L’embargo sur le diesel russe commence ce dimanche : “Moscou fait face à un gros problème”
La Russie pourrait être amenée à exporter moins de diesel, ce qui ferait monter les prix.
Publié le 04-02-2023 à 09h45 - Mis à jour le 04-02-2023 à 09h46
:focal(368.5x254:378.5x244)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BYAO3SPMJRDZLBPH2GKJJW35V4.jpg)
L’embargo européen sur le pétrole brut russe, intervenu le 5 décembre dernier, n’a pas provoqué la flambée des prix du baril redoutée par certains experts. Depuis l’entrée en vigueur de l’embargo, le prix du Brent, la référence internationale du marché, a même légèrement diminué.
Comment expliquer cela ? Jusqu’à présent, le plan imaginé par les États-Unis et l’Europe a fonctionné. Comme espéré, Moscou a pu continuer à vendre son brut à d’autres acheteurs que l’Europe, Inde et Chine en tête. Cette réorientation des flux pétroliers russes vers le sud a permis de maintenir quasiment intacte l’offre mondiale de brut. Or la stabilité de l’offre était nécessaire pour éviter une flambée des prix.
Néanmoins, la Russie doit offrir d’énormes rabais pour écouler son brut. En raison des sanctions occidentales, ce rabais a même quasiment atteint 40 %, par rapport au prix du Brent. Bruxelles et Washington sont donc arrivés à leurs fins : permettre à la Russie d’écouler son pétrole brut, mais à un prix bradé.
Le diesel plus vulnérable ?
À partir de ce 5 février, ce seront les produits pétroliers russes, comme le diesel et l’essence, qui seront visés par un nouvel embargo européen. Or l’Europe ne produit pas suffisamment de diesel pour satisfaire sa propre consommation. Les raffineries européennes produisent environ 5 millions de barils par jour de diesel, contre une consommation de 6,4 millions de barils par jour. La moitié du déficit est comblée avec du diesel importé depuis la Russie.
Que va-t-il se passer quand l’Europe n’aura plus accès au diesel russe ? “Je ne pense pas qu’il y aura une pénurie physique de diesel, répond Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris. En revanche, les prix risquent d’augmenter.”
Un constat partagé par Jorge Léon, senior vice-président de Rystad Energy. “Il n’y aura pas de pénurie, avance-t-il. Mais faire venir du diesel d’autres régions du monde, surtout de Chine et du Moyen-Orient, coûtera plus cher.”
Henning Gloystein, directeur énergie du consultant Eurasia Group, ajoute que l’intensification de la concurrence mondiale entre les acheteurs de diesel a déjà entraîné une hausse des prix. “Les marges des raffineries situées en Asie, aux États-Unis et au Moyen-Orient ont déjà augmenté”, explique-t-il.
Selon Francis Perrin, la hausse des prix du diesel devrait cependant être limitée et temporaire. “Je n’anticipe pas un bouleversement complet du marché, explique-t-il. En outre, la hausse des prix devrait être limitée au premier semestre 2023. Entre fin 2022 et fin 2023, les capacités mondiales de raffinage de diesel vont augmenter, ce qui va soutenir l’offre mondiale.”
Si la concurrence pour acheter de diesel s’est intensifiée, c’est aussi parce que la Russie risque de ne pas pouvoir écouler ailleurs le diesel qu’elle vendait auparavant en Europe. Contrairement à ce qu’on a observé pour le brut, il risque donc d’y avoir une diminution de l’offre mondiale de diesel.
Comment expliquer cela ? “La Russie fait face à un sérieux problème, explique Jorge Léon. Moscou a réussi à écouler son pétrole brut en Inde et en Chine en acceptant d’offrir de gros rabais. Mais Pékin et New Delhi n’achèteront pas de produits raffinés russes. Ils préfèrent acheter du brut russe bon marché et le transformer eux-mêmes en produits raffinés qu’ils vendent sur les marchés internationaux en réalisant de grosses marges. Dès lors, qui voudra acheter le diesel russe ? Récemment, on a vu une hausse des flux vers la Turquie et l’Afrique du Nord. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le diesel russe a été vendu sur ces deux marchés moyennant de gros rabais.”
Plus difficile à transporter
Henning Gloystein avance une deuxième raison pour laquelle la Russie aura des difficultés à écouler son diesel ailleurs qu’en Europe. “Il est plus difficile de transporter des produits raffinés que du brut, explique-t-il. Les tankers de produits raffinés sont beaucoup plus petits que les tankers de brut. En outre, il faut laver les tankers chaque fois que l’on passe d’un carburant à un autre.”
Selon cet analyste, le marché du diesel risque donc “de connaître des turbulences plus importantes que le marché du brut”. En outre, si l’Europe est capable de mettre le prix, d’autres régions pourraient avoir plus de difficultés à acheter du diesel plus coûteux. “Ces régions comprennent l’Amérique du Sud, certaines parties de l’Afrique de l’Ouest et certaines parties de l’Asie du Sud-Est”, précise Henning Gloystein.
En ce qui concerne le marché de l’essence, il ne devrait pas être trop perturbé par l’embargo européen. “L’Europe n’importe quasiment pas d’essence depuis la Russie”, explique Jorge Léon. Comme le rappelle Francis Perrin, le poids du diesel, par rapport à l’essence, est une particularité européenne. “Notre économie s’est 'dieselisée' au fil du temps, déclare-t-il. Or nos raffineries sont vieilles et produisent davantage d’essence. L’Europe doit donc importer beaucoup de diesel.”
Notons que les constats posés pour le diesel valent aussi pour le mazout de chauffage, qui est le même produit.