Bientôt 40 % des citoyens belges sous le seuil de pauvreté, comme l'affirment Maxime Prévot et Bruno Colmant ?
Ce dimanche, le président des Engagés alertait sur le risque de voir 40 % des Belges passer sous le seuil de pauvreté. Si sur le papier ce chiffre est débattable, car dépendant de l'interprétation des données économiques, un appauvrissement de la population est indiscutablement à l'ordre du jour.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/19881f36-a9e4-4c88-8657-edde1e291d9e.png)
- Publié le 05-09-2022 à 12h42
- Mis à jour le 05-09-2022 à 22h50
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IELGSWHMPZE63I2ERFXYN375KU.jpg)
"On est face à une hécatombe sociale potentielle énorme. Près de 40% des citoyens risquent de basculer sous le seuil de pauvreté", déclarait ce dimanche Maxime Prévot, président des Engagés, sur le plateau de C'est pas tous les jours dimanche, relayant une analyse de Bruno Colmant.
Ce taux, très élevé compte tenu du pourcentage actuel autour des 20 %, est-il plausible? Deux visions coexistent.
Des différences jusqu'à 500 euros
D'un côté, il y a celle de l'économiste Philippe Defeyt, pour qui ce constat ne tient pas debout. "Du point de vue scientifique et méthodologique, c'est totalement faux", entame-t-il. "Le seuil de pauvreté est défini par les revenus, et non par les besoins ou le coût de la vie. Or, la crise énergétique ne va pas modifier la distribution des revenus. Donc dire qu'elle va augmenter le pourcentage de personnes sous le seuil de pauvreté, c'est absurde", détaille notre interlocuteur, qui reconnaît qu'un autre phénomène va être à l'oeuvre. "Une partie de la population va s'appauvrir, mais cela ne va pas augmenter le taux de personnes sous le seuil de pauvreté : celui-ci n'est pas lié au niveau de vie ou au pouvoir d'achat."
Pour illustrer cette différence entre revenu et pouvoir d'achat, l'économiste utilise un exemple simple. "Prenez une personne avec un petit revenu, mais qui bénéficie d'un logement social et du tarif social pour l'énergie. Comparez-la avec une personne qui dispose d'un revenu un peu plus élevé, mais qui doit payer un loyer classique et régler ses factures d'énergie sans le tarif social. Malgré un revenu plus bas, la première personne aura un pouvoir d'achat plus élevé, avec des différences qui peuvent monter jusqu'à 500 euros dans les cas les plus extrêmes."
Philippe Defeyt plaide donc pour une modification des critères pris en compte pour le calcul. "Il faut travailler avec des indicateurs liés au niveau de vie pour être plus proche de la réalité. La situation que nous connaissons à l'heure actuelle va peut-être faire évoluer le débat à ce sujet, et permettre de changer les indicateurs qui sont utilisés pour définir le seuil de pauvreté."
Dans le cadre d'une analyse réalisée pour l'Institut pour le Développement Durable, publiée à la fin du mois d'août dernier, l'économiste tirait déjà des conclusions similaires. Il concluait alors que "choisir, pour mesurer la pauvreté, un indicateur de redistribution des revenus (ce qui est le cas aujourd'hui) revient à ignorer les vécus différents (logement social ou pas, chauffage au gaz ou au mazout...), confondre 'revenu' et 'niveau de vie' (or un même revenu ne procure pas un même niveau de vie), faire croire qu'on peut répondre de manière identique à des situations différentes et préférer la facilité à la complexité. [Tout ceci] conduit donc à cacher les grandes inégalités en bas de l'échelle des revenus".
"Prendre en compte les revenus disponibles", rétorque Bruno Colmant
D'un autre côté, il y a celle défendue par l'économiste Bruno Colmant, qui a tenu à apporter quelques précisions. "Il faut prendre en compte les revenus disponibles. Actuellement en Belgique, il y a à peu près 22 à 23 % de la population sous le seuil de pauvreté. Mais au niveau des revenus nets, une fois les dépenses liées notamment aux factures d'énergie et aux loyers déduites, près de 20 % supplémentaires risquent de se retrouver sous le seuil", détaille-t-il. Pour un total, donc, de 40 % de la population.
Et de préciser que le mécanisme de l'indexation ne suffit pas à contrebalancer la flambée actuelle des prix. "Prenez une personne qui aurait un salaire de 1 000 euros. Une indexation de 10 % lui offre 100 euros de revenus supplémentaires. Or pour les factures d'énergie, la hausse est plus élevée et se situe plutôt aux alentours des 200 voire 300 euros."
Bref, si les analyses des deux économistes varient sur la forme, tous deux s'accordent in fine sur le fond : la hausse des coûts est indiscutable pour les Belges, et une partie de la population va se retrouver en situation d'appauvrissement, qu'elle soit reprise ou non sous le seuil théorique de pauvreté.