"C’est l’argent du contribuable qui est en jeu": L’Europe dévoile son plan "compétitivité" face aux investissements massifs américains
Pour faire face au défi de la transition énergétique mais également répondre aux besoins de compétitivité des entreprises européennes, la Commission a dévoilé un premier plan de bataille. En particulier pour faire face à l’Inflation Reduction Act, serait-on tenté de dire.
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Publié le 01-02-2023 à 18h53 - Mis à jour le 01-02-2023 à 19h01
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Comment éviter que les entreprises européennes ne soient tentées de délocaliser aux États-Unis pour bénéficier d’une énergie moins chère et des généreux subsides distribués dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA). Adopté en août dernier par le Congrès américain, ce plan prévoit d’injecter 370 milliards de dollars dans des secteurs liés aux énergies renouvelables ou aux véhicules électriques. Et comment éviter que l’IRA ne pénalise l’industrie européenne dans son ensemble en plombant sa compétitivité ?
Voilà les deux questions en trame de fond de la communication faite par la Commission européenne ce mercredi, en amont de futures propositions législatives précisant les modalités de la réponse européenne à l’IRA.
”Cette décennie déterminera si nous serons victorieux dans la lutte contre le changement climatique. Le plus important, c’est la neutralité carbone de l’industrie”, a entamé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, en dévoilant les grandes lignes de la communication, peu après midi, à Bruxelles.
”Nous devons déterminer les contours de cette économie. Nous avons un avantage : nous sommes le fer de lance du déploiement de cette économie neutre en carbone. On a lancé le Green Deal il y a trois ans et nous en avons la conviction : ce pacte est la bonne stratégie pour notre croissance. La pandémie nous a entre-temps touchés de plein fouet, tout comme la guerre en Ukraine. Mais ça a été un tremplin : 35 % des fonds européens du plan de relance sont consacrés à la transition verte”, a-t-elle poursuivi.
L’IRA américain, le grand ennemi ?
Avec diplomatie mais volonté de clairvoyance, la présidente de la Commission européenne a fait le point sur la stratégie européenne pour ne pas se laisser dépasser par l’Inflation Reduction Act américain, mis en place l’été dernier, ou même d’autres plans établis par la Chine, le Japon, le Canada ou l’Inde, pour ne retenir que ceux qu’elle a cités.
”Que ce soit clair, nous saluons l’initiative américaine. Nous donnons la priorité planétaire à la lutte contre le changement climatique. C’est indispensable”, a-t-elle lancé. Ça, c’est pour le côté diplomatique. “Mais nous voulons garantir l’égalité de traitement, au niveau international et à l’intérieur du territoire européen”, a-t-elle directement martelé par la suite.
Pour ce faire, la Commission veut avancer sur quatre grands piliers pour son “Green Deal Industrial Plan” : établir un cadre réglementaire favorable à la neutralité carbone de l’industrie tout en allégeant les démarches administratives ; accélérer les financements aux niveaux national et communautaire ; garantir les compétences en formant la main-d’œuvre pour la transition ; et développer encore le commerce international et les partenariats avec d’autres communautés économiques pour assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement.
”Lorsqu’on parle aux entreprises, elles parlent souvent des lourdeurs administratives. Nous allons les alléger, dans le cadre du Net Zero Industry Act que nous allons proposer. Nous devons également garantir l’approvisionnement d’un certain volume de matières premières, en travaillant sur l’extraction, la transformation, le recyclage et la recherche de substituts”, a-t-elle précisé.
”L’énergie constitue un élément saillant pour la compétitivité. Nous allons revenir sur la réforme du marché de l’électricité au mois de mars”, a également laissé entendre l’Allemande. Ce qui est probablement la question la plus critique pour l’industrie actuellement.
Sans trop s’attarder sur les éléments techniques des différents fonds de relance et aides, précisons que la Commission propose de puiser dans les moyens dévolus au plan de relance, dont une partie serait dirigée vers la stratégie RePowerEU visant à réduire la dépendance énergétique de l’UE. L’accès à InvestEU serait également simplifié. Le troisième instrument serait un Fonds d’innovation, lancé en automne, aux contours encore flou. L’exécutif européen met l’accent sur l’importance de ne pas travailler en silo pour les États membres, même si la tentation peut être forte.
”Chaque État membre dépend d’autres fournisseurs installés dans d’autres États membres. On veut que ceux-ci soient maintenus sur le sol européen et ne partent pas aux États-Unis. C’est le principe même de notre souveraineté. Il ne faut pas penser en silo, isolé, il faut pouvoir avoir ces chaînes intégrées dans le marché intérieur”, lâche-t-elle. En clair, les États ne doivent pas penser qu’aux aides nationales, mais penser global dans le cadre du marché intérieur européen. Les fonds doivent être répartis pour être plus forts, ensemble. “Donc il faut des aides d’États limitées et un fonds de solidarité pour avoir une réponse structurelle”, poursuit-elle.
Pour les aides d’États dans les secteurs stratégiques, souvent décriées par les plus “libéraux” en Europe, dont les Pays-Bas et les pays nordiques, l’Europe se veut claire : c’est ciblé et temporaire. Les dernières décisions d’attribution d’aides devront être prises avant le 31 décembre 2025.
”Il convient d’être prudent. Il faut éviter la fragmentation du marché européen. Nous allons également proposer un fonds européen pour la souveraineté, pour davantage soutenir la recherche dans les industries stratégiques”. C’est-à-dire, dans les grandes lignes, tout ce qui touche aux sources d’énergie renouvelable, aux batteries mais aussi à l’intelligence artificielle et tout ce qui peut favoriser la transition. “De façon globale, les réponses des États membres consultés convergent vers ‘Oui, une partie de l’IRA représente une menace pour la compétitivité de certains secteurs clés dans la transition verte de l’industrie européenne”, a par ailleurs précisé plus tard la vice-présidente de la Commission chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, histoire d’être limpide.
"Un gaspillage de sagesse"
Enfin, si Ursula von der Leyen s’est félicitée d’un taux de chômage moyen de 6 % dans l’Union, elle regrette que le taux soit de 14 % chez les jeunes. D’où l’importance de former la main-d’œuvre pour assurer la transition, et financer ces filières. De plus, elle a également pointé le manque d’égalité dans le taux d’emploi entre hommes et femmes (80 % contre 69 %), ce qui fragilise le tissu économique, comme la trop faible participation des seniors entre 60 et 64 ans (48 %). “C’est un gaspillage de sagesse”.
Enfin, dans les piliers essentiels mis en avant par la Commission, il y a le développement ou renforcement des partenariats commerciaux, avec le Mercosur, la Nouvelle-Zélande, le Mexique le Chili… 'Nous avons besoin d’échanges internationaux pour garantir l’approvisionnement de la chaîne logistique et la création d’emploi”.
Reste à voir comment elle va pouvoir conjuguer concrètement cela à la volonté de neutralité carbone. Rendez-vous le 9 et 10 février pour les discussions politiques au Conseil européen.
Comment éviter la course aux aides d’État ?
La “tricky question”, celle des aides. D’abord, celles des aides d’État. Comment limiter les inégalités entre pays européens, alors que des pays comme l’Allemagne et la France représentent 80 % des aides de crise octroyées par les États ? Et éviter ainsi d’entrer dans “le jeu de celui qui a les poches les plus profondes”, comme le disait notre Premier ministre, Alexander De Croo, en décembre dernier.
"L’aide d’État est un transfert d’argent des contribuables vers les actionnaires. Il faut un bon équilibre. Car ce qui est en jeu, c’est l’argent du contribuable. Il doit donc être utilisé pour le bien commun"
”On va augmenter le plafond auquel les États peuvent octroyer aides sans notification à la Commission. Pour que ce soit équitable entre États, nous proposerons des plafonds et pourcentages plus élevés pour les régions moins développées en Europe ainsi que privilégier les allégements fiscaux plutôt que les subventions directes”, avance Margrethe Vestager, précisant que les PME seront également en première ligne.
Si elle reconnaît les paradoxes potentiels des aides, la vice-présidente responsable de la Concurrence, en rappelle l’aspect temporaire. “On ne peut pas construire notre compétitivité sur des financements publics. C’est pour cela que c’est temporaire […]. Les risques de fragmentations du marché pourraient être graves et pérennes. Tous les États membres ne pourraient pas octroyer les mêmes aides. C’est la raison pour laquelle nous prévoyons des conditions”, qui seront donc dévoilées plus en détail lors de la phase des propositions. “Je suis la première à me dire défenseur de la concurrence et du marché unique. Mais nous devons nous adapter à la réalité. L’année dernière, nous avons dépassé le record d’émission de CO2 sur la planète […] Nous devons donc prendre ces mesures, il faut une transition profonde, la plus profonde de ces 150 dernières années. La technologie et l’obligation politique sont les moteurs de cette transition”, glisse-t-elle, pour la vision plus globale.
”On sait que ça va de pair avec des risques importants pour l’intégrité du marché unique et pour notre cohésion. En bout de course, l’aide d’État est un transfert d’argent des contribuables vers les actionnaires. Il faut donc que la société dans son ensemble en tire profit pour que ce soit justifié. Il faut un bon équilibre. Car ce qui est en jeu, c’est l’argent du contribuable. Donc il doit être utilisé pour le bien commun”, conclut-elle, rappelant par ailleurs que seulement 15 % des fonds du plan de relance européen ont été utilisés pour le moment.
Enfin, elle se montre confiante pour les négociations avec les États-Unis, qui pourraient également jouer sur les aides pour attirer des entreprises sur leur territoire ou simplement pénaliser les entreprises européennes. “Ce qui est positif, c’est que les États-Unis rejoignent enfin le club de ceux qui luttent contre le changement climatique. Mais le fait est qu’il faut agir pour éviter qu’il y ait discrimination et perte d’élan du côté européen”. Sans être naïfs, donc.