Sapi Grange, les seuls sapins bio de Belgique : "Nous avons arrêté tous les produits chimiques, même ceux autorisés"
Logée sur les hauteurs d'Anhée (Dinant), Sapi Grange fait presque figure d'ovni dans le paysage de l'industrie des sapins de Noël. Axée sur le marché wallon, l'exploitation est non seulement la seule à disposer du label bio, mais aussi à proposer à ses clients de choisir et couper eux-mêmes leur sapin, à l'ancienne.
Publié le 24-12-2021 à 14h33 - Mis à jour le 31-03-2022 à 17h07
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Si le sapin de Noël wallon s'exporte plus que bien, certains producteurs préfèrent se concentrer sur l'offre à destination de la Wallonie avant tout. C'est notamment le cas de Sapi Grange. Dans cette exploitation agricole située à Anhée (Dinant), Anne-Sophie de Wouters produit les seuls sapins bio de Belgique. Après trois années de contrôles, Sapi Grange a reçu le label en septembre 2021 : une belle reconnaissance pour une exploitation lancée il y a à peine dix ans.

Car au départ, la ferme familiale (Anne-Sophie représente, avec ses frères et sœurs, la quatrième génération) n'était pas du tout axée sur les sapins. "On cultive des céréales, on exploite un moulin, un poulailler, on produit de la farine et de la moutarde, etc. C'est mon père qui a décidé de lancer la culture de sapins de Noël en 2012. Le temps que les premiers plants grandissent, nous avons vendu nos premiers sapins en 2016", raconte-t-elle. "Les premiers clients nous posaient pas mal de questions sur la production et sur nos méthodes. Alors on a commencé à réfléchir à nos pratiques et on s'est dit qu'il y avait peut-être moyen de changer les choses. Nous avons donc fait une formation en agro-écologie, et de là nous avons adapté notre exploitation."
Plus aucun produit chimique, même pas ceux autorisés pour le bio
Une décision prise drastiquement, mais avec une réussite à la hauteur des risques pris. "Nous avons stoppé tous les produits et mis en place un maillage écologique pour toute la biodiversité. Sous le label bio, nous sommes toujours autorisés à utiliser certains produits qui sont agréés, mais nous ne le faisons pas. On n'est jamais à l'abri de le faire, mais jusqu'ici, on tient bon", sourit-elle.

Pourtant, à l'instar des vignes, les dangers ne manquent pas pour les sapins : gel, champignons, insectes, sécheresse ou oiseaux sont autant d'ennemis potentiels. "Cet été, la température tournait autour des 20 degrés avec une météo très humide : c'est idéal pour le développement de champignons… Nous avons dû stopper les tailles des arbres, sans quoi les champignons risquaient de s'introduire dans les plaies. Il provoque par la suite des pertes d'épines. Mais sur les 15 000 sapins vendus, je n'ai eu pour le moment que six retours. Dans ce genre de cas, nous les échangeons et il n'y a aucun problème", détaille l'agricultrice. "Il faut pouvoir accepter certaines pertes, c'est tout. Pour les champignons, ils ont touché un arbre sur 1 000, c'est encore correct."
Privilégier le local, des clients aux partenaires en passant par... les sapins
De 7 hectares en 2012, l'entreprise familiale a aujourd'hui atteint les 25 hectares, soit un volume de 15 000 sapins vendus par an. "Pour le moment, nous vendons près de 95 % de Nordmann, pour 4 % de Fraseri et 1 % d'épicéas. Mais la tendance n'est plus la même dans les nouveaux plants. Ce sera 50 % de Nordmann, 30 % d'épicéas, et le reste réparti entre les autres espèces. L'épicéa est, je trouve, plus beau, il s'adapte mieux à notre manière de travailler et surtout c'est un sapin originaire de nos régions. Il a donc tout à fait sa place dans notre modèle."

Cette volonté de mettre en avant le local se ressent aussi aux autres échelons de la production. Contrairement à la tendance wallonne (80 % des sapins wallons sont exportés à l'étranger), Sapi Grange n'exporte presqu'aucun sapin hors de nos frontières, "si ce n'est pour deux clients situés à Lille". Si plus d'un tiers des arbres sont vendus en vente directe, la ferme travaille également avec une quarantaine de partenaires répartis sur le territoire. "L'idée n'est pas d'obliger les gens à faire 50 kilomètres ou plus pour venir chercher leur sapin. Nous travaillons avec des partenaires chez qui les gens peuvent également obtenir un sapin fraîchement coupé chez nous. Il s'agit principalement de petites structures qui partagent les mêmes valeurs que nous : magasins à la ferme, magasins bio, fleuristes écologiques, etc."

Outre le label bio, Sapi Grange est également la seule exploitation en Belgique à utiliser le principe des tree farms : ici, les clients abattent eux-mêmes le sapin de leur choix au sein même des parcelles. Très répandu aux Etats-Unis notamment, ce système n'existait pas encore chez nous, ce qui a valu à l'exploitation un succès très rapide, notamment auprès des expatriés.

S'agrandir ? "Non, plutôt rétrécir"
Malgré les opportunités disponibles sur le marché, Sapi Grange n'a pas pour objectif d'augmenter sa capacité. "Si cela doit évoluer, ce sera plutôt à la baisse. Nous ne sommes pas des commerciaux de formation, mais des agriculteurs et producteurs. On essaie de valoriser et mettre nos produits en avant, bien sûr, mais ce n'est pas vraiment notre fibre première", glisse Anne-Sophie. "Il n'y a pas de volonté de s'agrandir à tout prix, mais plutôt de vendre nos sapins à des gens qui partagent les mêmes valeurs que nous."
Hors de question de brader ses valeurs ou ses prix. "J'ai déjà eu des contacts avec des grands magasins ou des grandes chaînes, mais on n'arrive pas à se mettre d'accord. Ils voudraient pouvoir acheter et vendre nos sapins comme tous les autres, avec des prix au rabais, et leur philosophie ne colle tout simplement pas avec la nôtre."
Des changements amorcés au sein du secteur
Sapi Grange fait également partie de l'Union Ardennaise des Pépiniéristes - Centre pilote sapins de Noël (U.A.P - C.P.S.N.), aux côtés d'exploitations plus traditionnelles. Via les échanges réguliers avec ses confrères, Anne-Sophie note des changements dans les approches des exploitants. "Tout le monde est attentif à ce qui se fait dans son métier et à ce qu'il peut améliorer dans ses pratiques. Je vois de plus en plus de parcelles herbeuses, avec des haies autour, et le tout est bien vivant. Il y a aussi des jeunes qui sont en train de se lancer ou de reprendre des exploitations. Cette nouvelle génération a souvent une approche plus écologique : j'ai pas mal de contacts avec des jeunes qui hésitent à se lancer en bio, et je les encourage à 100 % à franchir le pas. Mais je n'ai aucun problème avec ceux qui n'utilisent pas ce modèle : chacun à sa propre réalité."