Pourquoi des sanctions contre le gaz naturel liquéfié russe pourraient avoir de lourdes conséquences sur l'Europe ?
La Russie devrait livrer 11 % du gaz de l’Europe en 2023. Selon une experte, des sanctions pourraient faire grimper les prix.
Publié le 02-05-2023 à 08h24 - Mis à jour le 02-05-2023 à 10h08
:focal(1306.5x879.5:1316.5x869.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/LNTPMG73URHTBGJOOFG7RRUVWM.jpg)
Selon le Center on Global Energy Policy, la Russie devrait livrer 40 milliards de m³ de gaz à l'Europe en 2023. Cela représente un peu moins de 25 % de ce que livrait la Russie sur le marché européen avant la guerre en Ukraine. En un an et demi, l'Europe a donc fortement réduit sa dépendance vis-à-vis du gaz russe. Alors qu'environ 45 % de son gaz provenait de Russie avant la guerre, on devrait retomber à 11 % cette année. L'Union européenne semble donc en bonne voie pour atteindre son objectif de mettre fin à sa dépendance au gaz russe d'ici 2027.
Rappelons que le gaz russe n’a pas été sanctionné par l’UE. En effet, c’est Moscou qui a décidé de réduire drastiquement les flux via ses gazoducs alimentant le marché européen. Actuellement, plus aucun gaz russe n’arrive ni en Allemagne (Nord Stream) ni en Pologne (Yamal), tandis qu’un peu de gaz continue à transiter par l’Ukraine. Les flux arrivant en Turquie, quant à eux, n’ont pas été touchés.
Si la Russie a drastiquement réduit ses exportations par gazoducs, elle a augmenté ses livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL). Néanmoins, les volumes de GNL russe en jeu sont nettement moins importants que ceux qui circulaient auparavant par gazoducs. Ainsi, selon le Center on Global Energy Policy, les pays de l'UE, en particulier la Belgique, la France, les Pays-Bas et l'Espagne, ont augmenté leurs importations de GNL russe d'environ 33 % en 2022, pour atteindre 19 milliards de m³ importés.
50-50
Grosso modo, sur les 40 milliards de m³ de gaz russe qui devraient arriver en Europe en 2023, la moitié devrait être du GNL (livré par bateaux), et l’autre moitié du gaz transporté par gazoducs.
S'il est peu probable que des sanctions soient adoptées à l'encontre du GNL russe, plusieurs voix européennes ont réclamé leur instauration. Anne-Sophie Corbeau, experte au Center on Global Energy Policy, a donc tenté de savoir quel pourrait être l'impact de telles sanctions.
Le scénario du "perfect swap" serait le plus favorable pour les Européens. Cela signifie que le GNL russe, auparavant écoulé sur le marché européen, serait vendu sur d’autres marchés, notamment en Asie. L’Europe, quant à elle, pourrait remplacer le GNL russe par du GNL venant d’autres pays (USA, Qatar…).
"C'est le scénario où tout se passe bien, nous explique Anne-Sophie Corbeau. Mais, il y a plusieurs scénarios nettement moins favorables. Il faudra bien réfléchir avant de sanctionner le GNL russe."
Ainsi, la demande chinoise pourrait redémarrer, ce qui laisserait moins de gaz disponible pour remplacer le GNL russe. La météo pourrait aussi être plus froide cet hiver.
"L'hiver dernier, nous avons eu beaucoup de chance, ajoute Anne-Sophie Corbeau. La demande chinoise de gaz a été faible et la météo clémente. Aujourd'hui, les Européens se disent que tout va bien parce que leurs stocks de gaz sont hauts et que les prix sont redescendus. Mais on a toujours des prix deux fois plus élevés qu'avant la crise. En outre, en cas d'hiver rigoureux et de reprise économique en Chine, les stocks européens pourraient rapidement se vider. Et les marchés peuvent vite se retourner dans ce genre de scénario."
Le GNL russe indispensable ?
Bref, selon l'experte, sanctionner le GNL russe pourrait avoir de lourdes conséquences, qui plus est si les circonstances sont moins favorables que lors de l'hiver dernier. Par ailleurs, certains paramètres sont hors de contrôle des gouvernements européens. "La production nucléaire en France est toujours inférieure à son niveau de l'année dernière, qui était déjà bas, explique-t-elle. L'Allemagne et la Belgique ont fermé des réacteurs nucléaires, tandis que la production hydroélectrique n'est pas bonne. Bref, on est sur un fil."
Sans compter que Moscou pourrait répliquer en cas d'instauration de sanctions européennes visant son GNL. Par exemple en arrêtant d'exporter du… GNL. Or "les 45 milliards de m³ de GNL russe sont nécessaires pour équilibrer le marché mondial", précise Anne-Sophie Corbeau.
Enfin, Anne-Sophie Corbeau estime que sanctionner le GNL russe ne ferait pas si mal que cela au budget russe. En effet, les exportations de Yamal LNG, qui alimente le marché européen, sont exemptées de droits d’exportation et de taxes sur l’extraction minière, contrairement aux exportations par gazoducs.
Selon cette experte, les recettes russes provenant de l’exportation de gaz vers l’Europe devraient de toute façon chuter en 2023. En effet, tant les volumes exportés que les prix du gaz ont chuté…