Quelles solutions face à la flambée des prix de l'énergie ? "Une indexation des salaires à l’aveugle et idiote n’est pas une solution"
L'inflation est plus lourde pour les bas revenus. Les fournisseurs d'énergie, confrontés aux prix du marché qui s'envolent, devraient quant à eux répercuter cette hausse dans les contrats.
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Publié le 26-01-2022 à 09h03 - Mis à jour le 26-01-2022 à 14h47
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"Il faut retenir la leçon de la crise des gilets jaunes en France. Ce n'était qu'une taxe. Ici, on est confronté à un cocktail explosif, avec une hausse des prix du carburant, du mazout, du gaz et de l'électricité." Jean Hindriks, professeur à l'UCLouvain et président de l'Economics School of Louvain insiste sur ce qui, comme il le dit lui-même, peut sembler une évidence : la flambée des prix de l'énergie touche surtout les plus pauvres. Mais s'il insiste - alors que sort ce mercredi le dernier numéro de Regards économiques dans lequel il quantifie, avec son collègue Antoine Germain (aspirant FRS-FNRS), ces inégalités -, c'est pour attirer l'attention des politiques. "Ils vivent en huis clos et les dialogues sont rompus. Mais il faut arrêter avec les mesures uniformes" , lâche-t-il, critique.
Une inflation qui va s’accentuer en 2022 ?
"La part des dépenses énergétiques est 6 fois plus élevée pour le décile le plus pauvre par rapport au décile le plus riche ", précisent les auteurs dans leur rapport. Les raisons sont multiples : souvent locataires, les ménages les plus pauvres n'ont pas les moyens de procéder aux rénovations nécessaires pour les économies d'énergie ou aux installations de type panneaux solaires, pompes à chaleur, etc. De plus, ils sont souvent plus nombreux sous un même toit.
"Il faut des mesures pour faciliter la transition énergétique mais avec une fiscalité qui prend en compte ces inégalités ", renchérit Jean Hindriks.
"Le rapport montre que c'est le début d'une inégalité qui va aller en s'aggravant. 2022 sera bien plus marquée que 2021. Cela est dû au retard dans l'ajustement des factures aux ménages", précise-t-il. Le plus dur est donc devant nous, selon lui. "70 % des ménages ont un contrat fixe qui sera renégocié. Les fournisseurs sont aussi coincés car ils sont confrontés à des marchés à la hausse. Les contrats fixes ne sont plus en lien avec les tarifs internationaux et leurs marges sont en train de fondre comme neige au soleil ", ajoute-t-il. Certains fournisseurs ont d'ailleurs arrêter de proposer ces contrats.
"Nous montrons que les prix de l'énergie jouent un rôle central dans les inégalités d'inflation. Depuis le début du siècle en Belgique, toutes les années marquées par des hausses des prix de l'énergie sont synonymes d'un creusement des inégalités d'inflation en défaveur des ménages les plus pauvres. A contrario, lorsque les prix de l'énergie diminuent, ces inégalités d'inflation s'inversent. Ce fut le cas en 2014-2015 avec la baisse de la TVA sur l'électricité à 6 % puis en 2019-2020 avec le confinement et la mise en arrêt de l'activité économique au niveau mondial qui ont fait baisser les prix de l'énergie", peut-on d'ailleurs lire dans leur rapport.
Quelles solutions ?
Pour Jean Hindriks, ce n’est pas une hausse des salaires généralisée qui pourrait aider les ménages, car celle-ci pourrait aggraver la spirale inflationniste qui plane déjà et mettre en péril les entreprises, en particulier les plus petites.
"Une indexation à l'aveugle et idiote n'est pas une solution. Les petites entreprises peuvent avoir la tête sous l'eau. Il faut une indexation intelligente, ciblée sur les travailleurs les plus pauvres", lance-t-il .
"Tout le monde plaide pour la transition énergétique mais il faut une dimension sociale. Il y a deux possibilités : une TVA sociale, pour les bénéficiaires du tarif social par exemple, car ils sont déjà identifiés. Donc une baisse ciblée de la TVA. Ou une baisse des accises. Ce sont des mesures autofinancées car la hausse du prix des carburants a fait gonfler les recettes de l'État ", insiste-t-il, avançant la piste du cliquet inversé. Un mécanisme permettant de lisser le montant des taxes en fonction de la variation des prix de l'énergie.
Jean Hindriks plaide également pour que les autorités politiques prennent des décisions concrètes pour les aides à l'isolation ou aux rénovations des bâtiments. " Ça doit être accessible pour tous les ménages, y compris les logements sociaux. La Flandre a déjà lancé un grand programme… même si elle a été confrontée à un manque de main-d'œuvre pour le réaliser. Néanmoins, il faut donner les incitations aux propriétaires qui louent leurs biens pour qu'ils procèdent à ces rénovations ", déclare-t-il.
Les étudiants déjà fortement précarisés
"Il faut penser aux kots également. Aujourd'hui, 30 % des bénéficiaires de l'aide sociale sont des jeunes, dont des étudiants. Ils sont touchés de plein fouet par cela, on ne s'en rend pas compte, alors qu'ils ont déjà été fortement précarisés, renchérit-il. Et je ne plaide pas pour un chèque. C'est une solution ponctuelle dont une partie du financement est perdue dans les frais administratifs. Il faut un changement de fiscalité ", glisse-t-il.
"Mais il y a un paradoxe. On taxe pour décourager mais l'État a besoin des rentrées financières pour équilibrer les comptes. D'où une résistance à une éventuelle baisse de la TVA , comme ça a déjà été le cas par le passé ", reconnaît-il. Quoi qu'il en soit, selon lui, sans une véritable prise de position politique, l'inflation risque bien de s'accentuer en 2022 et pénaliser encore plus les plus bas revenus.