Pourquoi la crise va donner un coup de fouet à la transition énergétique
Libre Eco week-end | Le Dossier. En dépit de la progression du charbon, plusieurs statistiques montrent une évolution favorable de la transition énergétique l'année passée.
Publié le 17-02-2023 à 14h12
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La crise énergétique a-t-elle freiné ou accéléré la transition énergétique ? Nous avons posé la question à Phuc-Vinh Nguyen, spécialiste énergie à l’Institut Jacques Delors, et à François Gemenne, expert des migrations climatiques.
"À court terme, la transition a été freinée par la crise, estime François Gemenne. Les gouvernements européens ont logiquement dépensé des milliards d'euros pour aider les citoyens et les entreprises à payer leurs factures d'énergie. Non seulement cet argent public n'a pas été consacré à la transition, mais, en plus, il a terminé dans la poche des industries fossiles. Or, les profits gigantesques réalisés par Total, par exemple, vont l'inciter à rester plus longtemps dans le business des hydrocarbures." Son concurrent BP a d'ailleurs annoncé qu'il diminuerait moins rapidement que prévu sa production de gaz et de pétrole d'ici 2030. Il n'est pas facile de quitter un business aussi juteux…
Un incitant à sortir du fossile
François Gemenne estime néanmoins que la crise soutiendra la transition à plus long terme. "On a compris que le meilleur moyen de maîtriser les factures était de sortir du fossile", déclare-t-il. L'installation de pompes à chaleur et l'achat de véhicules électriques ont d'ailleurs battu des records en 2022.
Phuc-Vinh Nguyen pense également que de nombreuses mesures de crise sont allées à contre-courant de la transition. "Les subventions aux énergies fossiles n'incitent pas à réduire la consommation, explique-t-il. La Suède, par exemple, a introduit des remises à la pompe. Or, cette mesure soutient la consommation de carburants et aggrave les inégalités sociales car elle bénéficie davantage aux ménages les plus riches."
Phuc-Vinh Nguyen souligne cependant le rôle positif joué par la Commission européenne qui a intégré la question climatique dans sa réponse à la crise. Ce qui a permis d'éviter une plus grosse catastrophe encore au niveau des émissions de CO₂. Ainsi, il fait remarquer que les centrales au charbon relancées pour faire face à la crise "n'ont fonctionné que 18 % du temps."
Un rapport du consultant Ember a d'ailleurs montré que l'Europe avait évité un retour en force du charbon dans la production d'électricité en 2022. Et cela grâce à une forte croissance des énergies renouvelables (voir aussi ci-contre). Ainsi, la croissance combinée du photovoltaïque (+ 39 TWh/+ 24 %) et de l'éolien (+ 33 TWh/+ 8,6 %) a été largement supérieure à l'expansion du charbon (+ 28 TWh/+ 6,7 %). Néanmoins, ce recours accru au charbon a entraîné la plus forte hausse des émissions de CO₂ (+ 4,5 %) du secteur électrique européen depuis le choc pétrolier des années 90, souligne l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ember estime néanmoins que ce rebond est conjoncturel. Le consultant anticipe une chute record de 20 % de l'utilisation du fossile dans la production d'électricité en Europe en 2023.
Quid au niveau mondial ?
Si l'épicentre de la crise était en Europe, ses répercussions ont été mondiales. "En achetant en masse du gaz naturel liquéfié, l'Europe a fait monter les prix, précise Phuc-Vinh Nguyen. En conséquence, nous avons privé de gaz des pays asiatiques qui ont dû se tourner vers le charbon." Ainsi, l'AIE estime que la consommation mondiale de charbon a crû de 1,2 % au niveau mondial en 2022.
L’AIE se veut néanmoins optimiste pour le futur. Selon elle, la hausse de la consommation mondiale d’électricité sera rencontrée à 90 % par des énergies bas carbone (nucléaire et renouvelable) d’ici 2025. La diminution de l’utilisation du gaz et du charbon en Europe et aux USA sera compensée par une hausse au Moyen-Orient et en Asie. Et, l’un dans l’autre, les émissions du secteur électrique mondial devraient atteindre un plateau en 2025, selon l’AIE.
Par ailleurs, aux États-Unis, la consommation d'essence a baissé de 6 % en 2022, par rapport au sommet de 2019. En outre, l'Agence américaine d'information sur l'énergie anticipe une nouvelle baisse en 2023 et 2024. Les automobilistes américains ont commencé à être moins gourmands en essence.
Cette statistique est loin d'être anodine. Selon le Financial Times, 9 % du pétrole utilisé dans le monde sert à produire l'essence consommée aux USA.