"Une politique énergétique ne se fait pas sur les réseaux sociaux": Prolonger le nucléaire, est-ce vraiment possible ?
Le Fédéral envisagerait un prolongement de certains réacteurs nucléaires pour éviter une situation critique lors des deux hivers prochains. Ce qui donne des idées à certains.
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Publié le 05-02-2023 à 19h23 - Mis à jour le 06-02-2023 à 10h37
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Une pièce de plus dans la surenchère nucléaire ? Samedi, Egbert Lachaert lâchait sur les ondes de la VRT être pour une révision complète de la loi de sortie du nucléaire et un prolongement pour dix ans de Tihange 1, censé être mis à l’arrêt en 2025. Le président de l’Open VLD (qui avait déjà proposé cette piste) veut donc aller plus loin que la prolongation potentielle de Tihange 1, Doel 1 et Doel 2, comme envisagé par le Fédéral.
Cette piste de réflexion est envisagée par la Vivaldi car la Belgique pourrait connaître des hivers 2024-2025 et 2025-2026 potentiellement problématiques lors des pics de consommation, alors que le parc nucléaire belge sera amputé de ses plus anciens réacteurs, Doel 1 et 2 (450 MW chacun), ainsi que Tihange 1 (900 MW).
Mais précisons qu’il ne s’agit ici pas de craintes de black-out, mais bien de problème temporaire d’approvisionnement.
Mais sur le fond, prolonger, est-ce possible ?
Selon Charles Cuvelliez, professeur à l’école polytechnique à l’ULB et candidat à la présidence de la Creg (pour le moment non retenu par la ministre de l'Energie) , le régulateur fédéral, l’aspect technique ne poserait pas problème. “La problématique reste d’ordre législatif et réglementaire, avec des règles de sûreté qui sont, en Belgique, plus compliquées qu’ailleurs”, avance-t-il. Par exemple, tous les “investissements de jouvence” (soit les entretiens approfondis) pour prolonger les centrales doivent être intégralement réalisés avant le redémarrage planifié. Ce qui n’est pas le cas chez nos voisins. “Il y a aussi les règles de tenue aux séismes ou aux chutes d’avion qui sont plus sévères. Comme ces règles sont fixées par arrêté royal, la marge de manœuvre reste limitée”, indique-t-il également.
Pour l’aspect technique, il précise que le fait d’envisager la prolongation par le Fédéral “n’est pas un mauvais choix”, mais que dans ce cas, “l’urgence reste de commander du combustible pour Doel 1 et Doel 2 qui est très spécifique”, et qui n’est produit que par un nombre très restreint d’acteurs dans le monde. Par contre, il se montre beaucoup plus critique sur l’idée d’économiser le combustible pour ces trois réacteurs, comme Elia le suggérait ce vendredi, alors que le gestionnaire du réseau alertait le gouvernement du risque de pénurie électrique.
Enfin, si prolongement il devait y avoir au-delà de 2025, pour n’importe quelle centrale, il faudrait néanmoins se dépêcher car l’exploitant, Engie, “commencera à mettre en place des opérations irréversibles en lien avec le démantèlement”, alerte-t-il, même s’il précise que cela sera fait qu’après l’arrêt définitif des réacteurs. Hors de question d’attendre l’arrêt pour se décider donc, selon lui. “Par chance, il semble que cela n’a pas encore été réalisé pour Doel 3 (mis à l’arrêt en septembre dernier, NdlR) mais rien n’empêche l’exploitant de le faire”, avance-t-il encore.
Engie, en position de force pour négocier ?
À en croire Engie, selon un document dévoilé par nos confrères de la RTBF samedi, il ne serait pas possible de prolonger les centrales tout en effectuant les travaux d’entretien et garantir leur fonctionnement pour le prochain hiver. Le délai serait d’ailleurs trop court.
Selon Luc Dufresne, désormais ex-président de la Commission des Provisions Nucléaires, il faut rappeler que le problème, c’est que la Belgique a laissé son orientation stratégique aux mains d’une entreprise privée, détenue en partie par l’État français, et que ce dernier ne voulait plus faire d’Engie un acteur incontournable du nucléaire, au bénéfice d’EDF. Donc Engie, au-delà des atermoiements des politiques belges, ne serait même plus incité à rester un acteur international et majeur du nucléaire.
Selon Charles Cuvelliez, Engie s’accommodait néanmoins jusqu’en 2020 de cette situation avec un “risque” de sortie et continuait ses études sur l’exploitation à long terme des centrales (ou Long Term Operation, LTO). Mais avec la décision confirmée de sortie, la situation est désormais plus compliquée pour l’opérateur.
Le problème est d’ailleurs plus général : le nucléaire est un investissement tellement risqué, avec la privatisation des marchés de l’électricité, qu’aucun acteur ne peut se le permettre, sans une “garantie de prix” sur une certaine période assurée par les États, alors que les investissements courent sur plusieurs décennies, nous dit-on. La réforme du marché de l’électricité s’en fait donc d’autant plus urgente.
Enfin, ce qui découle majoritairement des acteurs du secteur qui nous ont répondu, c’est que même si certaines personnalités politiques tapent dans le tas, aucun des gouvernements précédents n’a pris son courage en main afin de décider d’une politique énergétique à long terme. “Une politique énergétique ne se fait pas sur les réseaux sociaux, il faut une vue stratégique sur 40-60 ans”, rappelle à ce propos Luc Dufresne.
"Ne jouons pas sur les mots pour ensuite jouer sur la sûreté (...). Il faut une stabilité de notre stratégie énergétique", rajoute pour sa part Charles Cuvelliez. "Pour se départir du court-termisme depuis que la crise énergétique a commencé et de l’influence d’Elia, qui souffle le chaud et le froid depuis lors, il nous faut un régulateur fort et indépendant de toutes les parties", lance-t-il, affirmant que la Creg doit être "l'ange gardien de l'Etat" et donc ne pas être pénalisé par les jeux politiques.
