La Commission propose d’assouplir les règles budgétaires européennes (mais pas trop)
Elle a présenté ce mercredi ses propositions, très attendues, de réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Les critères pour le déficit et la dette demeurent, mais le processus d’ajustement budgétaire serait plus souple.
Publié le 26-04-2023 à 19h56
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Obsolète, en partie inapplicable et contreproductif. Boussole des politiques budgétaires dans l’Union européenne (UE) pendant un quart de siècle, le Pacte de stabilité et de croissance a besoin d’une sérieuse mise à jour. La Commission européenne, qui planchait sur le sujet depuis 2020, a présenté ses propositions de révision des règles budgétaires, mercredi à Bruxelles. “Nous vivons dans un monde très différent” que celui qui était en 1997, quand le Pacte a été adopté, avec “de nouveaux défis et de nouvelles priorités”, a avancé le vice-président Valdis Dombrovskis, pour justifier la nécessité de changement. L’outil a rempli son office, a poursuivi le commissaire européen chargé de l’Économie, Paolo Gentiloni, mais “[ses] défauts sont apparus clairement, si l’on observe le développement de la dette publique, le niveau d’investissement ou les faibles performances des taux de croissance économique ces deux dernières décennies”.
La Commission a consulté tous azimuts sur le sujet pendant trois ans, et en particulier depuis la présentation de son “pré-projet” en novembre 2022. La principale difficulté à laquelle elle était confrontée était de soumettre un projet susceptible de satisfaire à la fois les pays attachés au maintien de règles budgétaires strictes (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande…) et ceux qui, comme la France et les pays du sud de l’Europe, plaident de longue date pour leur assouplissement. Selon la Commission, la proposition de réforme assure à la fois la soutenabilité des dettes publiques et favorise les réformes et les investissements. Un numéro d’équilibriste. Voyons ce qu’il en est.
Critères inchangés, surveillance sur le moyen terme
Les nouvelles règles ne touchent pas aux historiques et totémiques “critères de Maastricht” relatifs au déficit public – toujours considéré comme excessif au-delà de 3 % du produit intérieur brut (PIB) – et à la dette publique qui doit être contenue sous le seuil de 60 % du PIB.
En revanche, c’est sur un autre et unique indicateur que se basera la Commission pour évaluer les risques de dérapage budgétaire : les objectifs pluriannuels de dépenses. Chaque État membre établira et soumettra à la Commission un plan de ses objectifs budgétaires, projets de réformes et d’investissement pour une période quatre ans. Celui-ci sera soumis à l’examen de la Commission, puis s’il est validé par celle-ci, à l’approbation du Conseil, c’est-à-dire des (autres) États membres.
Les États dont le déficit public et/ou la dette dépassent les critères du déficit et/ou de la dette devront suivre une trajectoire technique spécifique à leur situation. Établie par la Commission, cette trajectoire est censée assurer que la dette diminue de façon plausible à moyen terme et que le déficit public soit ramené ou maintenu sous les 3 % à moyen terme. C’est une fois que cette trajectoire est fixée que la surveillance commence. La période d’ajustement s’étend sur quatre ans et peut être, sous certaines conditions, prolongée de trois ans maximum. C’en est donc fini de l’étroite mais peu efficace surveillance annuelle. Les pays qui ne rataient que de peu l’objectif qui leur avait été fixé s’en tiraient à bon compte. “Mais au bout de dix ans, cela fait une déviation importante”, fait remarquer une source européenne.
L’obligation pour un pays très endetté de réduire sa dette chaque année d’1/20 de l’écart entre son ratio et le seuil des 60 % du PIB passe elle aussi à la trappe. Et pour cause : elle a prouvé son inefficacité. Comme l’a fait remarquer Valdis Dombrovskis, le ratio moyen de dette publique est de 84 % dans l’UE “plus ou moins 20 % supérieur à ce qu’il était il y a deux décennies” et plusieurs États ont une dette supérieure à 100 % de leur PIB, comme la Belgique (105 %), voire largement supérieure comme l’Italie (144 %) ou la Grèce (171 %). Plus question de fixer des objectifs inatteignables, qui sapent la crédibilité du pacte et, surtout, contraignent les États à une austérité qui étouffe la croissance.
Autre leçon du passé : les règles budgétaires ne doivent pas empêcher les États d’investir. Le plan de la Commission ne va pas jusqu’à exclure ces dépenses d’investissement. Il prévoit néanmoins une trajectoire d’ajustement en pente plus douce pour les États membres qui s’engagent à investir dans des domaines correspondant aux objectifs de l’UE, tels que les transitions verte et numérique, le renforcement des capacités de défense ou de sécurité ou encore des mesures socio-économiques.
Voilà pour les mesures d’assouplissement.
Application plus stricte et clauses de sauvegarde
Afin de rassurer les États partisans de la rigueur, la nouvelle proposition législative prévoit cependant qu’un pays qui ne respecterait pas le critère du déficit et/ou de la dette devra procéder à un ajustement budgétaire d’au moins 0,5 % de son PIB par an.
Par ailleurs, le niveau de la dette devra être inférieur à ce qu’il était au début de la période couverte par le plan. “Plus sa dette publique est élevée, plus il sera difficile pour un État membre de s’éloigner de [la] trajectoire” qu’il doit suivre, fait remarquer la source européenne. D’autant qu’un écart significatif de la trajectoire serait puni par l’ouverture d’une procédure d’infraction pour endettement excessif – ce qui ne s’est encore jamais produit jusqu’ici.
Les règles budgétaires sont actuellement suspendues, en raison de l’activation, au début de la pandémie de Covid-19, de la clause générale de sauvegarde, depuis maintenue jusqu’à la fin de cette année, dans un contexte de crise énergétique et de guerre en Ukraine voisine.
Instruite par les événements des dernières années, la Commission prévoit la possibilité d’activer des clauses de sauvegarde spécifiques à chaque pays. Ces clauses seraient activées, avec l’approbation du Conseil, en cas de grave récession économique à l’échelon de l’Union ou de la zone euro ou de circonstances exceptionnelles échappant au contrôle de l’État membre qui plomberaient les finances publiques : catastrophe naturelle, épidémie, guerre…
Un calendrier serré
Les propositions de la Commission vont à présent être examinée et amendée respectivement par le Parlement européen et les États membres, qui devront ensuite trouver une position commune pour qu’elles deviennent des législations. On devrait avoir une première idée de la façon dont les propositions de la Commission sont reçues par les États membres, lors de la réunion informelle des ministres européens des Finances, qui se tiendra ces jeudi et vendredi à Stockholm. De Berlin, le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, a déjà fait savoir, mercredi, que ce qui était sur la table “ne rencontre pas encore les exigences allemandes”. Comprendre : l’Allemagne juge que la Commission relâche trop la bride. Voilà qui promet des débats animés.
Le calendrier est serré. La Commission et le Conseil espèrent que le travail législatif soit bouclé à la fin de 2023, lorsque sera levée la clause de sauvegarde générale, et avant la période pré-élections européennes de 2024, qui risque de crisper les positions.