La discussion des Vingt-sept sur le prix du gaz n’a pas encore atteint le plafond
Les ministres de l’Énergie se rapprochent d’un compromis, mais le nœud du problème est toujours là : à quel prix faut-il déclencher le mécanisme de plafonnement ?
Publié le 13-12-2022 à 22h12 - Mis à jour le 14-12-2022 à 10h46
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Le compte n’y est toujours pas. Réunis mardi à Bruxelles, les ministres de l’Énergie des Vingt-sept ne sont pas parvenus, pour leur deuxième essai, à s’entendre sur le prix du gaz à partir duquel un mécanisme européen de plafonnement se déclencherait automatiquement.
Quatre questions devaient trouver réponse lors de leur nouvelle réunion extraordinaire. Les conditions de déclenchement du mécanisme ; le prix plafond ; les conditions pour désactiver le mécanisme et celles qui permettent de le suspendre, en cas de risques pour la sécurité d’approvisionnement et/ou de perturbations des marchés financiers. Les États membres se divisent schématiquement en deux camps. Un groupe d’une quinzaine de pays, dont la Belgique, veut un mécanisme qui garantisse des prix raisonnables et stables. Le souci premier de l’autre groupe dans lequel se trouvent notamment l’Allemagne et les Pays-Bas est de faire en sorte que la menace d’un plafonnement des prix n’effraie pas les fournisseurs et ne mette en péril la sécurité d’approvisionnement. “Peu importe le prix du gaz, si vous ne pouvez pas vous en procurer”, avertissait la semaine dernière une source diplomatique d’un pays de ce groupe. “Opposer un objectif à l’autre ne serait pas sérieux : on a tous besoin de sécuriser nos entreprises au moment où le prix du gaz les met en difficulté, on a besoin de sécuriser nos approvisionnements et de stabiliser nos marchés, sinon l’impact serait dévastateur”, déclarait à son arrivée la ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.
Un plafond de 200 euros trop haut pour les uns, trop bas pour les autres
Vu l’insistance des États membres, la Commission européenne avait fini, de mauvaise grâce, par déposer une proposition législative, le 24 novembre dernier. Celle-ci prévoyait que le mécanisme de plafonnement s’enclencherait une fois que le prix du gaz atteindrait le seuil 275 euros le mégawattheure, pendant deux semaines, sur le marché néerlandais TTF, l’indice de référence du marché du gaz en Europe. La deuxième condition fixée était que l’écart entre le prix du TTF et celui de divers indices du marché mondial soit d’au moins de 58 euros pendant dix jours ouvrables consécutifs, durant ces deux semaines.
La proposition avait eu l’heur de répondre aux préoccupations de pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, soucieux avant toute chose d’assurer la sécurité d’approvisionnement que, selon eux, une menace de plafonnement des prix risque de mettre à mal. À l’inverse, la Commission avait courroucé plusieurs États membres, dont la Belgique, qui estimait qu’elle proposait un mécanisme qui ne serait jamais activé – aucune des conditions n’avait été remplie au mois d’août dernier, quand le prix du gaz avait atteint 350 euros le MWh.
Écoutant les doléances et les desiderata des uns et des autres, la présidence tchèque du Conseil avait proposé de nouveaux chiffres : un seuil compris entre 200- 220 euros le MWh, maintenus pendant quelques jours, et un écart de 35 euros avec le marché mondial. “La solution d’un prix plafond et d’un prix dynamique basé sur un spread [de l’écart de prix] avec un paquet d’index mondiaux [du prix du gaz naturel liquéfié] est celle sur laquelle on travaille”, confirme une source proche des discussions. Sans avoir réussi, pour l’instant, à y rallier l’ensemble des États membres.
Pour certains pays, comme l’Espagne, le plafond de 200 euros est trop élevé, et si c’est celui-là qu’on fixe “c’est là-dessus que vont se baser les marchés”, explique une source au fait des débats. En revanche, les Allemands continuent de penser qu’un plafond de 200 euros est encore trop bas et de nature à susciter la méfiance des fournisseurs.
L’espoir d’un compromis lundi prochain
“J’espérais ouvrir le champagne pour célébrer un accord, mais on devra le garder au frais encore un moment. Nous nous reverrons lundi”, a admis le ministre tchèque de l’Industrie Jozef Sikela, qui pilotait la réunion. Juridiquement, la décision pourrait être prise à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population). Politiquement, ce serait plus compliqué, d’autant que l’Allemagne se retrouverait en minorité.
Si la présidence tchèque du Conseil garde espoir de trouver un compromis le 19 décembre, c’est notamment parce que sur d’autres éléments de la proposition de la Commission, le texte sur le mécanisme européen de plafonnement du prix du gaz “est stabilisé à 90 %”, assure la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. “À 95 %”, enchérit le ministre allemand de l’Économie et du Cliat, Robert Habeck. De “grands progrès” ont effectué au cours de la journée, dont témoigne une troisième source, louant “l’esprit de compromis qui règne”.
Ce qui est en bonne voie : la discussion sur le champ d’application du mécanisme. La Commission l’avait limité aux contrats mensuels du TTF, il s’étendra à tous les produits de cet indice. Les contrats “OTC” de gré à gré restent exclus de la proposition, mais l’idée d’y englober d’autres places d’échanges européennes n’est pas écartée, si cela s’avère pertinent après une évaluation de quelques mois.
Les esprits se rencontrent aussi pour ce qui touche la désactivation du mécanisme. Celle-ci se basera sur une décision politique mais pourra être automatique dans certains cas – en cas de rationnement dans un ou plusieurs États membres par exemple. C’est de nature à satisfaire Berlin et La Haye et les capitales très soucieuses de la sécurité d’approvisionnement.
Discussions au sommet ?
Le sujet du prix du plafonnement remontera-t-il au niveau des chefs d’État et de gouvernement, qui se retrouveront en sommet ce jeudi ? “Je ne vois pas très bien quel serait l’intérêt de discuter au Conseil européen d’un dossier technique pour lesquels les ministres de l’Énergie sont compétents”, soupirait un insider.
Mais un autre glissait que pour les Allemands ce sujet est Chefsache (affaire des chefs) et que le chancelier Olaf Scholz pourrait vouloir discuter avec ses pairs de ce que serait un prix de plafonnement acceptable et de toutes ces conséquences. “C’est moins le ministre Habeck que Berlin qui bloque”, observait un diplomate.
La pression pour trouver un accord est là, d’autant que l’approbation de deux autres textes est liée à celle du mécanisme. Le premier est relatif à l’accélération de l’octroi des permis pour les infrastructures produisant de l’énergie renouvelable. Le second comprend deux volets : la plateforme d’achats communs de gaz – qui doivent couvrir un minimum obligatoire de 15 % du gaz nécessaire pour le stockage – et les conditions de solidarité envers les États menacés de pénurie d’énergie. “L’objectif reste d’adopter ces trois textes ensemble, un seul paquet, lundi prochain”, a indiqué le ministre Sikela.