La lutte contre la fraude électrise la Vivaldi
Le plan de lutte contre la fraude n’est toujours pas formalisé. Une charte des contrôles fiscaux va être mise à l’étude. Le projet de réforme fiscale des experts du ministre des Finances sera présenté le 5 juillet. (VIDEOS)
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- Publié le 30-06-2022 à 06h34
- Mis à jour le 05-07-2022 à 19h27
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La planète fiscale est en ébullition. Parce que le projet de réforme fiscale du groupe d'experts mandaté par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) sera présenté le 5 juillet (lire après), mais aussi parce que l'accord en comité interministériel, le 1er avril, sur le deuxième plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale, suscite de vives discussions au sein de la Vivaldi. "C'est à chaque fois la même chose. Un accord est trouvé entre nous, et puis le MR, quand on rentre dans les détails pour mettre en place le texte législatif, fait des remarques et n'est plus d'accord sur tout. Ras-le-bol", lance cette source gouvernementale.
Le délai de 10 ans ne passe pas
Pour rappel, le deuxième plan de lutte contre la fraude fiscale approuvé en avril prévoyait un train de 25 mesures de lutte contre la fraude fiscale. Un plan "costaud" qui s'explique aussi par la volonté de la Vivaldi d'augmenter drastiquement le rendement de la lutte contre la fraude, à 1 milliard d'euros chaque année à partir de 2024. Soit 5 fois plus qu'en 2021 ! Deux mesures en particulier suscitent des débats, dont le délai d'investigation et d'imposition ordinaire qui passerait de 3 à 4 ans avec une extension automatique à 10 ans pour les déclarations complexes, ce dernier terme étant entouré d'un flou total. Le fait que cela discute n'est pas en soi une surprise. Peu de temps après l'accord sur les grandes lignes de ce plan, Georges-Louis Bouchez (MR) s'était insurgé, estimant que ça allait beaucoup trop loin. "L'allongement des délais à 10 ans apparaît comme un aveu d'impuissance des services de contrôle et un renforcement des pouvoirs d'arbitraire contre le contribuable".
La question faisait l'objet de nouvelles discussions en intercabinets ce mercredi. Le camp libéral "espérait voir le texte adouci" mais c'est loin d'être gagné. "La réunion s'est soldée en intercabinets par un statu quo. Chacun campe sur ses positions. Cela va devoir remonter plus haut", explique cette autre source gouvernementale. Ce jeudi, ce sont donc les chefs de cabinet qui en découdront. Mais pas seulement sur ce délai de 10 ans…
Groupe de travail sur les contrôles fiscaux
Un autre point, plus sensible encore, suscite la controverse : la possibilité qui sera donnée aux agents du fisc – de l'inspection spéciale des impôts (ISI) en particulier – d'aider la justice dans le cadre des grosses affaires de fraude fiscale. La mise en place d'équipes multidisciplinaires où il y aura concertation et coopération entre le parquet, la police judiciaire et l'administration fiscale est "aussi remise en cause par le MR, mais sur ce point, le VLD est aussi de la partie", nous explique-t-on.
"C'est juste incompréhensible. La justice manque de moyens, et les agents du fisc, eux, ont une expertise qui peut être utile à la justice. Permettre aux agents de l'ISI d'intervenir dans des enquêtes judiciaires relève juste du bon sens, mais les libéraux n'en veulent pas." Du côté libéral, précisément, c'est pour le moment "motus et bouche cousue pour laisser les négociations se dérouler sereinement".
"Mais il y a un vrai souci : les pouvoirs laissés au fisc sont devenus démesurés. Il fait un peu ce qu'il veut à l'égard des contribuables ou des entreprises souvent démunis. Même des enquêtes menées illégalement sont validées (NdlR : c'est ce qu'on appelle la jurisprudence "Antigone", pourtant prévue sur le plan pénal à l'origine, pas sur le plan fiscal). Cela doit cesser", nous explique une source libérale, qui ajoute tout de même que le cabinet des finances a donné son aval à la mise sur pied, avec le SPF Finances, d'un groupe de travail pour établir une charte des contrôles fiscaux. Cela tombe bien, cela figure dans l'accord de gouvernement : "Une charte fiscale sera instaurée, ainsi qu'un code de conduite de respect mutuel et de professionnalisme pour améliorer les relations entre les services de contrôle fiscal et les entrepreneurs dans le cadre des contrôles fiscaux et des procédures de lutte contre la fraude".
Kern la semaine prochaine
"En attendant, nous ne sommes plus dans un état de droit, et cela crée beaucoup d'incertitudes au sein des entreprises", dit une autre source libérale. Bref, la lutte contre la fraude est dans l'impasse. "Le plus probable est que cela repasse en kern la semaine prochaine", nous dit-on.
Ces nouvelles bisbrouilles tombent mal. D'autant plus que la Cour des Comptes, toujours dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, a estimé dans un rapport publié lundi que "la réglementation qui permet au fisc de contrôler l'obligation de déclaration des paiements effectués vers des paradis fiscaux manquait de clarté, qu'elle était difficilement applicable, et que l'obligation même de déclaration pouvait facilement être contournée".
"Avec cet audit assassin de 50 pages de la Cour des Comptes, et ces discussions en cours, on peut se demander si le gouvernement veut vraiment lutter contre la fraude, lance Vanessa Matz, députée fédérale (Les Engagés). Il y a une forme d'indécence à ne pas vouloir mettre le personnel suffisant pour lutter contre la fraude, le blanchiment et la criminalité financière, à se montrer incapable de s'abstraire de postures, alors qu'on cherche désespérément de l'argent pour venir en aide à ceux qui en ont besoin, qui ne parviennent plus à faire face à la crise énergétique et à la hausse des prix."
Réforme fiscale : un projet officiel présenté le 5 juillet
Depuis quelques jours, c'est l'effervescence dans les milieux fiscaux et politiques. L'annonce d'un symposium le 5 juillet sur la réforme fiscale – le secret le mieux gardé du pays – y sera présentée par le Professeur Mark Delanote (Ugent), chargé par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) avec d'autres experts académiques de baliser ledit projet de réforme, comme inscrit dans la déclaration gouvernementale. Le ministre dit en faire une priorité et son frais émoulu président de parti Sammy Mahdi aussi. "Trois études seront présentées lors du symposium : le rapport du groupe d'experts de Marc Delanote, le dernier avis du CSF… qui n'a pas fait l'objet de fuites et une étude sur la fiscalité et le climat", nous confirme le cabinet des Finances. La vision du coordinateur de la réforme fiscale et l'étude sur les possibilités d'écologisation du système fiscal fédéral (notamment menée par l'Université de Saint-Louis) seront donc présentées au public pour la première fois.
Quelques fuites ont effectivement déjà eu lieu ces derniers mois, ainsi que sur les travaux du Conseil Supérieur des Finances, qui ont nourri le débat... et acté les différences entre les partis de la majorité. "On ne va pas se mentir, seuls le CD&V et Ecolo/Groen veulent de cette réforme", lance une source écolo.
Les bénéficiaires ? La clé...
Quoi qu'il en soit, "la présentation du 5 juillet lancera le processus. N'attendez pas de voir un scénario bien balisé en ce qui concerne les charges sur le travail, l'un des objectifs principaux, puisque tout dépend des orientations prises par ailleurs, sur la réduction de certaines niches fiscales par exemple. Tout est dans l'équilibre que les partenaires de la majorité parviendront à trouver", lâche un des experts qui a participé au groupe de Mark Delanote.
"Je suis curieux de voir comment notre travail sera intégré dans le projet de réforme fiscale. Une chose est sûre, l'enjeu sera surtout de voir qui va bénéficier de cette réforme, qui répondra par ailleurs à pas mal de recommandations des institutions internationales (OCDE/FMI) en matière fiscale. Des anomalies fiscales vont être corrigées, mais il y aura surtout des jeux de positionnement", poursuit l'expert du groupe Delanote, qui n'est pas membre du CSF (aucun membre du CSF ne siège d'ailleurs dans le groupe Delanote, sauf Mark Delanote lui-même). Il va falloir oser dire qu'il y aura des gagnants et des perdants, mais surtout qu'il y aura surtout des gagnants du côté des personnes les plus aisées en termes absolus, c'est inévitable". Un coin du voile devrait donc être dévoilé le 5 juillet.
“Un déni de démocratie”, selon Thierry Afschrift
Il y a quelques semaines, un projet du CSF (lire La Libre du 10 mai 2022) avait ensuite fait couler beaucoup d'encre. Pour rappel, le CSF recommandait trois taux pour trois tranches d'imposition : de 0 000 à 15 000 euros à un taux de 25 %), de 15 001 à 100 000 euros (à 40 %) et de 100 001 euros et plus (à 50 %). Lors d'un débat organisé par la Fondation Forum pour le Future fin de semaine dernière, quatre fiscalistes sont d'ailleurs revenus sur cette proposition, et de manière plus générale sur les enjeux de cette réforme fiscale. Un retour très critique. Mais avant tout, les panélistes – Sabrina Scarna (Tetra Law), Thierry Afschrift (Association Afschrift), Thierry Litannie (Law Tax) et Emmanuel Degrève (Deg&Parrners) – regrettent la méthode. "Les travaux manquent de transparence, pour Thierry Afschrift. On nous dit qu'il y a des avis du CSF, mais ils ne sont pas publiés, mais ils devraient l'être complètement, qu'on puisse juger de manière globale, donner un avis plus scientifique. Il aurait été souhaitable pour le débat public qu'on ait accès aux différents textes. En tant que citoyen, je trouve qu'il y a derrière ce projet indigne une forme de déni démocratique de la part de Vincent Van Peteghem".
Par ailleurs, il y a selon les experts une forme d'incohérence dans le projet, estime Emmanuel Degrève : "On aurait dû commencer par réformer le CSF, car il sert le politique. Or, on a besoin d'organes frais, indépendants, qui conseillent les cabinets. Cette hypocrisie dans l'expertise est débile. Si le but est de demander d'écrire l'histoire souhaitée par le ministre, qu'il l'écrive lui-même. On aurait demandé un projet d'étude aux experts fiscaux, on l'aurait fait, si on avait eu le sentiment qu'on aurait pu être écouté. L'annonce du symposium le 5 juillet est une mise en scène".