Le débat budgétaire, reflet d’une gauche et d’une droite qui se neutralisent
Les discussions budgétaires partent dans tous les sens. 10 groupes de travail ont été mis sur pied. Une synthèse des travaux semble encore bien loin…
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/16e12df7-ddb4-42fc-bfe1-285390232bf8.png)
- Publié le 27-03-2023 à 07h40
”Franchement, si on s’en tient à l’ajustement du budget 2023, l’exercice sera plutôt facile”, nous disait Georges Gilkinet, Vice-Premier ministre (Ecolo) quelques minutes avant un nouveau kern budgétaire vendredi en début d’après-midi. De fait, le Comité de monitoring, en deux étapes, a donné une sacrée bouffée d’oxygène à la Vivaldi pour la correction de ce budget. Les experts du Comité de monitoring ont d’abord “retrouvé” 6 milliards pour 2023. Le déficit public est ainsi attendu à 4,8 % du PIB, ou 27,4 milliards d’euros, et plus à 33,4 milliards. Merci à la baisse de l’inflation.
Une erreur à 5 milliards d’euros
Mais il y a mieux. Jeudi soir, les mêmes experts “retrouvaient” 5 milliards de plus, cette fois pour 2028, en raison “d’une incohérence identifiée au niveau des transferts des dépenses primaires vers la sécurité sociale”. Une bouffée d’oxygène, donc. “On connaît la situation budgétaire, il faut la contrôler à plus long terme, mais nous sommes plutôt froids à l’idée d’aller plus loin que ce que l’accord de gouvernement prévoit à plus court terme”, poursuit Georges Gilkinet. Ce qui était prévu dans l’accord de l’automne 2022 ? Une réduction du déficit de 0,6 % pour 2023 et 2024, soit -1,2 % pour l’ensemble de la législature. C’est le cœur du débat actuellement entre les partenaires de la Vivaldi, que les récents kerns n’ont pas pu affiner ! Les “6 milliards” tombés du ciel il y a quelques jours ont en outre aiguisé certains appétits. “On est dans une pure confrontation idéologique, très politique”, confirme une source socialiste. Des demandes nouvelles ont ainsi vu le jour du côté des différents partis. “Cela ne va pas faciliter le travail du Premier ministre, qui veut montrer que la situation est inquiétante”, lâche une source libérale. Ni celle du MR, qui veut réduire les dépenses publiques (53,7 % du PIB, NdlR). “L’état des finances publiques reste problématique. Il hypothèque tout, le développement économique, l’éducation, l’environnement”, estime cette source libérale, qui rappelle que le déficit est attendu à 5,4 % du PIB en 2028, ce qui reste “terrifiant”.
Un débat très “politique”, disions-nous. L’interview donnée vendredi matin par le Vice-Premier ministre chez nos confrères du Soir n’a pas été de nature à calmer les esprits, lui qui estimait qu’il fallait “arrêter de faire peur aux gens”. C’est dans ce contexte que les travaux budgétaires se poursuivaient vendredi et ce week-end, notamment pour jauger la possibilité de réduire davantage le déficit en fonction de la situation économique, et voir quel sort serait réservé aux investissements liés projets du plan de relance. Sans succès jusqu’ici.
Quelques demandes nouvelles…
Ces discussions, on l’a dit, portent aussi sur des demandes nouvelles. “Parce qu’il faut continuer à investir et à protéger les plus faibles”, dit le PS. Lequel lève un petit coin du voile sur ces “principales” demandes nouvelles. “L’ONVA (office national des vacances annuelles, NdlR) a besoin de 107 millions d’euros”. Le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne avait obtenu l’assimilation des congés annuels à la période de chômage temporaire pendant la crise sanitaire. Les travailleurs qui ont été temporairement au chômage pendant un certain temps ont donc droit à un pécule de vacances et des jours de vacances l’année suivante. “Mais l’ONVA connaît des difficultés budgétaires et on demande une compensation totale”, explique-t-on le PS. Qui poursuit : “l’ancien ministre des Pensions ministre Bacquelaine (MR) a approuvé une mesure incitant les collectivités locales à accorder une prime par le biais du 2e pilier. Le budget proviendrait des collectivités locales qui n’ont pas signé. Résultat : il n’y a personne pour payer la facture. Il faut trouver 80 millions d’euros”. Vendredi soir, la ministre des Pensions Karine Lalieux était mandatée pour “faire des projections avec différentes formules.”
”Du côté d’Ecolo, sans tout dévoiler, on veut évidemment soutenir l’accessibilité au rail, le développement de centres pour les femmes victimes de violences, la transition climatique”, explique Georges Gilkinet. Au MR, une demande – technique – porte sur l’efficacité de la sécurité sociale en matière de chômage… Bref, les discussions sont parties dans tous les sens. À ce stade, rien n’exclut que quelques idées puisées dans le projet de réforme fiscale du ministre des Finances refassent surface. “Ce qui le fait bien râler, d’ailleurs”, concluait une de nos sources.
Échéance au 31 mars
Quelque 10 groupes de travail (!) ont d’ailleurs été mis en place depuis quelques semaines : “fiscal”, “indexation”, “provision Ukraine”, “analyse TVA, taxe compte-titres et régularisation”, “effets frontières et accises” (réforme TVA), “clarté sur chiffres de la santé”, etc. Les Vice-Premiers ministres devaient en principe en examiner les résultats de vendredi à dimanche. Sans résultat jusqu’ici. “Mais l’échéance, c’est le 31 mars”, rappelle-t-on à la Chancellerie.
Fouad Gandoul : “Le classe politique ne fait pas son travail”

Signataire avec 49 de ses collègues d’une carte blanche dans la presse spécialisée (Tijd, L’Echo) la semaine dernière pour dénoncer l’insoutenabilité des finances publiques, Fouad Gandoul ne mâche pas ses mots sur la manière dont le monde politique mène “la Belgique droit dans le mur”. Politologue, expert fiscal pour l’ACV (l’équivalent de la CSC) et juge au tribunal du travail, chroniqueur pour De Tijd, Fouad Gandoul, 45 ans, regrette “le temps des compromis” des années 80-90 et surtout le manque de volonté de la classe politique de voir au-delà de la prochaine élection. “Aujourd’hui, la classe politique ne fait pas son travail. Les vrais dirigeants de la Vivaldi sont en dehors du gouvernement. Cela rend toute discussion impossible, puisque tant Magnette que Bouchez, pour ne citer qu’eux, sont dans une posture “j’ai raison, les autres ont tort”. Une chose est certaine, à moyen terme, la situation de nos finances publiques est intenable. Et quand j’entends le PS et Ecolo dire qu’il faut continuer à investir, sans être très précis d’ailleurs, je crois qu’ils prennent les gens pour des imbéciles. Ils se cachent derrière cette notion d’investissement, pour éviter de parler de baisse des dépenses publiques. Avec un taux d’endettement public attendu à près de 120 % du PIB dans 5 ans – et en Wallonie, avec tout le respect que je lui dois, la situation est bien pire avec une dette qui équivaut à plus de 250 % des recettes -, il est évident qu’on va droit dans le mur. C’est pour cela que nous avons écrit cette carte blanche, pour appeler à un sursaut de la classe politique pour enfin prendre le taureau par les cornes, et augmenter le taux d’emploi, notamment. Mais aussi les pensions. Le seul ciment qui subsiste réellement en Belgique, c’est la sécurité sociale, et il faut la préserver à tout prix, mais pour cela, il faut prendre des mesures qui permettent d’amener davantage de personnes à travailler, surtout à Bruxelles et en Wallonie, dans un contexte global de marché très tendu, en pénurie. C’est tout de même fou d’avoir des taux d’emploi aussi faibles avec un marché où les postes à pourvoir se comptent par dizaines de milliers”.
Philippe Ledent : “il faudrait mettre l’option “dépenser mieux” sur la table”

Philippe Ledent, économiste chez ING, est d’avis que “le problème actuel est qu’on mélange différents débats pour des raisons de communication. D’un côté, il y a le débat classique entre réduire les dépenses et augmenter les recettes, entre les ailes gauche et droite de la Vivaldi. De l’autre, mais c’est très différent, il y a la question des investissements publics vs. les dépenses courantes. Mais ne mélangeons pas les deux, mettre en opposition l’augmentation des dépenses d’investissements et l’augmentation des recettes, c’est jouer sur deux tableaux très différents. Personne ne remettra en cause la nécessité d’augmenter les dépenses d’investissement public -privé aussi d’ailleurs – dans le contexte actuel, au regard des défis de la transition énergétique et du vieillissement de la population. Cela va demander des investissements importants. Dès lors, demander un assainissement des finances publiques (comme beaucoup d’économistes l’ont fait récemment dans un autre quotidien) ne signifie en aucun cas qu’il faut sacrifier les dépenses d’investissement. C’est faire un mauvais procès à l’assainissement budgétaire que de faire ce raccourci. Car la réalité est justement le contraire : c’est parce que ces investissements sont indispensables qu’il est nécessaire de libérer des moyens pour ne pas les compromettre”, explique l’économiste. Lequel pense que contrairement à ce que certains disent, la dette ne fondra pas comme neige au soleil. “Bien sûr, on peut rêver d’une croissance forte, d’une inflation forte et de taux d’intérêt très bas, ce qui augmente le déficit primaire acceptable pour stabiliser la dette. Mais ce n’est pas le scénario des prochaines années. Et si la dette ne fond pas, on finit dans le mur (perte de confiance des créanciers, pression de l’Europe…)”, juge Philippe Ledent. En d’autres termes, si on part du principe que davantage de dépenses d’investissement sont indispensables, et qu’il est nécessaire de redoubler d’efforts pour stabiliser le taux d’endettement à un niveau acceptable et d’autre part de libérer les moyens pour réaliser les investissements, “on peut alors en revenir au clivage habituel “plus de recettes ou moins de dépenses. Comme j’ai déjà pu l’écrire, il faudrait aussi mettre l’option “dépenser mieux” sur la table. Je reste convaincu qu’on a la chance de pouvoir faire de grandes choses en la matière”, poursuit l’économiste d’ING, qui estime que pour améliorer nos finances publiques, il n’y a pas 100 000 solutions, “il faut doper la croissance. Aussi longtemps qu’on n’arrive pas à rendre le gâteau plus grand, on va continuer à se battre pour le partager. La meilleure sortie de cette situation, c’est de faire de l’économie belge une économie à nouveau prospère. Et si on augmente les dépenses d’investissement de 1 milliard, on doit pouvoir libérer 1 milliard de dépenses courantes en dépensant mieux ; il ne s’agit évidemment pas de couper dans les pensions ou je ne sais quoi. Juste fonctionner mieux… Et enfin, mettre enfin en place une taxe carbone.”