"Si on n’augmente pas la productivité, on va avoir un problème de soutenabilité des finances publiques"
Luc Denayer, président du Conseil national de la productivité (CNP) et du conseil central de l’économie, tire la sonnette d’alarme.
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Publié le 23-12-2022 à 06h34
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On le sait, les principaux défis auxquels nos pays européens sont confrontés, ce sont ceux du climat et du vieillissement de la population (dépenses de soins de santé et de pensions), qui vont engouffrer des dizaines de milliards d’euros de dépenses et d’investissements ces prochaines décennies en Belgique. C’est connu. "Ce qui l’est moins, c’est que pour assurer la soutenabilité des finances publiques, pour répondre à ces défis, le monde politique semble ignorer que la productivité est la clé. Cela n’a jamais été une préoccupation majeure et c’est dommage", lance Luc Denayer, président du Conseil national de la productivité, organe mis en place précisément sous la précédente législature pour remettre cette thématique à l’avant-plan. Non sans raison. Les gains de productivité (soit la valeur ajoutée créée par heure de travail prestée) sont en baisse constante depuis belle lurette.
Gains de productivité parfois négatifs
Alors que dans les années 70, les gains de productivité étaient encore de 4,5 % par an, "en moyenne, la croissance de la productivité a été de 0,8 % sur la période 2000-2021. Certains sous-secteurs d’activité affichent même des taux de croissance négatifs. Ce déclin n’est pas propre à la Belgique. Le problème, c’est qu’on a beaucoup fait pour augmenter le taux d’emploi ces dernières années, mais ce ne s’est pas toujours accompagné de gains de productivité", explique celui qui aussi Chargé de cours à l’UCLouvain et secrétaire général du Conseil central de l’économie. En gros, le conseil national de la productivité (CNP), composé d’économistes de la BNB, du Bureau du Plan, du secrétariat du Conseil central de l’Économie (CCE) et des entités fédérées, recommande que la hausse du taux d’emploi soit cette fois directement corrélée à des gains de productivité. "Et donc de mettre l’accent sur la formation, l’enseignement, autant que sur la recherche et le développement et l’innovation", poursuit l’expert du CNP.
Du travail, en amont, pour "nourrir" le marché de l’emploi
Voilà qui demande un peu d’explications. Et une réponse à la question de savoir pourquoi il reste encore 270 000 chômeurs en Belgique. "Quand on examine les réserves de travail, on y retrouve des populations qui sont extrêmement éloignées du marché du travail, en termes de formation ou pour des raisons, je dirais, culturelles. Je pense notamment que les compétences humaines, ce qu’on appelle aussi les soft skills, devraient être davantage développées", estime Luc Denayer. Qui ajoute : "Une étude l’OCDE montre d’ailleurs que la différence entre le niveau des allocations et des salaires les plus faibles n’est pas le problème le plus aigu ; au niveau financier il y a les avantages liés au statut et pas au niveau de revenu au niveau culturel. L’enjeu est double : d’une part travailler sur l’insertion sociale par le travail et d’autre part, dans une société de services, développer les compétences liées au relationnel."
Le président du CNP ponctue : "Si on n’augmente pas le taux d’emploi et si on n’augmente pas les gains de productivité, on va avoir un problème de soutenabilité des finances publiques. Il faut que les gens soient incités à développer leurs connaissances, leurs compétences, et obtenir une juste rétribution quant aux salaires obtenus, qui comme on le sait sont trop vite trop lourdement taxés", poursuit l’économiste, qui cite en exemple le secteur alimentaire, dont le fonds sectoriel met l’accent sur la formation et le développement des compétences, y compris en matière organisationnelle au niveau des entreprises. De surcroît, le conseil national de la productivité estime qu’en termes de formation, il manque de passerelles en termes de développement de compétences, comme si les secteurs hospitalier, de l’Horeca ou de la logistique, secteurs où la demande est largement supérieure à l’offre, devaient forcément travailler en vase clos.
Subsides salariaux
Si le CNP met l’accent sur l’éducation, surtout dans les métiers STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), où le réservoir de diplômés reste bien trop modeste par rapport à la moyenne européenne (moitié moindre), l’institution insiste aussi beaucoup sur la manière d’encourager l’innovation. "Il y a un consensus entre partenaires sociaux pour dire que les subsides salariaux ont été et restent favorables à la recherche et au développement. Les baisses de cotisations ont donc des effets positifs, le Bureau fédéral du plan l’a aussi évaluée récemment. En revanche, et c’est ce qu’a montré la récente étude de cette institution, sur le plan fiscal (impôt des sociétés), c’est beaucoup moins clair. En clair, l’efficacité des dépenses publiques en faveur de l’innovation, de la recherche et du développement, n’est pas toujours probante. C’est interpellant, mais assez révélateur du manque de culture d’évaluation de nos politiques publiques", assène Luc Denayer.
Concurrence : ça s’améliore
Le manque de concurrence, ces dernières années, était régulièrement pointé du doit par le CNP, et d’autres institutions comme la BNB et le BfP. "Là, il y a amélioration. Il reste évidemment sur le problème des Gafa dans le secteur tech, mais il y a eu des améliorations au niveau de certaines réglementations, qui donnent un peu moins de privilèges à certaines professions (et donc, cela pèse moins sur les prix, NdlR). Mais il y a encore de la marge pour avoir des gains de compétitivité ici aussi", poursuit Luc Denayer. Qui conclut : "En fait, je crois qu’il est important qu’on donne plus d’attention encore aux eco-systèmes, pour qu’en amont et en aval, on ait de la création de valeur ajoutée dans certains secteurs porteurs comme dans le secteur de la pharmacie par exemple".