D'où vient l'uranium utilisé dans nos centrales nucléaires ?
Le député Samuel Cogolati s’est penché sur l’origine du combustible utilisé dans nos centrales nucléaires.
Publié le 09-02-2022 à 18h51 - Mis à jour le 10-02-2022 à 11h19
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On le sait, le sort de nos centrales nucléaires est source de virulents débats. L’argument massue brandi par les opposants à la sortie de l’atome est qu’elle va augmenter notre dépendance vis-à-vis du gaz russe. En effet, la Vivaldi prévoit de construire deux nouvelles centrales au gaz pour pallier la sortie nucléaire.
Au contraire, le maintien en activité d’une partie du parc belge renforcerait notre indépendance énergétique, selon les partisans d’une prolongation. François De Smet, le président de Défi, Georges-Louis Bouchez, son homologue du MR, et Sophie Wilmès (MR), la ministre des Affaires étrangères, ont récemment fait des déclarations en ce sens.
Dans ce contexte explosif, le député fédéral Samuel Cogolati (Écolo) a tenté de savoir d'où venait l'uranium servant de combustible aux centrales nucléaires belges. L'idée, évidemment, est de vérifier si nucléaire rime avec indépendance énergétique. "Mais contrairement à l'origine du gaz, l'origine de l'uranium utilisé dans nos centrales nucléaires est un secret bien gardé", regrette le député Écolo.
Des liens entre la Russie et Synatom depuis 1975 ?
Tinne Van der Straeten (Groen), la ministre de l’Énergie, a bien communiqué les noms des pays d’où provient l’uranium utilisé à Doel et à Tihange. Il s’agit du Canada, des États-Unis, de l’Australie, de la Namibie, du Kazakhstan, de la Russie, du Niger, de l’Ouzbékistan, du Malawi et de l’Afrique du Sud. Mais la ministre n’a pas précisé quelle quantité d’uranium venait de quel pays. Tout en précisant qu’un pays ne peut représenter plus de 25 % de l’approvisionnement de Synatom, la société qui fournit le combustible d’uranium aux centrales de Doel et de Tihange.

En ce qui concerne l’uranium enrichi, la liste des fournisseurs de la Belgique est nettement plus restreinte. Selon une réponse de Tinne Van der Straeten, Synatom travaille avec trois des quatre "enrichisseurs" qui existent dans le monde. Ces derniers sont originaires de France, des Pays-Bas et de… Russie. Mais là encore, on ne connaît pas les quantités fournies. On sait néanmoins que la société russe Tenex est un fournisseur de Synatom depuis 1975, selon World Nuclear News.
La Russie très présente en Europe
Faute de données belgo-belges plus précises, Samuel Cogolati s’est penché sur les statistiques de l’organisme européen Euratom. Ce dernier fournit des données précises sur l’approvisionnement en uranium des centrales nucléaires européennes.
Il ressort du rapport annuel 2020 d’Euratom que 43,5 % de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires européennes provient d’anciens pays de l’Union soviétique. Il s’agit notamment de la Russie (20,2 %), du Kazakhstan (19,2 %), et de l’Ouzbékistan (2,6 %).
En outre, un nombre limité de pays se partagent le marché européen. À eux cinq, le Niger, la Russie, le Kazakhstan, le Canada et Australie représentent plus de 91 % de l’approvisionnement en uranium des centrales nucléaires européennes. Et quand on prend en compte l’uranium enrichi, le rôle de la Russie est encore plus important. En 2020, 26 % de l’approvisionnement européen est venu de la société russe Tenex, contre 30 % en 2019.
"Alors qu'un certain discours politique en Belgique donne l'impression que le nucléaire est synonyme d'indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, c'est en réalité tout le contraire, déclare Samuel Cogolati. Tout d'abord, une partie mineure du gaz utilisé en Belgique provient de Russie. Mais surtout, l'un des trois fournisseurs de la Belgique en uranium enrichi est directement lié à l'État russe. En ce qui concerne l'Union européenne, la société russe Tenex représentait 26 % des livraisons d'uranium enrichi en 2020."
Pas la même dépendance ?
Précisons cependant que le mode de consommation de l’uranium dans les centrales nucléaires est très différent du mode de consommation du gaz dans les centrales au gaz. En effet, une barre d’uranium reste environ un an et demi dans une centrale nucléaire avant d’être épuisée. En revanche, un approvisionnement quasiment continu en gaz est nécessaire pour alimenter une centrale au gaz. La dépendance au gaz est donc différente de la dépendance à l’uranium.
Ensuite, rappelons qu’un important gisement de gaz va bientôt fermer ses portes aux Pays-Bas. Il est donc possible que le gaz russe remplace partiellement le gaz néerlandais en Belgique dans les années à venir.
Par ailleurs, le fait que notre dépendance au gaz russe soit limitée ne met pas la Belgique à l’abri de tous les problèmes. Si l’Allemagne devait subir un embargo sur ses livraisons de gaz russe, cela aurait un impact sur la production d’électricité outre-Rhin. Or l’Allemagne exporte régulièrement de l’électricité vers notre pays.
Plus fondamentalement, la Russie aurait peu d’intérêts à couper l’approvisionnement en gaz de l’Europe. En effet, cela pousserait l’UE à diversifier ses sources d’approvisionnement. Le scénario d’un embargo russe sur le gaz n’est donc pas celui privilégié par les analystes.