”Ce dossier, c’est Netflix” : le trafic de cocaïne continue de gangrener le port d’Anvers
La dernière enquête menée par le journal français Libération vient une nouvelle fois rappeler le rôle central du port belge dans le trafic de cocaïne.
Publié le 26-12-2022 à 18h45
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”Son épaisse polaire orange de docker sur le dos, Omar (prénom d’emprunt) raconte ce qu’il appelle, sourire aux lèvres, un récent 'accident du travail' typiquement anversois. Il se trouvait dans un entrepôt du port, à décharger des sacs de jute remplis de café. 'Et là, bam, un pain de cocaïne tombe sur l’épaule d’un collègue !' Puis un autre. Et encore un autre. Omar aperçoit le drôle de ballet d’une voiture qui rôde sur le quai. Son conducteur prend des photos des dockers alors qu’ils regroupent la cargaison illicite. 'Il attendait de voir si on allait se servir. Sans doute pour savoir à qui réclamer ensuite…' Finalement, la police déboule et installe des paravents. Le mystérieux véhicule démarre en trombe. Au pied des gigantesques grues rouges, tout le monde a une histoire dans ce goût-là.”
La dernière enquête de nos confrères de Libération sur le port d’Anvers rappelle à quel point le trafic de drogues, et principalement la cocaïne, s’insinue partout. Le port belge est toujours aujourd’hui la principale porte d’entrée de la cocaïne en Europe.
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”On est sous surveillance, et pas que policière, opine Mat (prénom d’emprunt), l’un des 8 000 dockers anversois. Les trafiquants ont des taupes dans les hôpitaux, les banques ou les casinos pour chercher ceux parmi nous qui ont des failles : un gamin avec le cancer, des dettes de jeu… Une fois, c’est carrément un drone qui planait au-dessus de nos têtes, on lui a jeté des bouteilles. Et à côté de ça, les politiques nous font passer pour des pourris, comme si on touchait tous un billet.” Le marteau et l’enclume : “C’est devenu tellement mal vu d’être docker qu’aujourd’hui tu te poses des questions quand tu changes de voiture, donne comme exemple Omar. Si tu la prends trop brillante, soit le voisinage va penser que tu croques, soit les dealers vont te repérer…”
Si des contrôles existent, les contrebandiers ne manquent pas d’imagination pour les éviter. Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances, cite ainsi le “'rip/off' (on place un sac de sport avec la came facilement accessible juste avant de sceller le conteneur au départ, et un complice le récupère à peine arrivé à quai) ou le 'cheval de Troie' (les contrebandiers s’enferment dans le conteneur avec leur marchandise, au risque de suffoquer à cause de la chaleur). Puis les doubles-fonds de toutes sortes, dans les chargements (faux marbre, voitures, troncs exotiques), dans la structure des conteneurs, notamment les parties réfrigérées, voire des bateaux. Parfois, c’est dans une 'torpille' accrochée sous la coque qu’un plongeur doit aller récupérer la cargaison illicite. Plus ingénieux encore, la cocaïne est injectée sous forme liquide dans des t-shirts, du lait de coco ou de l’engrais, avant un passage en laboratoire”, explique encore l’enquête de Libération. Car in fine, moins de 2 % des conteneurs qui passent par le port sont contrôlés…
Sky ECC, une porte vers un nouveau monde
Mais la lutte contre les narcotrafiquants est entrée dans une nouvelle phase. “Depuis que les polices belge, française et néerlandaise ont percé, début 2021, 'Sky ECC', cette messagerie canadienne longtemps réputée inviolable et prisée des criminels, c’est tout un inframonde jusque-là contenu dans les 'cryptophones' des mafias qui est remonté à la surface. Un milliard de communications ont été interceptées : un tombereau quasi-infini de messages à peine codés et de photos 'frappantes', euphémisme utilisé par les enquêteurs belges pour désigner décapitations, tortures et piles de billets, dans une synthèse de la police fédérale d’Anvers.”
”Sky, c’est la boîte noire du narcotrafic européen, confie encore un pénaliste bruxellois à Libération. Du jamais-vu : les chambres de torture, les cadavres découpés puis passés au hachoir en Serbie, les types hilares qui posent devant 300 kilos de cocaïne emballée, les schémas des caches dans les conteneurs… Il y a tout. Ce dossier, c’est Netflix.”