Le patron de Ryanair : "Où sont passés les millions d’euros de taxes que nous vous avons payés ?"
Les grands patrons des compagnies aériennes tancent l’Europe sur sa politique environnementale. Ils craignent le “chaos” (sic) cet été, vu la situation en France.
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Publié le 29-03-2023 à 18h40
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Chaque année à la même époque, c’est la même rengaine. Dans la magnifique salle du concert Noble, en plein cœur du Quartier européen de Bruxelles, les grands patrons européens du secteur aérien expriment leurs griefs aux autorités européennes. En ligne de mire cette année, la politique environnementale de la Commission et les grèves des contrôleurs aériens en France.
”On nous oblige à acheter du carburant qui n’existe quasiment pas”
En octobre 2021, le secteur aérien s’est engagé à être neutre carbone en 2050. Un objectif ambitieux que les compagnies aériennes veulent atteindre palier par palier et surtout, en évitant une décroissance du secteur. Selon elles, la solution viendra donc essentiellement des avancées technologiques des avions, que ces derniers deviennent électriques, à hydrogène ou utilisant du carburant durable, plus connu dans le milieu sous les trois lettres SAF (Sustainable aviation fuel).
De son côté, la Commission européenne veut avancer aussi. Elle a imposé un minimum de 2 % de ce SAF dans le kérosène des avions européens en 2025 et 5 % en 2030. Problème, selon les compagnies : faute du peu de production actuelle, ce carburant est difficilement trouvable. “On nous oblige à acheter du fuel qui n’existe quasiment pas, et ce à un prix fou”, s’emballe Carsten Spohr, le patron du groupe Lufthansa dont fait partie Brussels Airlines. Comment voulez-vous que nous payions ce fuel, cinq fois plus cher que le traditionnel, alors que la note de carburant représente déjà un tiers de nos coûts ? C’est intenable”.
”Il suffit de faire comme les Américains”
Selon le patron allemand, l’Europe “ne doit pas essayer d’inventer la roue” et devrait plutôt regarder de l’autre côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, l’administration Biden a ainsi choisi “la carotte plutôt que le bâton”, en octroyant des crédits d’impôts aux compagnies utilisant le carburant durable. La production de ce type de fuel y serait aussi davantage encouragée que sur le Vieux Continent. “L’Europe doit faire attention, poursuit le patron allemand. On est en train de perdre la compétition sur le SAF, comme on a déjà perdu celle sur les panneaux solaires. La solution est pourtant simple : il suffit de faire comme les Américains”.
Michael O’Leary, le patron de Ryanair, en rajoute une couche. “Ma compagnie a payé 650 millions d’euros de taxes environnementales l’année dernière. Où est passé tout cet argent ?, s’insurge le patron irlandais. Qu’a fait l’Europe pour l’environnement avec ce montant ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas investi dans la production de carburant durable ?”
Une solution “rapide et simple” pour des vols moins polluants
D’après les compagnies européennes, il existe une solution “rapide et simple” qui permettrait de réduire de 10 % les émissions de CO₂ sur le Vieux continent. Il s’agit d’instaurer un ciel unique européen. Là aussi les États-Unis, et leur immense espace aérien géré de manière fédérale, sont pris comme référence. Pour l’instant, chaque pays de l’Union est responsable de son “ciel”, et possède, notamment, des zones dédiées pour les avions militaires, souvent interdits aux avions civils.
Ce système est loin d’être parfait, selon les compagnies, puisqu’il engendrerait des détours pour les avions. Carte à l’appui, Johan Lundgren, le patron suédois du transporteur low cost britannique EasyJet, montre ainsi qu’un avion commercial volant entre Paris et Milan émettrait 19 % d’émissions de CO₂ en moins s’il était géré via ce système de ciel unique européen. Cela a l’air simple comme cela, mais le dossier est en fait extrêmement chaud : beaucoup d’États craignent des pertes d’emploi au sein de leur service de contrôle aérien, sans compter la perte de souveraineté sur leur “propre ciel”.
La crainte d’un nouveau chaos cet été “à cause de la France”
Le Covid est déjà une histoire ancienne pour l’aérien : dès cet été, les compagnies vont retrouver leur niveau d’avant pandémie, d’après Johan Lundgren. “Certains transporteurs feront même sans doute mieux qu’avant la pandémie”. Mais si la compétition est de retour, les prix devraient rester plus élevés qu’en 2019, selon Carsten Spohr.” La demande est très forte et l’offre n’est pas encore totalement revenue à son niveau d’avant pandémie”, relate le patron de Lufthansa. Le secteur veut absolument éviter le “chaos” (sic) de l’été dernier, durant lequel beaucoup d’aéroports, en sous-effectifs, avaient été submergés par cet afflux inattendu de touristes.
“Il ne devrait plus avoir de problème au niveau du personnel des aéroports, rassure M. O’Leary. Le vrai danger vient des contrôleurs aériens français qui ont multiplié les actions de grève ces dernières semaines. Et ils ne semblent pas vouloirs s’arrêter, puisqu’ils ont déjà promis des actions durant tout le mois d’avril”. Vu la position géographique de la France, ces grèves ont des effets en cascade sur l’ensemble du trafic aérien européen, insiste le patron de Ryanair. “des Britanniques allant en Espagne, des Allemands au Portugal, des Irlandais en Italie”.
La réglementation européenne impose aux compagnies aériennes de dédommager les passagers en cas de gros retards ou d’annulations.” Mais nous ne sommes pas autorisés à récupérer ces sommes auprès des gens qui provoquent ces retards ou annulations, les contrôleurs aériens français, qui bénéficient de l’immunité de la part de leur gouvernement”, s’offusque M. O’Leary.
“On doit envoyer les meilleures personnes chez Brussels Airlines”
Quatre CEO en cinq ans : le jeu de chaise musicale a entamé un nouveau tour la semaine dernière chez Brussels Airlines avec la nomination de l’Allemande Dorothea Von Boxerg comme nouvelle patronne de la compagnie belge. “C’est vrai qu’on a deux endroits au sein de notre groupe, notre filiale cargo et Brussels Airlines, où l’on change régulièrement de patrons ces derniers temps, sourit Carsten Spohr, le CEO de Lufthansa. Mais que voulez-vous ? On doit envoyer les meilleures personnes chez Brussels Airlines. Et ces personnes reçoivent rapidement des promotions. C’est le prix à payer pour avoir des gens de qualité”.
Un Wallon “à la tête” des compagnies européennes
L’A4E, qui fédère 16 compagnies ou groupes aériens européens, dont les plus grands tels qu’Air France-KLM, Lufthansa, IAG (British Airways, Iberia…), Ryanair ou EasyJet est devenu le véritable lobby du secteur aérien en Europe. Il tenait son sommet ce mercredi à Bruxelles. À la tête de l’organisme, on retrouve un Wallon, en la personne de Laurent Donceel. Ce dernier a succédé, en février dernier, à un autre Belge, Thomas Reynaert, parti chez IBM.