"On est obligé de faire minimum 10 heures pour avoir une bonne paye" : à la rencontre des futurs chauffeurs poids lourds de Belgique
Chaque année, l'Institut Technique Henri Maus accueille environ 80 élèves dans sa section "poids lourds". La Libre Eco est allée à la rencontre de ces jeunes qui rêvent d'en faire leur métier, alors que le secteur traverse une véritable pénurie de travailleurs.
Publié le 21-02-2022 à 16h02 - Mis à jour le 21-02-2022 à 16h59
"Mon grand-père travaillait dans le transport et malheureusement il est décédé. Je me suis dit que je pouvais lui rendre hommage en faisant son métier", confie César, 17 ans, dans la cour de l'Institut Technique Henri Maus à Éghezée. "J'adore rouler, être indépendant. J'aime tout ce qui tourne autour de ce métier."
Le jeune homme compte parmi la quarantaine d'élèves de cinquième secondaire inscrits en section "poids lourds". Il explique "qu'à partir de 16 ans, on peut commencer la pratique ici à l'école, sur une dalle de manœuvre. Une fois qu'on a 17 ans, on peut rouler sur la route et dans les zonings, il ne nous faut pas encore le permis théorique. Et dès la sixième, on passe la théorie et la pratique."
Ainsi, en deux ans, il est possible de devenir chauffeur poids lourds, tout en suivant des cours généraux à côté de la pratique : français, mathématique, géographie, histoire, néerlandais, anglais...
Former un étudiant coûte environ 9 000 euros par élève et par an. Des frais qui sont majoritairement couverts par le Fonds Social de Transport et Logistique. L'école, elle, paie le carburant, soit 280 euros par élève et par mois. Les seules dépenses à effectuer par les étudiants sont le droit d'inscription et le kit de matériel : salopette, chaussures de sécurité, gants, carte routière et atlas.
La seule condition pour accéder à ce type de formation est d'avoir réussi sa quatrième secondaire, que ce soit en orientation générale, technique de qualification ou professionnelle.

"On apprend tout sur le terrain", complète Mercedes, 19 ans. Fille d'un routier, elle est attirée par "le fait de voyager, de voir des paysages que d'autres n'ont pas l'opportunité de voir et par les belles rencontres faites sur la route. On est peut-être seul dans notre camion mais on est une grande famille."
Si l'étudiante "a déjà son permis en poche" obtenu à la fin de sa sixième année, elle suit toutefois une septième année d'étude, facultative mais fortement conseillée, en vue d'obtenir son Certificat d'Enseignement Secondaire Supérieur (CESS). "Comme ça, si je veux arrêter de conduire des camions, je peux m'orienter vers une autre option".

Cette dernière année supplémentaire tient à cœur à la directrice de l'institut, Cécile Gilles. "Comme les patrons sont là avec l'emploi à la fin de la sixième année, c'est très difficile de motiver les élèves à en faire une septième pour obtenir leur CESS. Le jour de la délibération, ils obtiennent leur diplôme, leur permis et... il roulent directement. On passe ainsi de trente étudiants à dix".
"Et encore", poursuit la cheffe de travaux et gérante de la section "poids lourds", Valérie Wattiaux. "Cette année on en avait dix mais il y en a déjà cinq qui sont partis parce qu'ils ont obtenu un boulot et ont du mal à venir encore un an à l'école".
Une véritable vocation professionnelle
"Si on n'a pas la passion, on ne sait pas tenir dans le métier", estime Matteo, 18 ans, en cinquième année. Entre deux exercices de manœuvres dans un parking à Tamines, il explique avoir choisi cette profession "par passion et par famille", dans le but d'être la quatrième génération de sa famille à être routier. Pour lui, "il faut avoir ça dans les gènes".
Il expose également cette raison pour expliquer la pénurie dans le secteur : "Quand on est chauffeur poids lourds, surtout en international, on sait quand on part mais on ne sait pas forcément quand on rentre. En termes de famille, ce n'est pas l'idéal".

Un autre argument qui revient souvent pour justifier le manque de travailleurs est la rémunération. Un professeur nous glisse que "ce sont les heures qui font le salaire", une heure étant payée 11 euros net. "On est obligé de faire minimum 10 heures pour avoir une bonne paye", affirme Mercedes.
Plusieurs étudiants, comme Charlotte, 23 ans, pointent également la concurrence déloyale exercée par les chauffeurs des pays de l'Est. "Sans vouloir faire de clichés, c'est aussi les gens de l'Est qui nous prennent un peu notre boulot car eux profitent des petites camionnettes qui n'ont pas de tachygraphes." Les tachygraphes sont des appareils électroniques enregistreurs de vitesse, de temps de conduite et de repos, "ce qui permet à la police de nous contrôler. La main-d'œuvre de l'Est est aussi moins chère que la main-d'œuvre belge car nous, nous sortons avec davantage de qualifications."

"Un des plus anciens professeurs nous disait que la suppression du service militaire a joué par rapport à la pénurie", rapporte Cécile Gilles. "Quand les hommes passaient leur service militaire, on en profitait, la plupart du temps, pour leur faire passer le permis camion. Et ça donnait le goût à certains de conduire des poids lourds."
La directrice évoque aussi "la mauvaise réputation" et la caricature des transporteurs. "On perçoit le chauffeur poids lourds comme le monsieur assez fort, un peu rustre… Regardez nos professeurs : vous voyez bien que ce n'est pas le cas."

Autant de raisons qui pourraient expliquer à quel point être chauffeur poids lourd est avant tout une vocation. "Quand vous parlez aux étudiants" raconte Cécile Gille, "leur motivation principale est d'être libre dans son travail. Le fait d'avoir ce côté indépendant, de pouvoir gérer son temps, d'être seul dans la cabine."