"Les limites du réseau wallon d’électricité sont atteintes"
Le patron d’Ores tire à boulets rouges sur la Cwape. Selon lui, le régulateur met en péril la réalisation des objectifs climatiques wallons.
- Publié le 16-06-2022 à 08h03
- Mis à jour le 16-06-2022 à 08h08
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Le patron d’Ores, l’intercommunale qui gère 75 % du marché de la distribution d’énergie en Wallonie, est inquiet. Fernand Grifnée a donc réuni la presse hier, au siège de Gosselies, pour tirer la sonnette d’alarme.
Selon lui, la Cwape, le régulateur wallon de l’énergie, met en péril la réalisation des objectifs climatiques de la Région wallonne. Fernand Grifnée reproche au régulateur de vouloir réduire de 10 % les investissements d’Ores au cours de la période 2024-2028. Or, selon le patron de l’intercommunale, il va falloir investir massivement dans les réseaux de distribution d’électricité pour réussir la transition énergétique : pour déployer les compteurs intelligents, mais aussi pour renforcer et digitaliser le réseau.
Avec l’appui du consultant Climact, Ores est arrivé à la conclusion que la consommation d’électricité allait augmenter de 30 % en Wallonie d’ici 2030. On parle ici de l’électricité prélevée directement sur le réseau de distribution, géré par les intercommunales comme Ores ou Resa. En outre, selon Fernand Grifnée, ce chiffre tient compte d’hypothèses assez conservatrices : 500 000 véhicules électriques sur les routes wallonnes d’ici 2030 (alors que le ministre Henry évoque 720 000 voitures), ou encore 29 % des ménages wallons qui se chauffent à l’électricité.
Doubler le parc renouvelable wallon
Selon Climact, cette électrification du chauffage et de la mobilité va nécessiter le doublement du parc wallon de production d’électricité renouvelable (éoliennes et panneaux photovoltaïques) d’ici 2030. Et d’ici 2050, c’est quasiment une multiplication par cinq qui est envisagée par Climact.
Or, selon Fernand Grifnée, le réseau d'Ores est aujourd'hui à la limite. Il avertit : sans investissements supplémentaires, celui-ci sera incapable d'absorber la production renouvelable supplémentaire qui arrivera dans les prochaines années. "Jusqu'à présent, le réseau wallon a résisté à la percée du photovoltaïque observée entre 2012 et 2022, explique-t-il. Mais, aujourd'hui, les limites du réseau sont atteintes à certains endroits. Ce week-end, il va y avoir des problèmes d'absorption de la production photovoltaïque". Rappelons qu'en cas de congestions sur le réseau, les panneaux sont automatiquement déconnectés, ce qui fait perdre au prosumer le bénéfice de sa production. Et cela arrive de plus en plus souvent : sur les 100 000 clients d'Ores disposant de panneaux photovoltaïques, 600 plaintes ont été déposées l'année passée. Or, on était à moins de 100 plaintes il y a deux ans.
Selon le patron d'Ores, il faut donc investir pour absorber davantage de panneaux photovoltaïques et permettre aux automobilistes de recharger les véhicules électriques qui vont arriver. "Aujourd'hui, les limites du réseau sont atteintes, résume-t-il. Or ce sont de très grosses vagues qui vont arriver".
Selon ses calculs, Ores va devoir augmenter ses investissements de 1 milliard d’euros sur la période 2023-2038, ce qui porterait le budget de l’intercommunale de 3 à 4 milliards d’euros sur la période. En outre, il faudra investir plus fortement en début de cycle. Au moment du pic, en 2029, Ores dépasserait les 280 millions d’euros d’investissement annuel, contre environ 200 millions aujourd’hui.
Fernand Grifnée affirme néanmoins qu'il peut réussir le défi de la transition énergétique si la croissance des investissements d'Ores suit l'inflation. "Mais une baisse de 10 %, c'est impossible à tenir, déclare-t-il. On ne peut pas à la fois réduire les coûts de distribution d'électricité et réussir la transition énergétique. Si on fait cela, il faut arrêter de parler des objectifs 2030 et de la neutralité carbone en 2050".
Et de donner un exemple parlant. "Si vos panneaux décrochent 1 jour de soleil sur 2 parce que le réseau n'est pas prêt, vous n'investirez plus dans le photovoltaïque, vous n'y croirez plus, explique-t-il. Si vous ne pouvez pas recharger votre véhicule électrique les jours de beau temps, vous n'achèterez plus de voitures électriques. On aura beau interdire le moteur thermique en 2035, on en achètera encore".
Pression sur la Cwape
Le patron d’Ores est inquiet car il a déjà fait valoir ses arguments auprès de la Cwape. Et, selon lui, le régulateur a publié une proposition qui n’en tient pas compte (avec une baisse des investissements de 10 %). D’ici fin août, les tarifs de distribution seront arrêtés pour la période 2024-2028. Fernand Grifnée espère bien faire pression sur le régulateur pour qu’il change d’avis d’ici là.
Selon les calculs d’Ores, la proposition de la Cwape ne ferait économiser que 20 à 30 euros sur les frais annuels de distribution d’un consommateur moyen d’électricité. Au contraire, Ores réclame une hausse qui suit l’inflation. Avec cet argument : placer davantage de panneaux photovoltaïques permettrait de diminuer la facture d’électricité de davantage de ménages. On rétorquera que tout le monde n’a malheureusement pas la possibilité d’investir dans ce type de technologie…
Enfin, le patron d'Ores met en avant un enjeu d'indépendance énergétique. "Ce frein à la transition énergétique va nous maintenir dans l'ancien monde, déclare-t-il. Avec une dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, et les gouvernements qui les possèdent, et vis-à-vis du nucléaire, et les groupes internationaux qui le possèdent. La Cwape se goure complètement".