augmenter, je ne crains pas des faillites en 2022. Tous les grands groupes ont mis en place des programmes d’assainissement. Et les plus petits entrepreneurs continueront. Il n’y aura pas de drames mais nous sommes sous pression.
Qu'attendez-vous du gouvernement en termes de soutien?
D'abord et avant tout d'augmenter le volume d'investissements publics. Il faut activer les plans de relance et les Green Deals, pas seulement pour remplir le carnet de commandes de nos entrepreneurs mais aussi pour faire avancer notre société. Vous savez que l'on connaît un taux de sous-investissement public énorme en Belgique. Il faut combler au plus vite ce retard.
Les plans de relance sont généreux pourtant. Vous voulez encore plus?
Ils sont généreux mais ils ne sont pas encore activés. Il y a près de 6 milliards prévus dans les plans de relance. Nous ne demandons pas davantage. Le problème est que dans les marchés publics, les donneurs d’ordre n’ont pas encore beaucoup activé, implémenté ou opérationnalisé ces plans de relance. Sur cet argent-là, il y a eu un accord politique mais on ne voit pas encore les autorités locales, régionales et fédérales lancer massivement des marchés publics pour renouveler nos infrastructures. On vient de sortir les chiffres pour la Flandre : il y a, à ce jour, seulement 14 % des plans de relance flamands qui sont déjà mis sur le marché.
Quels seraient les investissements prioritaires à réaliser selon vous ?
Il faut augmenter des investissements dans l’infrastructure routière, surtout après les inondations de l'été dernier en Wallonie. Beaucoup de ponts ont été détruits. On attend que la Région wallonne lance le plus vite possible le renouvellement et la modernisation mais aussi la reconstruction des ponts et autoroutes. Il y a encore beaucoup de travaux à faire sur les autoroutes wallonnes.
En Wallonie mais aussi en Flandre, on doit renouveler beaucoup de bâtiments, dans les écoles, les hôpitaux et aussi dans le domaine climatique. On aura besoin de beaucoup d’investissements dans l'éolien et les systèmes énergétiques. Si on veut avoir des pompes à chaleur partout, il faudra de nouveaux réseaux d’énergie, ce qui permettra de mieux combattre le changement climatique.
Et puis il y a aussi les logements résidentiels…
Oui, effectivement. La rénovation du parc de logements résidentiels est un énorme défi : nous avons un des parcs les plus anciens d'Europe qui est à la base de 36 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Si on veut vraiment atteindre les objectifs dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, il faut démarrer d’urgence une opération de rénovation massive et rapide de chaque maison.
Il faudrait tripler le rythme de rénovation. Aujourd’hui, on rénove environ 30 000 maisons par an, cela n’est pas du tout suffisant. Il faut au moins rénover 90 000 logements par an.
Comment peut-on y arriver ?
Si on continue à le faire comme maintenant où chaque particulier rénove petit à petit - la première année l'isolation, la deuxième les fenêtres, la troisième le chauffage, etc. - on n'y arrivera jamais. Il faut une “massification” de la rénovation des logements résidentiels. Et pour y arriver, on a besoin de l’élargissement et de l’assouplissement du régime de 6 % de TVA démolition-reconstruction, ce qui est permis aujourd’hui dans les zones inondées en Wallonie. Mais en fait, on devrait le faire partout.
Vous dites qu'il faudrait rénover 90 000 logements privés par an mais le problème, c’est que les gens n’ont pas l’argent pour financer cela ?
Dans les plans de relance et dans les 6 milliards prévus, des budgets existent pour la rénovation et une meilleure durabilité des logements. Est-ce que cela va résoudre tous les problèmes financiers ? Je ne sais pas. Mais au moins, des fonds sont disponibles. Il est également primordial qu'on maintienne le régime de 6 % de TVA pour la rénovation mais aussi pour la démolition. Aujourd’hui, en tant que particulier, si vous démolissez votre maison pour la reconstruire, vous devez payer 21 % de TVA, ce n’est pas normal. La solution parfois, ce n'est pas de rénover mais de démolir puis de reconstruire parce qu’au final c’est beaucoup plus facile, rentable et efficace sur le plan énergétique et climatique.
C’est ce que l'on vient de vivre aussi en Région liégeoise après les inondations. Aujourd’hui chaque particulier essaie de restaurer sa maison après les inondations. C’est beaucoup trop lent, inefficace… Ces gens vont faire une petite rénovation et d’ici trois ou cinq ans - quand il y aura une nouvelle inondation - cet investissement risque d'être perdu.
Le secteur insiste auprès des autorités wallonnes et locales pour dire qu’il faut renouveler des quartiers dans leur globalité, en une fois et d’une manière durable pour le futur. Une des réflexions que l’on doit avoir aujourd’hui, c’est de se demander s’il ne faudrait pas avoir des constructions sur pilotis au bord de la Vesdre. Mais cela coûte énormément d’argent, cela change le mode de vie mais cela donnerait plus de sécurité à long terme. Est-ce que c’est évident ? Non, mais on doit quand même se poser aujourd’hui de telles questions. Sinon, on ne relèvera pas le défi climatique et on va gaspiller de l’argent. La démolition est aujourd’hui découragée au niveau financier en Belgique, mais aussi au niveau de l'aménagement du territoire.
Avec les fonds européens de relance et un régime de 6 % de TVA, on pourrait rendre beaucoup plus rentable au niveau financier une rénovation totale, voire une démolition-construction. Mais il faut aussi repenser notre vision architecturale sur l’aménagement du territoire si on veut vraiment tripler ce rythme de rénovations en Belgique, en rénovant non pas maison par maison, mais quartier par quartier.
Le secteur est confronté à une pénurie de main d'œuvre. Pouvez-vous la chiffrer ?
On souffre comme beaucoup de secteurs d’une pénurie de main-d’œuvre : il y a actuellement 18 500 postes vacants, c’est un tiers de plus que l'année passée. Et là, le problème, c'est que le marché du travail n'est pas "activé" alors que le gouvernement fédéral, mais aussi ceux de Flandre et de Wallonie, ont prévu des politiques d’activation des chômeurs et des inactifs. Il y a encore beaucoup de gens qui ne travaillent pas et qui pourraient le faire. On ne peut pas reprocher cet état de fait au secteur de la construction. Il y a deux atouts dans le secteur. Un : on paie très bien nos ouvriers. Après la chimie, le salaire des ouvriers de la construction est le plus élevé. On ne peut pas dire que l'on ne trouve pas de gens parce que l'on ne paie pas bien. Au contraire. On les paie très bien. On donne aussi beaucoup de formations. Quand ils sortent de l’école ou d’un autre métier, ils ne sont pas (assez) formés pour la construction. Toute personne qui a envie de travailler dans la construction - formée ou pas - sera la bienvenue. Nous la formerons sur chantier.
En Wallonie, de plus en plus d'entrepreneurs sont confrontés à un problème quand ils rencontrent de jeunes chômeurs : ils n'ont pas de permis de conduire parce qu’ils n'ont pas les moyens de se payer l’auto-école. Partant de ce constat, de plus en plus d’entrepreneurs wallons pensent à organiser les cours de conduite pour les jeunes afin de les attirer. Je ne suis pas d’accord avec ce que Paul Magnette a dit dans la presse : la pénurie, elle n'est pas organisée par les patrons de la construction. Au contraire, le secteur fait tout pour payer et former les gens qui veulent travailler dans le secteur.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour "activer" ces personnes ?
Les recettes sont connues, pour les "activer", il faut manier la carotte et le bâton. Ce que l’on a fait, c’est rendre encore plus attrayantes les formations, notamment en défiscalisant toutes les primes que les chômeurs recevront. Mais en contrepartie de cela, il faudrait une obligation de résultat. Après la formation, les demandeurs d'emploi devraient être embauchés dans une entreprise. Aujourd’hui, il y a des chômeurs qui suivent beaucoup de formations mais qui, en bout de course, ne travaillent pas. Cela ne va pas...
Le secteur recherche-t-il des profils particuliers?
On cherche actuellement 18 500 personnes. Ce sont des profils libellés d’un point de vue technique comme un maçon par exemple. Mais il ne faut pas avoir une expérience ou un diplôme pour postuler. Nous les prendrons et formerons pour devenir peintre ou maçon. Dans le top 10 des métiers en pénurie, il y en a huit qui sont liés à la construction. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut sortir d'une école technique pour trouver un emploi.
Certains évoquent des conditions de travail difficiles, la pénibilité en fin de carrière comme freins au recrutement…
C'est l'une des raisons pour lesquelles le secteur paie bien. Le travail, surtout à l’extérieur, n’est pas toujours évident. Ceci dit, tous les métiers de la construction ne sont pas aussi durs que de travailler sur la voirie pendant la nuit. C’est déjà nettement moins pénible si vous êtes peintre dans une maison ou chauffagiste. Et pour les métiers les plus pénibles, nous offrons des primes spéciales en guise de compensation.
Deuxièmement, les métiers de la construction deviennent aussi, grâce à la technologie, de plus en plus propres et légers. Il y a déjà des exosquellettes qui permettent de lever des charges plus lourdes sans forcer votre dos et vos muscles. Une fois que vous avez 50 ans, vous n’êtes pas perdu pour la construction. On a besoin de maîtres d’ouvrage pour former les plus jeunes. Le secteur peut donc offrir un bon travail, attractif, de moins en moins pénible et cela tout au long de la vie professionnelle.
On dit qu'il y a beaucoup de Roumains dans le secteur de la construction. Et qu'avec la politique de la Roumanie de les ramener au pays, il ne serait pas si simple de les remplacer dans le secteur…
Est-ce que vous savez quelle est la nationalité étrangère la plus répandue dans le secteur de la construction en Belgique ?
Ce ne sont ni les Roumains, ni les Polonais, ni les Tchèques mais ce sont les... Hollandais. Tout le monde a cette image de la petite camionnette blanche remplie de Roumains ou de Polonais mais la réalité du secteur est toute différente. Après les Hollandais, on retrouve les Portugais puis les Polonais. Le nombre de "travailleurs détachés" qui viennent de l’Europe de l’Est diminue avec les années puisque les conditions de vie et les salaires ne cessent d’augmenter là-bas. Cela incite donc moins de Roumains ou de Polonais à venir travailler chez nous.
Vous parlez d'activer des chômeurs mais le secteur n'aura-t-il pas toujours besoin de cette main-d’œuvre étrangère ?
Pour moi, c’est un faux débat. Il faut raisonner d’une manière honnête et cohérente sur cette question. De deux choses l’une. Si en Région wallonne, des marchés publics sont lancés avec des clauses sociales qui empêchent de faire travailler des Roumains et des Polonais dans la mesure où il y a chez nous une réserve de main-d’oeuvre avec les chômeurs et les inactifs, pas de problème pour moi. J'y suis favorable mais alors il faut “activer” cette réserve de main d’œuvre. J’ai un problème avec les gens qui disent que l'on ne peut pas avoir des étrangers sur nos chantiers et qui, en même temps, refusent d'activer notre main-d'œuvre locale. Il y a une incohérence dans le discours de certaines personnes.
Le secteur a longtemps traîné une réputation sulfureuse : travail au noir, fraude sociale, concurrence déloyale… Ces pratiques sont-elles révolues ?
Sur tout ce qui est fraude sociale et dumping social, avec la mise en place du plan de la concurrence loyale, on a vraiment pu réduire de manière drastique les dérives observées dans le passé. Le secteur a pris un certain nombre de mesures pour limiter la sous-traitance, assurer un bon paiement, proposer des conditions de travail correctes, etc. Il y a eu des avancées énormes. On évalue aussi ce plan avec les syndicats, avec le ministre Dermagne pour faire en sorte que ce ne soit pas du "window dressing" ou de la simple communication. Si nous cherchons de nouveaux collaborateurs et que nous voulons les retenir, nous n’avons pas intérêt à faire du dumping social. Je peux vous assurer que l’on y travaille tous les jours.
Nous avons aussi saisi la justice et avons été en procès contre quelques entrepreneurs qui voulaient fausser les règles du marché : ils ont été éjectés du marché avec l’aide de la justice. On a fait ce qu’il fallait pour assainir notre secteur.
En ce qui concerne le travail au noir, il a énormément baissé grâce au régime de 6 % de la TVA pour la rénovation. Il y en a peut-être encore, ici ou là, chez tel ou tel petit entrepreneur en relation avec un particulier mais dans tous les grands travaux ce n'est plus du tout à l’ordre du jour. Ces problèmes sont devenus marginaux dans le secteur.
Nous sommes évidemment toujours sous le contrôle du fisc et de l'ONSS, c’est normal. Mais le grand volume de dérapages n'est, espérons-le, plus à l’ordre du jour dans notre secteur. Je ne serais pas venu à la Confédération si tel était d'ailleurs encore la coutume. Car on ne peut pas défendre cela d’un point de vue sociétal, ni vis-à-vis des entrepreneurs qui respectent les règles. Il n’y a d'ailleurs pas de demandes dans le secteur pour avoir des règles plus souples pour “chipoter” avec la légalité. Au contraire. On va encore développer des mesures plus strictes. Mais ce qui tracasse les entrepreneurs, c’est la manière avec laquelle les autorités publiques mettent ces contrôles en place. Elles n’évitent pas toujours les dérapages. En revanche, elles leur imposent beaucoup de tracasseries administratives. Nous sommes en discussion avec les autorités sur les modalités opérationnelles de ces mesures. Pour faire en sorte que ces contrôles soient efficaces pour éjecter du marché ceux qui ne respectent pas les règles, sans que l’entrepreneur ne perde un temps fou.
Un mot sur la récente Cop 26. Le secteur de la construction n'apparaît pas vraiment comme un bon élève, étant un gros émetteur de CO₂.Comment en tant que fédération pourriez-vous aider les entreprises du secteur à être plus vertueuses ?
Je regrette mais je ne suis pas d’accord. Nous sommes déjà un bon élève. Aujourd’hui, on recycle déjà 90 %, voire plus des matériaux qui sont utilisés. Evidemment, on consomme beaucoup d’énergie et de matériel. Sinon, nous ne pourrions pas construire. Il n’y a presque plus rien qui se perd quand on construit quelque chose aujourd'hui. Le secteur investit énormément dans ce domaine. La consommation d’énergie s’est réduite aussi drastiquement durant ces dernières années. Ce n’est pas une promesse pour le futur. C’est déjà le cas. A l'avenir, nous serons aussi l’acteur principal pour réaliser tout ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs liés au changement climatique. C'est nous qui installerons les nouveaux systèmes énergétiques. Idem pour la rénovation des logements. La construction sera à l’avant-garde et sera une des clés du succès pour gagner la bataille contre le changement climatique. Nous sommes tout à fait prêts à aider tout le monde pour atteindre les objectifs de la Cop 26.
Une puissante confédération
Le nombre d’entreprises dans le secteur de la construction a augmenté de 8,9 % entre le premier trimestre de 2020 et le deuxième trimestre de 2021, pour atteindre un total de 128 214 entreprises. L’emploi dans le secteur suit lui aussi une courbe ascendante.
À la fin du premier trimestre 2021, 207 066 salariés et 90 309 travailleurs indépendants étaient actifs dans le secteur.