Qatargate : un accord "douteux" de ciel ouvert avec l’émirat bientôt suspendu?
Après les soupçons de corruption au Parlement européen, des syndicats et députés demandent de suspendre un accord “douteux” donnant le feu vert à Qatar Airways pour se développer dans les aéroports du Vieux Continent.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/09b4ad29-52f6-43e4-84dd-592d6abd6386.png)
Publié le 14-12-2022 à 21h14
:focal(3146x2105.5:3156x2095.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/E5SFKCILKBGHVJUD3TSEKQ46KA.jpg)
L’accord date d’il y a un peu plus d’un an. A l’époque, déjà, il avait fait face à une importante levée de boucliers provenant du secteur aérien en Europe. Le 18 octobre 2021, l’Union européenne signait un “accord global sur les services de transport aérien” avec le Qatar. Sur le modèle du “ciel ouvert” existant entre les Etats-Unis et l’Europe, l’accord prévoit un accès de trafic illimité aux marchés réciproques des signataires. Les compagnies aériennes des 27 pays membres de l’EU disposent donc d’une totale liberté d’ouverture de lignes vers Doha. De son côté Qatar Airways gagne la possibilité de renforcer son réseau européen, sans aucune contrainte ou restriction.
Et donc sans avoir à renégocier de précieux droits de trafic bilatéraux avec chaque pays, comme c’est la règle pour les nations ne faisant pas partie de l’Union et désirant opérer sur le Vieux Continent. Notons que pour la Belgique, l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas, le dispositif est “progressif” pour n’être totalement opérationnel qu’en 2024. Le texte, qui doit encore être ratifié par les Etats-membres – seuls six pays l’ont formellement approuvé à ce stade : l’Autriche, l’Estonie, l’Irlande, la Grèce, la Lettonie et la République tchèque – prévoit aussi “des dispositions en matière de concurrence loyale ou concernant les questions sociales ou environnementales”.
Un accord “complètement déséquilibré”
Mais ces balises ne suffisent pas à calmer l’inquiétude et la colère des grandes compagnies européennes. Lufthansa et Air France en tête, mais aussi de nombreux syndicats européens jugent cet accord “largement favorable” au Qatar. “Pourquoi la Commission offre un accès illimité à un marché de 500 millions d’Européens contre un marché microscopique de trois millions de Qataris ?”, s’interrogeaient les eurodéputés Julie Lechanteux et Philippe Olivier (ID) l’automne dernier.
En France, les syndicats du secteur parlent d' “un accord complètement déséquilibré “. Selon eux, “la mise en concurrence déloyale de compagnies françaises avec une compagnie largement subventionnée en tout temps et appliquant des conditions sociales rétrogrades est une ineptie politique, économique et sociale”. Le sujet a toujours été très tendu. Comme ses consœurs du Golfe, Emirates (Dubai) et Etihad (Abou Dhabi), Qatar Airways a besoin des passagers européens pour développer son modèle économique : celui d’un hub (à Doha) de transit entre l’Europe, entre autres, et des destinations asiatiques plus orientales, voire l’Afrique de l’Est. Cette incursion sur le Vieux continent est mal vue par les grandes compagnies européennes traditionnelles qui estiment que les “Trois Sœurs” du Golfe, largement subventionnées par leurs Etats respectifs, leur font de la concurrence déloyale.
Une enquête “dans les plus brefs délais”
Certaines négociations se passent-elles en coulisses ? En 2015 déjà, il se chuchotait fortement que l’Etat français avait octroyé ces fameux droits de trafic à Qatar Airways contre la vente de 24 avions de combat Rafale à l’émirat. Mais revenons à 2022. Le “Qatargate” et les soupçons de corruption de membres du parlement européen par l’émirat ont ravivé des questionnements sur cet accord de ciel ouvert. “Il faut savoir si le Qatar a influencé la position de négociation de l’UE”, a déclaré à l’AFP l’eurodéputé Jan-Christoph Oetjen (Renew, libéral), vice-président de la commission Transport au Parlement. Ce dernier a demandé “aux États membres de suspendre immédiatement leur ratification […] tant que l’affaire n’aura pas été entièrement éclaircie et que sa portée n’aura pas été révélée”.
Aux Pays-Bas, différents syndicats exigent également de la clarté “sur le marchandage de ces accords aériens”. Même son de cloche en France où Force Ouvrière veut une enquête “dans les plus brefs délais” sur la conclusion de cet accord que le syndicat qualifie de “douteux” . Pas de réaction par contre en Belgique, où Qatar Airways est présente à Liège (fret) et Bruxelles-Zaventem.