Le taux minimum de taxation des multinationales pourrait avoir un gros impact en Belgique
La réforme est ambitieuse, mais des parades se mettent en place.
Publié le 13-12-2022 à 18h14 - Mis à jour le 13-12-2022 à 19h03
:focal(2495x1255:2505x1245)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/B7MIWM5GOBDOPGGQSYP2242ESY.jpg)
La présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a annoncé qu’un accord avait été trouvé afin de mettre en place un taux minimum de taxation des multinationales de 15 %. L’accord, intervenu au niveau des ambassadeurs des 27 États membres, doit encore être confirmé au niveau ministériel.
On attend d’ailleurs un aval définitif de la Pologne, qui a émis certaines réserves. Varsovie n’a pas encore reçu l’argent européen dédié au financement de son plan de relance. Un revirement polonais de dernière minute n’est donc pas à exclure, afin de faire pression sur ses partenaires européens. “Je ne pense pas qu’on aura de mauvaises surprises, mais je ne peux pas l’exclure”, estime d’ailleurs un diplomate.
C’est la levée du veto hongrois qui a permis cette avancée. Rappelons que cet accord européen est la transposition d’un accord international validé par 137 pays, dont les États-Unis ou la Chine. L’Europe avait décidé d’appliquer cet accord international via une directive européenne, afin d’aboutir à une certaine uniformité parmi les Vingt-sept. Si elle passe bien la rampe du Conseil ce mercredi, la directive européenne devra être transposée par les Vingt-sept dans leur droit national d’ici la fin 2023. Le taux minimum devrait donc être en vigueur en 2024.
Pour rappel, un seuil de 750 millions d’euros sera appliqué, ce qui permet de ne viser que les grands groupes multinationaux. En outre, les grandes entreprises présentes dans un seul pays seront aussi visées.
La directive européenne s’imposera à toutes les multinationales, dont le siège ou, au minimum, une filiale sont localisés en Europe. Mais le taux minimum s’appliquera plus largement dans le monde, étant donné que 137 pays vont progressivement l’insérer dans leur législation.
Mettre une limite à la concurrence fiscale
L’idée majeure de cet impôt minimum est de limiter la concurrence fiscale entre les États, qui a conduit les multinationales à payer toujours moins d’impôts sur leurs bénéfices. C’est l’État du siège de la multinationale qui pourra prélever la différence avec le taux minimum si une filiale étrangère est taxée en dessous de 15 %. Par exemple si Dublin ne taxe les bénéfices de Google Irlande qu’à hauteur de 5 %, le fisc américain pourra prélever 10 % des bénéfices irlandais.
Le but ultime est d’inciter l’Irlande à remonter son taux d’imposition national à 15 %. En effet, offrir un taux inférieur à 15% ne permettra plus d’attirer une filiale d’une multinationale si la maison-mère doit quand même payer la différence avec le taux minimum dans son pays d’origine.
On avait estimé que la réforme pouvait rapporter jusqu’à 150 milliards de dollars, répartis entre les 137 pays. Mais combien pourrait rentrer dans les caisses belges en 2024 ? “À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas faire des projections, répond le cabinet du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V). L’accord intervenu au niveau européen aidera l’administration à affiner les calculs. Il y a beaucoup d’estimations, qui vont de 100 millions à 1 milliard d’euros. Nous estimons, à ce moment, que la taxe pourrait rapporter quelques centaines de millions d’euros par an”.
Il y aurait une soixantaine de multinationales concernées par la réforme, dont le siège est en Belgique. Le fisc belge pourrait taxer les filiales étrangères sous-taxées de ces multinationales basées en Belgique. Néanmoins, les autres pays pourraient remonter leur taux d’imposition jusqu’à 15 %, pour éviter que la Belgique ne taxe ces filiales. Mais si tout le monde relève son taux minimum effectif (la Belgique y compris), les filiales situées en Belgique paieront plus d’impôts chez nous.
Des parades se dessinent
Si ce taux minimum de 15 % est considéré comme un bouleversement fiscal, plusieurs parades se mettent déjà en place. “La concurrence fiscale entre les États va prendre un autre visage, explique Johan Langerock, expert fiscal pour les Verts européens. Plusieurs États, dont la Suisse et les États-Unis, ont commencé à mettre en place des crédits d’impôts, qui ont moins d’impact sur le calcul du taux minimum de 15 %”.
Selon cet expert, la bataille des crédits d’impôts pourrait cependant être plus vertueuse. “Jusqu’à présent, les pays se sont battus pour attirer des filiales de multinationales en leur permettant de payer moins d’impôts sur leurs bénéfices, explique-t-il. Cela s’est notamment fait via le système des 'patents boxes'. En Belgique, il y avait les intérêts notionnels, la déduction pour revenus de brevets… Celle-ci a été remplacée par la déduction pour revenus d’innovation. Tous ces mécanismes ont en commun d’être octroyés à des entreprises qui réalisent déjà des bénéfices et qu’on veut attirer sur son territoire”.
Selon Johan Langerock, le système du crédit d’impôt, qui pourrait rester plus avantageux dans le cadre du taux minimum mondial, se rapproche du subside direct. “Ce système est plus vertueux car il permet réellement de soutenir l’activité de recherche, explique-t-il. Il permet aussi de soutenir des entreprises plus petites, qui ne font pas encore de bénéfices”. Le mécanisme pourrait monter en puissance à l’avenir.