Comment les lobbys agricoles nous font croire qu'il faut produire plus pour polluer moins
La situation d'urgence engendrée par la guerre en Ukraine a ébranlé le développement d'une agriculture plus durable mais plus lente à appliquer.
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- Publié le 29-06-2022 à 16h02
- Mis à jour le 15-07-2022 à 09h50
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Pour éradiquer la faim dans le monde et réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est primordial que la productivité agricole augmente de 28 % au cours de la prochaine décennie. Voici l'un des bilans issus du dernier rapport conjoint de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les deux institutions estiment qu'il faut "plus que tripler la hausse de productivité agricole enregistrée ces dix dernières années".
Mais l'objectif de rendre les systèmes agricoles plus intensifs est-il réellement la bonne marche à suivre pour réduire la pollution ?
Pour Philippe Baret, ingénieur agronome et professeur à l'UCLouvain, "il y a un énorme travail à faire pour faire coexister le modèle conventionnel, basé sur l'utilisation des engrais chimiques, et le modèle agrobiologique, qui réconcilie l'alimentation, l'agriculture et l'environnement". Interview.
Pourquoi choisir cette stratégie de productivité, basée essentiellement sur le court-terme ?
Aujourd'hui, avec l'invasion de l'Ukraine, le gros enjeu est économique : on s'intéresse au prix des produits agricoles, et non à leur quantité. Du blé, il y en a sur le marché, et il y en aura très probablement toujours suffisamment. Le problème, c'est la flambée des prix. Comme les consommateurs n'ont plus de pouvoir d'achat, ils privilégient les produits industriels à bas coût et délaissent l'offre bio. La crise montre très clairement que deux modèles sont en compétition : l'agriculture conventionnelle et l'agroécologie.
Pourquoi l'agroécologie ne s'impose-t-elle pas ?
Il y a un déséquilibre de moyens énorme entre l'agroécologie et l'autre modèle, tant au niveau humain que financier. Quand on voit le budget européen, l'agroécologie représente 10 à 15 % des budgets alors que 80 à 90 % du budget continuent de soutenir des modèles basés sur les biotechnologies, l'engrais, etc. Pour moi, toutes les décisions et les projets sont basés sur des analyses extrêmement légères : 90 % des chercheurs s'inscrivent dans le modèle conventionnel. Ils ont compris qu'il fallait tenir un discours basé sur l'efficacité, du genre "on va faire de l'agriculture plus efficace, tout en continuant à utiliser des engrais et des pesticides". Ce déséquilibre ne se résout jamais puisque l'agroécologie et l'agriculture bio, en manque de moyens, n'arrivent pas à prouver qu'elles sont plus efficaces et donc reçoivent encore moins de moyens pour s'améliorer.
Quel est le rôle des lobbys dans cette situation ? Le modèle conventionnel était pourtant en voie d'abandon...
Pour moi, il y a un opportunisme de certains lobbys, basé sur la peur des consommateurs. Ils ont vu la possibilité de sauver le modèle qui allait être abandonné. Avec la guerre en Ukraine et donc, en situation de crise, il y a le choix d'une partie des acteurs de dire que la seule solution est de produire plus et de garder les pesticides. Alors que c'est un modèle intenable à longue échéance... Pour moi, on est en train de sortir de la route. Bien sûr, ceux qui portent ce modèle-là pensent qu'on est sur la bonne voie à suivre... Mais on n'est pas d'accord là-dessus.
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